L'avantage avec les Américains c'est qu'ils savent toujours nous surprendre.
Cette année, par exemple, les organisateurs de la conférence sur les rétrovirus, huitième du nom, ont demandé à un économiste de parler lors de la session d'ouverture.
Cette conférence, ordinairement réservée à des échanges très fondamentaux sur le virus VIH, a donc accueilli celui que les Américains estiment être le meilleur économiste au monde, Jeffrey Sachs, de l'université Harvard, de Boston.
Cet homme brillant conseille une vingtaine de pays dans le monde, surtout les républiques de l'ex-bloc soviétique.
Mais de l'Oural au Zambèze, il n'y a pas loin, et Jeffrey Sachs sait, désormais, ce qu'il faut faire pour prendre à bras le corps le problème du sida en Afrique.
L'Amérique vient, en effet, de découvrir que la pandémie liée au VIH menace jusqu'à l'existence même d'une partie du continent africain, une sorte de révélation soudaine.
Selon Larry Altman, le journaliste vedette du «New York Times», c'est la conférence de Durban, l'été
dernier, qui a provoqué cette pri-
se de conscience chez l'oncle Sam.
Et, comme d'ha-
bitude, la solution est assez simple, selon Sachs.
D'abord, le leadership ne peut être qu'américain !
Sans cela rien n'est possible.
Au passage, on apprend que l'Europe n'a jamais rien fait, pas plus que les ONG. Aucune expérience valable n'a, aux yeux de Sachs, été menée en Afrique. L'Ouganda et le Sénégal apprécieront sans aucun doute.
La chance de l'Afrique, toujours selon M. Sachs, c'est l'élection de George W. Bush. Il est l'ami de l'industrie pharmaceutique, et les laboratoires ne pourront pas lui refuser de casser les prix, selon l'économiste de Harvard.
Pas un mot sur les guerres, les déplacements de population, les drames quotidiens de l'Afrique. Pour Sachs, tout est simple, donnez les clefs aux Etats-Unis, et le problème se règle.
A la même tribune, Kevin de Kock, du CDC d'Atlanta, fit poliment remarquer au génie bostonien que tout passait aussi par la reconstruction d'un système de santé publique. «Je suis sûr» osa-t-il, «que si des médicaments arrivaient demain à Mombasa, au Kenya, jamais ils n'atteindraient le centre du pays».
Une remarque qui déconcentra quelques instants le futur Nobel d'économie.
Nul doute que lors d'un prochain voyage en Afrique, il profitera de l'occasion pour poser la question à l'un de ses interlocuteurs officiels, pour peu que le bruit de la climatisation de la suite ne gêne pas trop la conversation.
J.-D. Flaysakier
P.S. : décidément, nul n'est prophète en son pays. Trois jours après avoir été encensé par Sachs, George W. Bush a annoncé qu'il supprimait le poste de conseiller pour le sida que Clinton avait créé à la Maison Blanche. En même temps, il annoncait que l'Afrique devait ouvrir ses frontières aux produits américains. Pour le sida, on verra ensuite.