A propos de l'article : «Euthanasie, une mort plus digne ?» de J.-M. Guinchard. Médecine et Hygiène no 2331 du 24 janvier 2001.Monsieur le Rédacteur en chef,Suite à notre entente téléphonique, je vous adresse, en tant que Président de l'Association Exit-ADMD Suisse romande, une réponse à la Tribune de M. J.-M. Guinchard.L'euthanasie, choix d'une mort digne !Dans le journal Médecine et Hygiène No 233l du 24 janvier 2001, M. J.-M. Guinchard, Secrétaire général de l'Association des médecins du canton de Genève, s'interroge sur la problématique de l'assistance au décès en Suisse. Il définit le cadre juridique de l'assistance au suicide selon l'art. 115 du CPS et les directives de l'Académie suisse des sciences médicales (ASSM), puis il traite du débat sur l'euthanasie active selon l'art. 114 du CPS et la proposition de la majorité du groupe d'experts de la Commission fédérale «Assistance au décès» en faveur d'un complément de cet article permettant une exemption de peine dans des situations particulières. M. Guinchard, et c'est son droit, se pose alors en opposant à l'euthanasie qui, selon lui, bat en brèche le principe intangible du respect de la vie et ouvre la porte à tous les dérapages possibles.Je souhaite apporter le point de vue d'un partisan de l'assistance au suicide et de l'euthanasie.Assistance au suicideL'Association des médecins du canton de Genève esquive la question de l'assistance au suicide qui est légalement possible s'il n'y a pas de mobile égoïste et elle se réfugie derrière les directives de l'ASSM qui ne reconnaissent pas cette assistance comme une activité médicale. Je remarque que ces directives n'interdisent pas cette assistance qui représente, selon moi, le plus grand acte de compassion et d'accompagnement qu'un médecin puisse faire pour son patient. Un cas d'assistance au suicide est décrit sur le site internet de notre association (www.exit-geneve.ch). M. Guinchard devrait clairement dire que, pour des raisons éthiques d'es-sence religieuse,il s'oppose à ac-cepter que le patient choisisse le moment de sa mort.Le secrétaire général de l'AMG mention-ne le serment d'Hippocrate. Ce serment ne correspond manifestement plus aux normes éthiques de notre société qui accepte l'avortement contre l'avis d'Hippocrate.Soins palliatifs et assistance au décèsTout comme M. Guinchard, je suis en faveur du développement des soins palliatifs qui peuvent, sans aucun doute, faire diminuer le nombre de demandes d'assistance au décès, mais qui ne les éviteront pas toutes si l'on respecte l'autodétermination du patient. En Oregon, un patient incurable qui demande une assistance au suicide se verra proposer un traitement palliatif ; si malgré ce traitement le patient persiste dans sa demande, il recevra, dans le cadre des soins palliatifs la solution létale qu'il utilisera lui-même.En Hollande également, nos confrères ont abandonné depuis longtemps l'illusion que les soins palliatifs font disparaître toutes les demandes d'assistance au suicide ou d'euthanasie.En France, on arrive à la même conclusion puisque le Comité consultatif national d'éthique recommande d'introduire dans la loi une «exception d'euthanasie».Evolution de l'éthiqueNotre société est en pleine mutation et les valeurs morales évoluent en dehors des dogmes. La morale devient pluraliste et la liberté individuelle de chaque membre doit se placer de manière raisonnable par rapport à la liberté d'autrui. Un médecin doit être à même d'écouter et de discuter ouvertement avec son patient d'une demande d'assistance au décès. La qualité, l'intensité et la profondeur du dialogue en seront d'autant plus renforcées que se rapprochera le moment de cette aide ultime.Je souhaite que la Suisse s'engage sur le chemin de la Hollande et que le Parlement accepte le complément de l'art. 114 du CPS pour une exemption de peine dans des situations particulières d'euthanasie. Les demandes d'euthanasie existent et la littérature internationale montre qu'elles sont parfois satisfaites dans des situations clandestines mal évaluables et même discutables comme le démontre l'article «End-of-life decisions in medical practice in Flanders, Belgium a nationwide survey» «(Lancet 2000 ; 356 : 1806-11). Il ne s'agit plus de savoir si on est pour ou contre l'euthanasie, mais bien pour ou contre la poursuite de l'hypocrisie. Seule une euthanasie faite dans des conditions contrôlées et en toute transparence et visibilité permettra d'éviter tout dérapage.Réponse deM. J.-M. GuinchardMonsieur le Rédacteur en chef,Le Dr Sobel m'est connu et, même si je ne les partage pas, j'apprécie qu'il fasse valoir, en réponse à ma «Tribune» du 24 janvier 2001, ses arguments en faveur de l'euthanasie et du suicide assisté.J'ai axé mon article, d'une part, sur la situation légale actuelle et les projets en cours, d'autre part, sur une analyse éthique de l'euthanasie au regard de certains textes. Je ne me base donc pas sur une éthique d'essen-ce religieuse, mais sur des principes du respect de la vie, non dogmatiques, qui demeurent toujours d'actualité.Je pense que l'éthique n'est pas une mode et même si l'évolution de notre société est peut-être plus rapide qu'autrefois, il est des repères que notre société gardera toujours , du moins peut-on l'espérer , et l'acceptation d'une mort digne, et non d'un homicide, en fait partie.Le Dr Sobel me reproche de citer le serment d'Hippocrate pour condamner l'euthanasie au seul motif qu'il est désuet et qu'il condamne aussi l'avortement, ce dernier pourtant admis par notre société civile à certaines conditions.Deux réponses à cela : le serment d'Hippocrate est universel et conserve son actualité au fond, si ce n'est à la forme. De plus, le Dr Sobel ignore à dessein que je n'ai pas parlé de l'avortement, ni donné mon avis à ce sujet. L'avortement, singulièrement le début de la vie, fait l'objet de controverses depuis Aristote et dans toutes les cultures et religions. Aristote parlait d'ailleurs de l'embryon comme d'un «amas de cellules», dont la spécificité d'être humain n'était acquise que dès le 40e jour.Autre donc est le problème du début de la vie, dont le moment est controversé, face à la fin d'une existence qui s'est déjà déroulée. Mélanger les deux problèmes et invoquer le premier pour justifier le second est une démarche réductrice dont je conteste la pertinence.Le Dr Sobel, dont on connaît l'engagement et les positions en ce domaine, place l'euthanasie ac-tive au rang d'une activité quasi-médicale, à l'exclusion de toute autre qualification.C'est une démarche que je considère comme naïve, adepte du principe que tout est pour le mieux, tant que la loi règle le problème.Il ne suffit pas en effet de légiférer pour tout régler, surtout dans un sens si absolu. (Cette propension à une confiance aveugle dans la loi et les juristes m'étonne d'ailleurs toujours venant de médecins). Le Dr Sobel invoque à cet égard l'hypocrisie régissant la situation actuelle. Je le lui concède volontiers, conscient que l'on assiste parfois à des suicides assistés ou, pire, à des euthanasies actives. Rappelons toutefois que, par essence, la loi n'est pas là pour régler les cas exceptionnels. Elle pose la norme. L'exception, ses circonstances et ses éventuelles sanctions, sont ensuite appréciées par le juge.Je ne tiens pas, compte tenu de notre évolution démographique, à laisser à des parlementaires ou des juristes, voire à d'autres entités au cas où notre démocratie viendrait à changer, le soin de déterminer qu'il est simple, et non coupable, de décider de la fin d'une vie. C'est là le dérapage et il n'est éthiquement pas tolérable.J.-M. GuinchardJ. Sobel