Elle avait illustré le rapport de force entre médecins et assureurs par la fable du loup et de l'agneau. On lui avait répondu que les médecins n'étaient que des loups déguisés en agneaux. A présent, elle s'est tue. Sa voix, sûrement, mais son message ? Dans un silence assourdissant, il nous retentit encore aux oreilles.
S'il fallait le poursuivre avec les uvres de La Fontaine, ce message est porté par une fable moins connue : «Le loup et le chien». Exit l'agneau de la discorde, ici on se retrouve, cyniquement si j'ose dire, entre canidés : Un loup famélique rencontrant un dogue fort bien nourri renonce prudemment à lui livrer bataille et s'enquiert plutôt de savoir comment il réussit à avoir un si bel embonpoint : «Il ne tiendra qu'à vous, beau sire, d'être aussi gras que moi, lui répartit le chien. Quittez les bois, vous ferez bien : Vos pareils y sont misérables (
) suivez-moi vous aurez un bien meilleur destin». Mais le loup s'inquiétait : «Que me faudra-t-il faire ? Presque rien, dit le chien : donner la chasse aux gens portant bâtons, et mendiants ; Flatter ceux du logis, à son maître complaire, moyennant quoi votre salaire sera force reliefs de toutes les façons». Le loup, ravi, se laisse convaincre et l'accompagne. Mais chemin faisant il vit le cou du chien pelé : «Qu'est-ce là lui dit-il ? Rien. Quoi ? rien ? Peu de chose. Mais encore ? Le collier dont je suis attaché de ce que vous voyez est peut-être la cause. Attaché ? dit le loup : vous ne courez donc pas où vous voulez ? Pas toujours, mais qu'importe ? Il importe si bien que de tous vos repas je ne veux en aucune sorte (
). Cela dit, maître loup s'enfuit, et court encore».
Un cri s'est perdu, une conscience s'est éteinte, une femme s'est enfuie. Une de ces «Femmes qui couraient avec les loups», libre, courageuse, instinctive, que décrivait dans son magnifique ouvrage la psychanalyste américaine Clarissa P. Estes.
Entre-temps d'autres se taisent ou baissent les bras troquant la peur de mourir de faim contre la certitude de mourir d'ennui. Et chaque jour la voie se trouve un peu plus dégagée pour les chiens.Th. Hovaguimian