Il ne s'agit pas là du titre d'une fable de La Fontaine que l'on aurait exhumée tardivement et qu'il s'agirait de faire apprendre dorénavant à nos chères têtes blondes. Il s'agit plutôt de passer un peu en revue les diverses polémiques et les passions déclenchées par les phénomènes que nous livrent régulièrement les journaux en termes de «mal bouffe», autant que ceux ayant trait à l'uranium appauvri que l'OTAN a admis avoir utilisé, dans le cadre de la guerre du Golfe, et de ses bombardements en ex-Yougoslavie.
L'opinion publique et les hommes politiques, bien entendu, ont tous la mémoire courte. A preuve, qui se souvient encore de la fameuse «Dame aux cochons» qui, il y a une vingtaine d'années si mes souvenirs sont bons avait manifesté avant l'heure, en compagnie des porcs qu'elle élevait elle-même de façon biologique et naturelle, devant le Palais fédéral. Cette brave dame, dont le nom m'échappe d'ailleurs ce qui prouve bien que j'oublie en tout cas aussi vite que l'opinion publique et les hommes politiques dénonçait déjà à l'époque la façon dont étaient nourris certains porcs à qui l'on donnait diverses sortes de déchets y compris des résidus carnés et des restes de leurs semblables.
La «Dame aux cochons» avait alors soulevé une tempête de protestations de la part des organisations de consommateurs et de leurs membres, puis était gentiment retombée dans l'oubli et retournée dans sa campagne nourrir ses porcs de glands et de nourriture judicieusement adaptée à leur développement.
Depuis, il ne se passe pas un jour sans que l'on parle des diverses façons dont sont nourries les braves bêtes et où poussent les légumes qui doivent finir dans nos assiettes : il y a eu les salades au nitrate, les poulets aux hormones. On a passé ensuite aux poulets et aux ufs à la dioxine, aux saumons à la même substance, à la vache folle, aux mêmes saumons nourris aux farines animales ainsi qu'aux sardines à l'histamine. Enfin, tout dernièrement, un quotidien de boulevard et du dimanche parlait des vitamines et divers antibiotiques avec lesquels étaient engraissés les porcs venant d'Autriche, dont la Suisse importe tout de même une belle quantité afin de nourrir ses propres habitants.
Ce qui est étonnant dans ces problèmes, ce ne sont pas les réactions de la population et des sociétés de consommateurs. Celles-ci ne peuvent en effet être que violentes et passionnelles, tant il est important de se rendre compte que ce que l'on mange revêt une certaine qualité vu les conséquences, à des termes plus ou moins connus ou inconnus, de l'ingestion de ces diverses substances.
On a beaucoup glosé sur la vache folle et nos autorités ont pendant de longs mois estimé qu'il n'existait en Suisse aucune possibilité pour que cette maladie ne se transmette à l'homme, compte tenu du fait que la destruction des animaux porteurs du prion était intervenue suffisamment tôt. Or, on en est encore aux batailles d'experts afin de déterminer si, oui ou non, quelques cas de morts suspectes enregistrées durant l'année passée auraient pu être des conséquences directes d'une transmission à l'homme de la maladie de «Creuzfeldt-Jakob».
En fait, ce qui est étonnant, c'est toujours la réaction du monde politique par rapport à de tels événements. Même si des mesures rapides ont été prises vis-à-vis des troupeaux qui risquaient d'être contaminés par le prion, on peut s'étonner, et ce à juste titre, de la lenteur mise tout d'abord par nos Autorités fédérales, à interdire les farines animales. La non-volonté de cette interdiction était essentiellement provoquée par le fait que personne ne savait qu'en faire et que les cimentiers n'étaient pas encore équipés afin de pouvoir détruire l'entier des stocks restants. Piètre excuse, et pourtant on touche et l'on badine là avec un domaine grave, celui de la santé. On continue d'ailleurs allègrement de nourrir notamment la volaille à l'aide de ces farines, et personne à l'heure actuelle ne peut en mesurer à terme les conséquences.
Tout petit, chacun d'entre nous a appris sur les bancs d'école que la vache était essentiellement un herbivore et il ne serait venu à l'idée de personne qu'il était nécessaire de la nourrir avec des déchets carnés. Cela c'est pourtant fait avec les conséquences que l'on sait. Dès lors, pourquoi ne pas agir rapidement afin de calmer une population qui est en droit d'être renseignée de façon scientifique et sûre, sur ce qu'elle reçoit dans son assiette.
La situation est d'autant plus étonnante que lors de son récent passage à Genève, et de sa réception par le Conseil d'Etat de la République et du Canton, Monsieur Moritz Leuenberger, Président du Conseil fédéral pour 2001, a abordé le problème des munitions à uranium appauvri. Il a déclaré, devant le Club de la presse, que la Suisse demanderait cette année encore l'interdiction de telles munitions. A une question d'un journaliste lui demandant si sur le plan strictement scientifique, la question du lien entre les armes concernées et la maladie, en particulier leucémie, était réelle et prouvée, Monsieur Leuenberger a répondu qu'en la matière il n'avait pas lieu d'hésiter. En effet, rétorqua-t-il, «lorsqu'il y a présomption de problèmes, les politiques doivent intervenir». Il a donné en exemple à cet égard, les mesures prises par le Conseil fédéral quant au smog électronique engendré par les antennes fixes des téléphones mobiles, en se vantant sur ce point que la Suisse ait pris les mesures les plus dures du monde sans attendre que les problèmes de type scientifique ou de santé aient été prouvés.
On aurait donc apprécié la même vélocité à l'occasion des problèmes soulevés par la vache folle et des contaminations éventuelles de l'être humain.
Evidemment, si plusieurs entreprises fabriquent des farines animales, personne en Suisse ne fabrique de minutions à uranium appauvri et une position très ferme de la Suisse dans le concert international des protestations ne coûte pas grand chose. C'est faire preuve toutefois de légèreté, légèreté coupable, dont on se prend à souhaiter que, comme lors de l'affaire du sang contaminé en France, l'on parvienne à citer devant la justice les responsables politiques qui auraient manqué à un devoir élémentaire d'information.
J.-M. Guinchard