Le traitement de l'anémie a récemment fait l'objet de nouvelles recommandations pour améliorer la prise en charge des patients en insuffisance rénale chronique. Dans cet article, nous résumons les principaux problèmes liés à l'anémie de l'insuffisance rénale et nous présentons les objectifs thérapeutiques afin d'améliorer la survie et la qualité de vie de ces malades. Les règles importantes du traitement sont mises en évidence et peuvent être appliquées actuellement comme les meilleures recommandations émises par la communauté des néphrologues européens.
Le traitement de l'anémie rénale a bénéficié récemment de progrès sensibles, en particulier concernant l'utilisation optimale du fer, et de meilleures connaissances sur le niveau de correction de l'anémie par l'érythropoïétine humaine recombinante (EPO-Hu-r) ainsi que l'intérêt clinique d'appliquer ces mesures. Ce sujet a déjà été présenté dans cette revue médicale1,2 et, par conséquent, il ne sera pas traité en détail dans cet article. Comme beaucoup de patients en insuffisance rénale chronique sont pris en charge également par le praticien, il nous a paru utile de réactualiser les directives du traitement de l'anémie rénale qui a fait l'objet de travaux de consensus pour mieux unifier les stratégies diagnostique et thérapeutique. Dans cette mise à jour, nous avons modifié et adapté les conseils pratiques en appliquant les nouvelles recommandations rédigées grâce à l'apport de la médecine factuelle par un groupe de travail européen composé de spécialistes en néphrologie.3A nouveau, nous insistons aussi pour que la prise en charge de l'insuffisant rénal chronique comporte à chaque fois l'avis du néphrologue afin que toutes les mesures utiles soient appliquées le plus précocement possible.
Les symptômes de l'anémie deviennent souvent évidents lorsque l'hémoglobine (Hb) s'abaisse en dessous de 10-11 g/dl, mais ils peuvent déjà compromettre la qualité de vie des malades même pour des valeurs supérieures, en cas de pathologies associées (cardiovasculaires notamment) ou chez les patients âgés. Les symptômes et signes de l'anémie rénale comprennent une fatigabilité accrue, une atteinte des fonctions cognitives, une baisse de la tolérance à l'exercice physique, une augmentation de la morbidité cardiovasculaire, une atteinte des fonctions endocriniennes et sexuelles ainsi qu'une altération des fonctions immunitaires.3
Bien que le niveau optimal de correction de l'anémie soit encore un sujet débattu (rapport coûts et risques potentiels-bénéfices), l'objectif actuel est d'atteindre une valeur de l'hématocrite > 11 g/dl. D'après le groupe de travail européen,3 si cette concentration minimale est atteinte ou dépassée, il est probable que la moyenne ou médiane pour la population totale des patients sera de 12-12,5 g/dl. Pour les patients atteints de maladies cardiovasculaires, la normalisation de l'Hb n'est pas recommandée sauf en cas de symptômes graves (par exemple angor). Chez les diabétiques, en l'absence de nouvelles données contrôlées, il semble justifié de maintenir un taux d'Hb entre 11 et 12 g/dl.
La correction de l'anémie par l'EPO-Hu-r améliore favorablement les paramètres cardiaques en modérant le haut débit cardiaque4 et en diminuant l'index de masse du ventricule gauche chez l'hémodialysé.5 La correction de l'anémie (Hb > 11 g/dl) peut aussi avoir une action préventive sur le développement de l'hypertrophie ventriculaire gauche.6 Il en résulte ainsi une réduction de la morbidité cardiovasculaire.7 Des études font aussi état d'un taux d'hospitalisation moins important.8,9 Comme la mortalité précoce des patients débutant un traitement dialytique est le plus souvent d'origine cardiovasculaire,10 il est de plus en plus évident que la réduction des facteurs de risque, que sont, entre autres, l'hypertension artérielle et probablement l'anémie, en partie responsable de l'hypertrophie ventriculaire gauche, présente un intérêt majeur si elle est entreprise assez tôt. Il faut encore signaler un travail tout récent11 portant sur le traitement de l'anémie, par l'EPO-Hu-r associée à du fer intraveineux, dans l'insuffisance cardiaque congestive. Les auteurs ont montré que la correction de l'Hb à une valeur de 12 g/dl permettait une amélioration de la fonction cardiaque et de la fonction rénale ainsi qu'une baisse des doses de diurétiques et des hospitalisations.
Les principaux effets bénéfiques de la correction de l'anémie rénale sont encore : une diminution de la fatigue, une augmentation de la capacité de travail et de la tolérance à l'exercice, un meilleur état nutritionnel, une amélioration des fonctions cognitives et du sentiment de bien-être ainsi que de la libido et une atténuation des troubles du cycle menstruel.12
D'après une récente conférence européenne de consensus,3 il est proposé de suivre une stratégie bien définie pour le traitement de l'anémie chez les patients en insuffisance rénale chronique. Selon le groupe de travail, ces recommandations sont présentées comme «une prise en charge appropriée, fondée sur des preuves scientifiques et un large consensus, et laissant une marge de manuvre pour des adaptations justifiées en pratique clinique».3 Il demeure néanmoins de la responsabilité du praticien d'appliquer ces recommandations en fonction des besoins individuels. La stratégie proposée continuera d'évoluer à la lumière de l'expérience acquise et de nouvelles études, portant notamment sur le rapport coûts-bénéfices du traitement.
1. Investigations de l'anémie. Lorsque Hb 12, néoplasie, état infectieux, maladies de système, hyperparathyroïdie sévère, hypothyroïdie, hémoglobinopathies) et surtout un déficit en fer. Si l'évaluation n'a pas permis de déceler d'autres causes d'anémie et si la clairance de la créatinine est
2. Indication à débuter le traitement. Lorsque Hb
3. Taux d'hémoglobine recommandé. Obtenir un taux d'Hb > 11 g/dl ; actuellement, la preuve d'une limite supérieure optimale n'a pas encore été définie par des études. Toutefois, il semble raisonnable de conseiller un taux d'Hb de 12 g/dl.
4. Evaluation et optimisation des réserves en fer. L'efficacité de l'EPO-Hu-r dépend avant tout des réserves en fer et de sa mobilisation. Pour atteindre l'objectif d'un taux d'Hb > 11 g/dl, il faut respecter les valeurs minimales suivantes : ferritine sérique > 100 µg/l, taux de saturation de la transferrine > 20% (ou érythrocytes hypochromes
Lors du traitement par l'EPO-Hu-r chez l'insuffisant rénal chronique, il faut envisager une substitution en fer de routine par voie orale (200 mg de fer élément en deux à trois prises quotidiennes). Si le fer par voie orale est mal toléré ou que les critères minimaux des réserves en fer ne sont pas atteints, il est nécessaire de recourir à l'administration de fer parentérale, de préférence avec le saccharate de fer i.v., sous forme de perfusion selon les recommandations du fabricant. En traitement de maintien, si la voie i.v. est préférée ou nécessaire, les doses de fer sont en moyenne de 200 mg par mois, mais elles peuvent varier assez largement et devront faire l'objet d'une évaluation selon chaque cas. Le traitement martial doit être interrompu durant trois mois si la ferritine sérique est > 800 µg/l ou le taux de saturation de la transferrine > 50%. Il faut se méfier des élévations de la ferritine sérique dues à un état inflammatoire ou une maladie hépatique ; dans ce cas, des doses faibles de fer et des contrôles fréquents seront nécessaires.
5. Fréquence des contrôles du bilan en fer. Le bilan du fer et son éventuelle correction en cas de déficit doivent impérativement précéder le début du traitement par l'EPO-Hu-r. Chez les patients en insuffisance rénale chronique non traités par l'EPO-Hu-r, qui présentent des réserves en fer suffisantes selon les critères établis, le contrôle de la ferritine sérique et du taux de saturation de la transferrine (ou des érythrocytes hypochromes) devra être effectué tous les trois à six mois. Durant la phase d'instauration du traitement et lors de l'augmentation des doses d'EPO-Hu-r, ces paramètres seront contrôlés toutes les quatre à six semaines chez les patients sans apport de fer parentéral et au moins tous les trois mois chez ceux recevant du fer i.v., jusqu'à ce que le taux d'Hb visé soit atteint. En phase de stabilité (Hb corrigée au niveau de 11-12 g/dl), les contrôles pourront être espacés à 3-6 mois.
6. Voie d'administration de l'EPO-Hu-r. La voie s.c. est privilégiée car elle est plus pratique (auto-administration) et plus économique. La fréquence des injections est le plus souvent d'une fois par semaine chez les patients en insuffisance rénale chronique (non dialysés). Si la dose hebdomadaire dépasse 4000 UI, on peut aussi appliquer deux injections hebdomadaires.
7. Posologie de l'EPO-Hu-r. La dose initiale sera de 50-100 (150) UI/kg/semaine ce qui correspond environ à 4000 à 6000 UI/semaine. Des doses plus élevées initialement pourront être nécessaires selon la gravité de l'anémie et les répercussions de celle-ci.
8. Ajustement des doses d'EPO-Hu-r. Si après le début du traitement ou après une augmentation de la dose, l'élévation de l'Hb est 2,5 g/dl par mois ou si l'objectif de la correction de l'anémie est dépassé, la dose hebdomadaire sera diminuée de 25-50%. Bien entendu, ces modifications tiendront compte de la présentation du produit de sorte que la dose administrée sera arrondie à la quantité d'EPO-Hu-r contenue dans l'ampoule ou la seringue préremplie la plus proche de la dose calculée ; il est aussi possible de modifier la fréquence des injections hebdomadaires pour adapter la posologie. Dans la pratique, la dose d'entretien médiane est kg/semaine et les doses efficaces les plus faibles sont proches de 50 UI/kg/semaine.
9. Contrôle du taux de l'hémoglobine. Le taux d'Hb sera mesuré toutes les 1-2 semaines initialement ou si les doses d'EPO-Hu-r viennent d'être modifiées. Dans la phase de stabilité, le contrôle du taux d'Hb sera pratiqué toutes les 6-8 semaines. En cas de maladies intercurrentes susceptibles d'influencer l'érythropoïèse, des mesures plus fréquentes pourraient être indiquées.
10. Réponse inadéquate au traitement par l'EPO-Hu-r. La résistance à l'EPO-Hu-r est définie comme l'incapacité d'atteindre l'objectif fixé malgré des doses d'EPO-Hu-r dépassant 300 UI/kg/semaine ou la nécessité de recourir à de telles doses pour maintenir cet objectif. La cause la plus fréquente est un déficit absolu ou fonctionnel en fer. Il faut également vérifier s'il s'agit d'une utilisation inadéquate de l'EPO-Hu-r ou d'un problème de compliance. Les autres causes de résistance qui devront être évaluées sont : les syndromes inflammatoires (infections, néoplasies, maladies de système), les hémopathies (myélome, syndrome myélodysplasique), les pertes de sang occulte, l'hémolyse, le déficit en vitamines (folate, vitamine B12), la malnutrition, l'hyperparathyroïdie sévère, l'hypothyroïdie, l'intoxication à l'aluminium (par exemple avec les gels d'alumine chélateurs du phosphore), les médicaments (par exemple des doses élevées d'un IECA ou d'un antagoniste des récepteurs de l'AII) ainsi que l'urémie à un stade très avancé.
11. Effet secondaire, l'hypertension artérielle. Un contrôle parfait de la pression artérielle (idéalement
12. Suivi des symptômes de l'urémie. Il est important d'évaluer au moins mensuellement l'état clinique et la fonction rénale en cas d'insuffisance rénale sévère, car l'effet favorable de l'EPO-Hu-r, notamment sur le bien-être du patient, pourrait atténuer certains symptômes urémiques et ainsi repousser trop tardivement l'instauration de la dialyse.
Il est vivement conseillé de recourir à l'appréciation d'un néphrologue avant l'instauration du traitement par l'EPO-Hu-r. L'avis du spécialiste est non seulement utile pour poser l'indication et les modalités du traitement par l'EPO-Hu-r, mais aussi pour instaurer les autres mesures indispensables à la prise en charge de l'insuffisance rénale chronique. De plus, il est justifié d'adresser au néphrologue tout patient présentant une insuffisance rénale chronique, même débutante, car une prise en charge précoce de tels patients par le spécialiste permet de réduire significativement l'incidence de la morbidité cardiovasculaire et d'augmenter notablement la survie durant le cours du traitement substitutif. Pour atteindre cet objectif, il est démontré que le recours au néphrologue devrait s'inscrire de façon optimale au moins dans les trois ans qui précèdent le stade terminal de l'insuffisance rénale.13