Une équipe du laboratoire d'enzymologie et biochimie structurales du CNRS (Gif-sur-Yvette), travaillant en collaboration avec un chercheur de l'European Synchrotron Radiation Facility (ESRF, Installation européenne de rayonnement synchrotron, Grenoble), vient de déterminer la structure tridimensionnelle du prion de levure. «Ces résultats élargissent le champ des connaissances sur les maladies à prions qui affectent les mammifères, et laissent espérer, pour l'avenir, une meilleure compréhension des changements conformationnels à l'origine des propriétés pathogènes de certaines protéines prions, explique-t-on au CNRS. On sait qu'un certain nombre de maladies neurodégénératives, comme la maladie de Creutzfeldt-Jakob chez l'homme ou l'encéphalopathie spongiforme bovine, sont dues à une protéine cellulaire appelée Prp, ou prion pour la forme pathogène. On sait aussi que le caractère pathogène de cette protéine est le résultat d'un changement de conformation de la molécule qui provoque son assemblage en fibres. Très stables, celles-ci s'associent pour former des plaques que l'on peut colorer par l'iode sur des coupes de cerveau. La coloration ainsi obtenue étant similaire à celle de l'amidon par l'iode, ces plaques ont été appelées amyloïdes (du latin amylum et du grec amylon).» La formation de ces plaques est accompagnée d'une dégénérescence cellulaire aux conséquences mortelles.
Or, il se trouve que d'autres organismes vivants (champignons filamenteux et levures) expriment des protéines qui peuvent changer de forme de façon stable à travers les générations. Ces changements également peuvent induire des formations amyloïdes à l'origine d'une «hérédité structurale». Actuellement, deux protéines de levure peuvent subir une transformation transmissible similaire à la transformation du prion de mammifères. «Ces protéines, qui ne sont pas pathogènes pour l'homme, constituent donc un outil fort utile pour, d'une part, étudier les événements moléculaires à l'origine de l'apparition de la forme pathogène transmissible des prions, d'autre part, développer des outils permettant de bloquer ou inverser la transformation à l'origine du caractère infectieux des prions» expliquent les chercheurs.
En 1999, l'équipe «Mécanisme de repliement des protéines in vivo», dirigée par Ronald Melki, du laboratoire d'enzymologie et biochimie structurales du CNRS, avait été la première à reproduire «dans un tube à essais» l'interconversion entre les deux formes de l'un de ces deux prions. La protéine sous forme pathogène a l'aspect de fibres qui sont identiques aux fibres retrouvées dans le cerveau de personnes atteintes de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. L'équipe du CNRS, constituée de Luc Bousset, Solange Morera, Ronald Melki et Joël Janin, en collaboration avec Hassan Belrhali de l'European Synchrotron Radiation Facility (ESRF) de Grenoble, a franchi une nouvelle étape en parvenant à déterminer la structure tridimensionnelle de ce prion de levure. «Les caractéristiques (en termes de «brillance» et de «géométrie») du faisceau de rayons X utilisé à l'ESRF de Grenoble ont été cruciales pour la résolution de cette structure, souligne le CNRS. La forme du prion de levure, les propriétés de sa surface et la flexibilité de certaines de ses régions sont ainsi révélées à l'échelle atomique. Le prion apparaît symétrique et cette information rend compte à elle seule de la capacité de cette protéine à s'assembler en fibres dites amyloïdes.»
On observe au sein de la protéine-prion de la levure une région extrêmement flexible. Un certain nombre de données semblent d'autre part indiquer que cette région est impliquée dans la transformation transmissible de ce prion. «Dans l'empilement cristallin, on trouve la région flexible d'une molécule donnée de prion au voisinage d'une région de la molécule prion adjacente, soulignent les auteurs de la publication. Les interactions entre ces deux régions pourraient être à l'origine de l'assemblage de la protéine en fibres amyloïdes et, par conséquent, de la propagation du caractère pathogène du prion. La protéine possède, par ailleurs, une région à laquelle se fixe une molécule (un ligand), qui pourrait à son tour induire un changement de la conformation du prion et réguler son caractère transmissible'.» L'avenir dira si la structure atomique du prion de levure ouvrira ou non la voie à la détermination du type de transformation à l'origine du caractère pathogène des prions.
En pratique, différentes régions de la protéine seront modifiées et les propriétés de chaque variant généré, analysées. Ces modifications auront pour résultat, soit une capacité accrue, soit une capacité réduite de la protéine à acquérir la conformation pathogène et permettront ainsi de préciser le rôle joué par chaque région de la molécule. Les résultats escomptés permettront de mieux comprendre la genèse des maladies à prions qui affectent les mammifères. On peut, dans cette hypothèse, espérer qu'ils aideront à imaginer des moyens pour bloquer ou inverser les transformations à l'origine du caractère transmissible des maladies à prions. Pour le CNRS, «le niveau des connaissances dans ce domaine devrait croître rapidement du fait de la facilité de manipulation des prions de levure et de leur innocuité, comparées aux lourdeurs et aux risques liés à la manipulation de prions de mammifères.»