Cette journée, organisée par le Pr A. Bailly, a eu pour but d'analyser les mesures actuellement prises sur le plan économique dans le domaine de la santé. Les personnes présentes, issues des milieux professionnels mais aussi représentantes des divers secteurs de la société (et particulièrement les assurés
que nous sommes tous), ont cherché à déterminer quels sont les avantages et les inconvénients des dispositions actuelles (par exemple la LAMal) tout en considérant que selon le point de vue de l'observateur, il est possible de parler, tout à la fois, de rationnement et de rationalisation. A la suite des présentations du matin, divers ateliers ont été conduits durant l'après-midi. Voici la synthèse de l'un de ces ateliers, consacré à la place de la prévention dans cette perspective économique.
L'atelier a réuni une douzaine de praticiens et praticiennes, impliqués dans le champ de la prévention, pour certains en cabinet (physiothérapeute, chiropraticiens) ou en institutions (infirmières de santé publique, médecin de santé publique, physiothérapeute EMS), pour d'autres au niveau des services à la communauté (cantatrice-animatrice, conseillère communale, documentaliste Santé publique) et finalement dans le secteur privé (psychologue en entreprise).
Ne pas confondre les buts et les moyens
Dans une telle journée, un thème comme la prévention est à la fois innovant et provoquant. Innovant dans le sens où la distinction entre le curatif et le préventif est dépassée et il est donc question ici d'intégration. Provoquant dans le sens où compte tenu des moyens mis à disposition de la prévention, il n'est pas d'actualité de parler de rationnement, ni même de rationalisation. Dans ce sens, il est utile de rappeler que la santé n'est pas un but en soi mais un moyen permettant d'atteindre des objectifs personnels, professionnels, familiaux, collectifs, etc. A partir de ce point, l'atelier s'est préoccupé des questions de développement, par opposition à des questions de rationnement. Au travers des trois niveaux de prévention que l'on retrouve classiquement dans les différents secteurs d'actions sanitaires (primaire : avant l'apparition de maladie ; secondaire : présence de la maladie et recherche de guérison ; tertiaire : maladie non totalement guérissable et recherche de maintien/développement de compétences en santé), il doit être envisagé différentes évolutions adaptées à chaque contexte et à chaque paradigme d'intervention. Il apparaît donc qu'en fonction de l'orientation de la prévention, intégrant à la fois le préventif et la promotion de la santé qui en fait partie, le curatif et le palliatif, il est question de développement en termes soit de compétences (formation), soit de structures (organisation), soit d'actions (orientations). Cela correspond à la problématique proposée en ouverture de la journée par le Pr Bailly, considérant les trois entrées possibles dans la question du système de soins.
Savoir agir indirectement et avec parcimonie
Traditionnellement justifiée par des actions, menées pas des intervenants s'appuyant principalement sur des stratégies de communication (de masse ou incluses dans la prise en charge thérapeutique), la prévention doit aujourd'hui développer des environnements favorables, permettant d'offrir à chaque citoyen un contexte éclairé et transparent où il sera apte à faire des choix en conscience. La prévention représente un acte de communication qu'il s'agit de distinguer d'une forme d'intégrisme sanitaire. Cette orientation implique de la part des professionnels engagés, une connaissance de leurs limites et donc, par effet, une capacité de s'arrêter là où l'individu doit s'autodéterminer. Le paradoxe devient évident lorsque l'on pose la question de l'exemple donné par les adultes dans certaines circonstances sociales alors que l'on s'étonne du comportement d'adolescents. De même, qu'elle est la norme ? la vie est-elle hospitalière et tout le reste s'intitule «extra-hospitalier» ou la vie est-elle principalement communautaire et dans certains cas nous recourons à des «soins extra-domicile» ? La prévention basée sur la création d'environnements favorables met en évidence la pauvreté des offres proposées aux publics en difficulté mais aussi aux publics en santé.
Créer une évaluation spécifique, adaptée aux enjeux et aux actions
La prévention est soumise à des obligations évaluatives
acceptables en ce sens que toute action envers la communauté doit se doter de moyens propres à permettre la compréhension et l'analyse des processus réalisés
inacceptables si l'on considère que la prévention ne relève pas de la même finalité qu'un soin technique ou qu'une intervention «externe» induisant des résultats directs. Comme tout processus à effets indirects, la prévention ne peut assurer que les individus transfèreront en temps et en lieu les potentiels d'action acquis dans le cadre de mesures d'information, d'éducation ou de sensibilisation. L'exemple de l'école correspond tout à fait à ce paradigme d'évaluation : il est tout à fait possible de certifier si les apprentissages (potentiels d'action) sont présents et mobilisables
mais il ne relève pas uniquement de l'école d'assurer le développement intelligent des citoyens car de multiples facteurs interviennent sur un laps de temps qui peut, parfois, dépasser la décennie. Dans le domaine de la santé, les méthodes d'évaluation (essais randomisés, mesure de l'efficacité) représentent le modèle incontesté. La prévention devrait-elle accepter ce paradigme sans chercher à défendre sa spécificité ? Il faut dès lors souligner que l'évaluation n'est jamais définie par la méthode mais bien par l'objet sur lequel elle s'applique. Sans refuser l'obstacle, il est temps de développer des évaluations processuelles (et non factuelles) portant plus sur les acquisitions que sur les résultats finaux voire pire
sur les écarts à la norme. Actuellement, l'évaluation de la prévention reste très sectorisée, attachée à des sous-groupes identifiés au sein de collectifs particuliers. La transversalité de l'évaluation n'est pas encore à l'ordre du jour.
Et s'il y avait des limites à la prévention ?
Protégée par la noblesse de son action, la prévention est rarement envisagée sous l'angle éthique. Et pourtant plusieurs éléments attestent de la fragilité de la prévention dans ce domaine. Le premier réside dans l'inégalité flagrante des cibles de prévention et des moyens attribués : des lobbies protégeant des «territoires de chasse», des problématiques médiatisées puis oubliées, des publics à la mode, d'autres suscitant des pressions politiques générant des moyens importants. L'inégalité des chances est réelle et se traduit par des variations observables. Le tabac et l'alcool ne bénéficient guère que de 2,5 millions par an pour la prévention pendant que le VIH et les drogues dures bénéficient de, respectivement, plus de 10 millions par an. Mais la leçon à tirer concerne bien l'inégalité des moyens et le VIH a montré que l'efficacité reste tout à fait proportionnelle aux moyens accordés. De plus, certaines expériences dans le tabac et le VIH ont prouvé qu'il existe un risque réel de lourdeur, de contre-effet lié aux répétitions chez les publics-cibles. Il faut donc reconnaître que la prévention comporte une partie de toxicité, qui se réalisera uniquement si l'environnement est culpabilisant (dogmatisme, intégrisme) et si sont introduites dans le système social des valeurs qui permettront l'émergence de discrimination. Ainsi les caisses-maladie qui proposent des conditions avantageuses aux personnes en santé stigmatisent l'état de maladie, le handicap et imposent un racisme sanitaire.
La prévention dans une économie globale ?
Dans une économie néo-libérale, bien que la recherche absolue du pouvoir soit clairement établie, le rapport à la souffrance reste, en contrepartie, ambigu. Cet état de fait, tel un sentiment de culpabilité non intégré, permet de mobiliser médias et collectivités sur des actions ponctuelles d'entraide et de soutien. De plus, la montée en force de l'individualisme empêche le développement de programmes de société. La santé, et a fortiori la prévention, restent cantonnées dans des problématiques sectorielles, sans lien les unes avec les autres. C'est donc la problématique qui définit le public et donc l'action. La mise en évidence de possibilités de prévention s'inscrit toujours dans une logique du vide (ce qui manque, ce qui n'est pas, ce qui dysfonctionne, etc.), paradigme propre à l'identité de soignant. Et pourtant, il existe des points communs entre les différents publics. Dès que l'on s'accorde le droit de comprendre comment les individus survivent/fonctionnent en situation, abstraction faite de la valeur de leurs comportements (adéquats ou non, acceptables ou non, sains ou non), on découvre une transversalité de la compétence qui permet de penser la prévention de manière globale, intégrée à l'existant et tenant compte des expressions culturelles et sociales de la santé, sans jugement de valeur, ni présupposés. Cette orientation repose sur le postulat que la prévention est un droit donné à tous, engendrant la considération et non la stigmatisation. On s'inscrit alors dans une logique du plein, de l'existant. Les agents de prévention sont alors des révélateurs de fonctionnements et de compétences, favorisant des transferts et des regroupements. Cette alternative n'est réalisable que si les différentes strates de pouvoir convergent, chacune à leur niveau, vers cette globalité unique de l'individu et de la société tout en freinant une globalisation normative. La prévention, comme tout processus, repose sur une économie qu'il est temps de considérer globalement et non en additionnant des miettes.J.-Ch. Rielle
S. JacquemetInformation
La poursuite de cette réflexion peut se faire grâce au soutien et aux prestations qu'offre le Centre de documentation en santé
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