Le cours clinique des tumeurs neuroendocrines est habituellement indolent bien que les sécrétions et la dissémination tumorales compromettent la survie à long terme, alors que les traitements oncologiques classiques donnent lieu à des résultats décevants en général. Cependant, les cellules tumorales neuroendocrines surexpriment des récepteurs à la somatostatine, lesquels peuvent lier divers analogues. La scintigraphie aux récepteurs de la somatostatine est très sensible dans la détection des métastases des tumeurs neuroendocrines. L'activation des récepteurs par des analogues de la somatostatine à bonnes doses, inhibe la sécrétion et la croissance de ces tumeurs. Les analogues de la somatostatine sont aussi utilisés pour véhiculer des isotopes radioactifs qui exerceront leur effet cytotoxique dans les tumeurs neuroendocrines. Les cinq sous-types de récepteurs à la somatostatine ont des propriétés différentes et des analogues qui les activeraient sélectivement, pourraient permettre un diagnostic plus précis et un traitement plus efficace des tumeurs neuro-endocrines.
L'incidence des tumeurs neuroendocrines gastro-entéro-pancréatiques augmente avec le raffinement des méthodes diagnostiques mais une proportion très importante de ces tumeurs fait encore l'objet de découverte fortuite. Dans l'analyse rétrospective des circonstances de la découverte dans une grande série chirurgicale, Besson et Saegesser ont constaté que seulement 19% de ces tumeurs avaient été diagnostiquées avant l'intervention, alors que 61% d'entre elles étaient découvertes pendant l'opération et 18% à l'examen pathologique.1 Bien que ces tumeurs soient en général capables de sécrétions endocrines, celles-ci ne donnent pas toujours lieu à un syndrome clinique facilement reconnaissable (dans l'étude ci-dessus, seulement 11% des cas), car nombre des produits sécrétés sont dépourvus d'effets biologiques connus. Les tumeurs neuroendocrines se caractérisent par une croissance lente malgré une nette tendance métastatique et l'extirpation chirurgicale constitue le seul traitement véritablement efficace.2 Pour cette raison, leur histoire naturelle n'est pas bien connue3 et la réponse au traitement des formes métastatiques est difficile à évaluer.4 Il est admis cependant que la chimiothérapie classique et la radiothérapie sont peu efficaces et, dans ce contexte, le fait que les cellules tumorales neuroendocrines soient particulièrement riches en récepteurs à la somatostatine a ouvert le champ à des recherches sur les possibilités diagnostiques et thérapeutiques de la somatostatine et de ses analogues.
Les cellules neuroendocrines forment des organes (hypothalamus, antéhypophyse, médullo-surrénale, parathyroïdes), des amas cellulaires identifiables à l'intérieur d'un organe (îlots de Langerhans) ou un réseau de cellules dispersées dans des organes, correspondant à la définition d'un «système endocrinien diffus» (cellules parafolliculaires de la thyroïde, cellules endocrines du tube digestif, des poumons, du thymus...).5 Cependant, on inclura ici sous la dénomination de tumeurs neuroendocrines (TNE) seulement celles issues du pancréas endocrine et du système endocrinien diffus, essentiellement le système gastro-entéro-pancréatique. En revanche, en raison de leurs particularités morphologiques ou évolutives, on exclura de cette dénomination les tumeurs hypophysaires, parathyroïdiennes, médullo-surrénaliennes, le carcinome médullaire de la thyroïde et le carcinome pulmonaire à petites cellules, bien qu'il s'agisse de tumeurs neuroendocrines au sens propre.
Selon cette définition, l'incidence des TNE est de l'ordre de 15 cas/106/an et la grande majorité de ces cas sont des tumeurs carcinoïdes, dérivées des cellules entéro-chromaffines et sécrétant, entre autres, de la sérotonine. La proportion des gastrinomes est probablement sous-estimée car un certain nombre demeure non diagnostiqué depuis l'introduction d'inhibiteurs efficaces de la sécrétion acide de l'estomac. Par ailleurs, les gastrinomes et les insulinomes sont souvent associés à des syndromes de néoplasie endocrinienne multiple de type 1 (MEN 1)6(tableau 1). La plupart des TNE sécrète des chromogranines, les carcinoïdes sécrètent de la sérotonine, dont le catabolite 5-HIAA apparaît dans l'urine, les tumeurs insulaires pancréatiques mais également des tumeurs originaires du grêle peuvent sécréter du polypeptide pancréatique (PP) et une majorité des TNE sécrète l'enzyme neuron specific enolase (NSE). Toutes ces substances constituent des marqueurs tumoraux, au même titre que des hormones à effet biologique connu, comme la gastrine, l'insuline, le glucagon, la somatostatine ou l'ACTH, également sécrétés par les TNE.
La somatostatine (SST) cérébrale et hypothalamique est un peptide à 14 acides aminés (SST-14) agissant comme un neurotransmetteur ou une neuro-hormone alors que la SST-28, dont les 14 acides aminés de la région N-terminale sont identiques aux acides aminés de SST-14, prédomine dans la région gastro-entéro-pancréatique où elle agit en tant que neurotransmetteur dans les plexus sous-muqueux du tube digestif et d'une façon paracrine sur les cellules entériques et pancréatiques. De plus, les sécrétions exocrines digestives sont modulées par les SST. D'une manière générale, on peut affirmer que SST-14 et SST-28 exercent des effets inhibiteurs sur tout un ensemble de tissus, capables de sécrétions endocrines et exocrines et possédant des SSTR, et pas seulement sur l'hormone de croissance hypophysaire, action dont dérive le nom «somatostatine». Ces propriétés de liaison et d'action inhibitrice sont utilisées dans un but diagnostique, de détection de tissus contenant des récepteurs à la somatostatine (SSTR) et dans un but thérapeutique. Ceci a été rendu possible par le développement d'analogues de SST plus résistants à la dégradation que l'hormone native et ayant une plus longue demi-vie biologique.
Les SSTR sont des récepteurs transmembranaires couplés à des protéines G inhibitrices (Gi), inhibant l'activité de l'adénylate cyclase et donc la production de cAMP, et à d'autres protéines G dont l'activation résulte en une diminution de l'influx cellulaire de Ca2+ et en une diminution des sécrétions cellulaires. D'autre part, l'activation de SSTR diminue les phénomènes d'autophosphorylation de protéines membranaires et les processus mitotiques cellulaires.7 Après liaison avec SST ou un analogue, SSTR s'internalise dans la cellule. Cinq sous-types de SSTR ont été clonés qui possèdent des propriétés différentes. Leurs gènes se situent dans des chromosomes différents, leur distribution dans les tissus humains n'est pas uniforme (par exemple les adénomes hypophysaires possèdent SSTR-1, 2, 3 et 5 et les TNE SSTR-1, 2, 3 et 4), tous lient SST-14 ou SST-28 avec une grande affinité mais le sous-type 1 montre une très faible affinité pour les analogues octréotide, lanréotide et vapréotide, le sous-type 4 montre une très faible affinité pour l'octréotide et les trois analogues mentionnés lient fortement les sous-types 2, 3 et 5. Les cinq sous-types sont couplés aux protéines G et tous donnent lieu à une diminution de l'activité de l'adénylate cyclase. Le gène du sous-type 2 est particulier car il possède plusieurs unités transcriptionnelles et peut donner lieu à une variante du récepteur (SSTR-2b) dont l'effet sur la prolifération cellulaire est stimulateur contrairement aux autres récepteurs.8 Son expression dans les tissus est différente de celle de SSTR-2a.
Les SSTR sont exprimés dans de nombreux tissus et sont souvent surexprimés dans diverses tumeurs et tout particulièrement les TNE. Cette surexpression permet la détection de ces tumeurs par scintigraphie avec des analogues radiomarqués de SST. L'octréotide, puissant analogue à 8 acides aminés, couplé à la molécule DTPA et radiomarqué à 111In est utilisé couramment dans ce but (OctreoScan ®). Après liaison avec SSTR, le complexe (111In-DTPA) octréotide est internalisé dans les cellules où le temps de rétention relativement long de ses métabolites permet l'identification scintigraphique des structures particulièrement riches en SSTR.9 La positivité de la scintigraphie aux récepteurs de la somatostatine (SRS) dépend principalement de l'abondance dans la tumeur du sous-type 2 du récepteur (SSTR-2), les sous-types 1, 3, 4 et probablement 5 étant moins importants pour la scintigraphie in vivo.10 SRS a une sensibilité supérieure à celle des autres méthodes non invasives dans la détection des TNE en général11 (tableau 2). En particulier, des métastases pulmonaires invisibles au CT-scan peuvent être diagnostiquées grâce à cette méthode (fig. 1). De plus, chez les patients présentant des TNE, la précision de la SRS dans le diagnostic des métastases osseuses est similaire à celle de la scintigraphie osseuse.12 La spécificité de la SRS dans l'identification de TNE primitive ou métastatique est diminuée par la possible abondance de SSTR dans des tissus normaux (hypophyse, thyroïde et rate) et dans des tissus inflammatoires. On a aussi décrit des cas «faux positifs» dus à l'existence de rates accessoires.13 La généralisation de la SRS a un impact considérable dans l'appréciation de l'évolution des TNE et des études rétrospectives et prospectives suggèrent que cette méthode puisse avoir un réel impact dans la prise en charge de ces tumeurs.14-16 L'administration d'octréotide non radiomarqué avant la réalisation d'une SRS peut, selon la dose administrée et le temps écoulé, augmenter la captation du radiotraceur par le tissu tumoral au lieu d'exercer une inhibition compétitive (l'octréotide exerce donc une régulation positive sur SSTR).9 Ceci est important dans le suivi de patients traités avec des doses pharmacologiques d'octréotide (cf. ci-dessous). Les principales caractéristiques de la SRS sont indiquées dans le tableau 3.
Seule la chirurgie est réputée curative des TNE. Bien que de nombreux facteurs tels que la taille tumorale, l'envahissement ganglionnaire et l'âge des patients jouent un rôle dans la survie à long terme, la présence ou l'absence de métastases hépatiques est déterminante. Ainsi, dans certaines séries, la survie à cinq ans approche 100% mais descend à 30-40% s'il y a des métastases hépatiques au moment du diagnostic.3, 17 La résection complète ou incomplète de la tumeur primitive est également un facteur pronostique important3 et cette résection est rarement complète en cas de MEN 1, puisque à peine 5% des patients opérés de gastrinome demeurent libres de symptômes cinq ans après l'opération, par comparaison à environ 100% en cas de gastrinome sporadique. Une différence aussi marquée ne s'expliquerait pas par la prévalence un peu plus élevée de localisations duodénales des gastrinomes en cas de MEN 1 (57%) par comparaison aux formes sporadiques (47%).2 Le traitement des métastases hépatiques par occlusion ou embolisation des artères hépatiques ou par administration de doxorubicine ou autres antimitotiques par voie artérielle hépatique, ne donne que des résultats transitoires (7-20 mois) dans des proportions variables (35-80%). Les études les plus récentes sur la transplantation hépatique en cas de TNE métastatique montrent des résultats encourageants (pour références voir4). Toutefois, de tels traitements invasifs sont grevés d'importants effets secondaires et ils ne sont pas indiqués dans tous les cas et c'est dans ce contexte que des analogues de la somatostatine (octréotide, lanréotide, vapréotide) peuvent trouver leur place. En effet, un traitement avec ces substances peut causer une inhibition des sécrétions tumorales et résulter en une amélioration des symptômes et de la qualité de vie, sans exclure parfois un effet antitumoral. L'octréotide est le premier analogue à avoir été utilisé dans le traitement des TNE. La première formulation utilisée a une courte demi-vie et nécessite plusieurs injections par jour mais on dispose désormais d'analogues à libération retardée permettant des injections dépôt à des intervalles de plusieurs semaines, ce qui les rend plus adaptés à des traitements prolongés. Les premières études prospectives sur l'efficacité et la tolérance des analogues de la SST à effet prolongé ont été publiées récemment. Dans le tableau 4, est présenté de façon schématique le résultat de trois études effectuées avec le lanréotide dépôt.18-20 Lorsque les patients présentent des symptômes dus à une hypersécrétion tumorale (le plus souvent syndrome carcinoïde et symptômes d'hypergastrinémie), on observe une amélioration symptomatique dans la majorité des cas, souvent avec disparition complète des symptômes. Chez près de la moitié des patients, les sécrétions tumorales diminuent ou cessent complètement. De plus, on constate une réduction de la masse tumorale (réponse objective) chez un pourcentage faible de patients mais une stabilisation des masses en croissance dans la majorité des cas, pas toujours pour une durée prolongée. Un effet secondaire typique des traitements prolongés avec des analogues de la SST est l'apparition de calculs biliaires, dont l'incidence varie considérablement d'une étude à l'autre. Il est intéressant de constater que des patients présentant un échappement au traitement de lanréotide, répondent favorablement à un traitement d'octréotide, tant sur le plan clinique que biochimique ou sur la masse tumorale.21 L'explication de cette absence de résistance croisée serait une cinétique différente des deux analogues dans les SSTR. On peut donc espérer qu'il y ait également une réponse à l'octréotide après échappement au lanréotide. Les tumeurs carcinoïdes gastriques associées à une hypergastrinémie en cas de MEN 1 semblent être particulièrement sensibles à l'effet antitumoral des analogues de la SST. En effet, l'hypergastrinémie favorise la transformation carcinoïde des cellules enterochromaffin-like de l'estomac in vitro et la SST empêche cette transformation tumorale.22 Récemment, trois patients présentant des tumeurs carcinoïdes gastriques dans un contexte d'hypergastrinémie massive sur MEN 1 et traitement antiacide ont été traités avec des analogues de la SST avec disparition des images endoscopiques de tumeur.23
Lors de son internalisation après liaison avec son ligand, SSTR peut véhiculer à l'intérieur de la cellule des analogues radiomarqués, lesquels peuvent exercer une action cytotoxique après liaison à l'ADN nucléaire. C'est le cas de l'octréotide radiomarqué avec 111In. Une étude récente portant sur trente patients présentant des TNE avancées a montré des résultats considérés comme prometteurs : sur vingt-et-un patients avec maladie progressive ayant reçu plus que 20 GBq de (111In-DTPAO) octréotide, huit ont montré une stabilisation de la maladie et six une réduction de la taille tumorale, sans effet secondaire majeur à deux ans.24 Les recherches en cours visent à augmenter l'efficacité antitumorale de ces traitements grâce à l'utilisation de radio-isotopes pouvant agir également sur les cellules tumorales voisines qui ne capteraient pas le produit, tout en limitant la toxicité sur les tissus non tumoraux. Dans ce contexte, le choix de l'analogue vecteur pourrait jouer également un rôle. A titre d'exemple, il a été développé récemment un analogue radiomarqué comportant deux radio-isotopes différents, 111In et 90Y associés au lanréotide, qui pourrait être utilisé dans le diagnostic et le traitement des TNE.25
Des études expérimentales ont démontré que SST, qui se lie puissamment aux cinq sous-types de SSTR humain, régule chacun de ces sous-types de manière différente en ce qui concerne l'internalisation et le recyclage des récepteurs. SSTR-1 montre peu d'internalisation mais un recyclage maximal alors que SSTR-3 et 5 montrent au contraire une internalisation importante et peu de recyclage.26 Ainsi des agonistes ayant une affinité sélective pour SSTR-1 seraient plus adéquats pour la scintigraphie (recyclage des récepteurs) et ceux avec affinité sélective pour SSR-3 et 5 seraient plus utiles pour la thérapie (internalisation). Des agonistes sélectifs pour SSTR-3 seraient particulièrement intéressants car dans des cellules transfectées avec les sous-types humains du récepteur, seul ce dernier était capable d'induire une mort cellulaire, les quatre autres sous-types du récepteur étant cytostatiques.27 La suppression sélective (knock out) des sous-types de SSTR chez des souris transgéniques a montré une régulation spécifique par ces sous-types des hormones des îlots de Langerhans.28 Dans le futur, le choix des analogues dans le diagnostic et le traitement des TNE pourrait être orienté par les sécrétions tumorales et par l'analyse des sous-types du SSTR dans le tissu tumoral.29
La SRS est devenue fondamentale dans le diagnostic et le suivi des TNE et le traitement avec des analogues de la SST permet d'obtenir une rémission symptomatique prolongée avec amélioration de la qualité de vie, en cas de maladie avancée. Le développement d'analogues sélectifs des sous-types de SSTR devrait permettre de mieux caractériser ces tumeurs et de mieux traiter les formes métastatiques.