C'est un vrai bouleversement de notre perception de la génétique et de la biologie qu'induit la publication, dans les hebdomadaires Nature et Science datés des 15 et 16 février, des derniers résultats des travaux menés par le consortium international public «Projet du génome humain» (HGP) et le groupe privé et concurrent Celera Genomics dirigé par J. Craig Venter sur la structure du patrimoine génétique de l'espèce humaine. Notre patrimoine héréditaire ne comprend que 30 000 gènes «perdus» au sein de vastes «étendues désertiques» soit à peine le double de certains insectes au premier rang desquels la drosophile. L'espèce humaine est bien loin de disposer d'un vaste capital génétique. Son génome n'est guère plus complexe que celui des êtres vivants qui la précèdent du point de vue de l'évolution. On peinerait donc à vouloir établir ce qui distingue génétiquement les différentes races et ethnies qui composent notre espèce.
«Chaque individu sur terre partage 99,99% du même code génétique avec le reste des humains», soulignent les auteurs de Science. «En fait, des individus de groupes raciaux différents peuvent présenter plus de similarités génétiques entre eux que des individus pris au sein d'un même groupe. Les variations individuelles ne représentent que 0,01% de l'ensemble du génome.» Cette avancée dans le décryptage du génome humain, au-delà des nouvelles perspectives médicales qu'elle entrouvre, est riche «de révélations possibles sur la place que nous occupons dans le panorama varié des êtres vivants.» Pour Craig Venter, cette nouvelle cartographie génétique (contrairement à ce qui est depuis plusieurs années véhiculé sous forme d'idéologie du «tout biologique»), fait qu'il n'y a pas de «bons» et de «mauvais» gènes ; il faut imaginer un nouvel ordre de complexité, avec des «réseaux» inconnus qui restent à identifier dans lesquels les gènes ne seraient plus la seule et véritable clef de voà»te de l'organisation du vivant.
«Les généticiens sont désormais confrontés à un véritable problème. Non seulement le nombre de gènes humains n'est pas élevé, mais beaucoup sont identiques à ceux retrouvés dans d'autres espèces, y compris ceux du développement» a pour sa part déclaré au Monde Pierre Sanigo (Institut Cochin de biologie moléculaire, Paris). «Dans un domaine différent, on voit bien que le séquençage du VIH, réussi en 1985, ne nous a pas donné la solution pour combattre le sida. Il faut donc impérativement, pour comprendre, élargir les investigations, s'intéresser aux conditions de développement, à l'ADN répétitif, à l'écologie cellulaire, aux grands équilibres. Ces derniers résultats confortent la lecture de ceux qui pensent que les gènes nous fourniront à eux seuls les futurs remèdes aux maladies.»
Ainsi, en rétablissant la part du libre arbitre et en réduisant le fardeau du déterminisme, les généticiens sont confrontés à une tâche bien plus ardue que celle qu'ils croyaient la leur. Le «Grand livre de la vie» des génomes humains, animaux et végétaux sera sans doute bien plus difficile à déchiffrer qu'on ne le professait hier ; la génétique apprise sur les bancs des facultés de médecine du deuxième millénaire pourrait rapidement apparaître obsolète si elle ne l'est déjà .