Une énumération des nouvelles techniques en chirurgie cardiaque, apparues au cours de la dernière décennie, est présentée. Une discussion des avantages et des inconvénients de ces innovations est proposée, ainsi que leur application dans la pratique quotidienne. Actuellement, la plupart des maladies cardiaques sont réparables chirurgicalement, mais il est du devoir du chirurgien de choisir la technique donnant le meilleur résultat immédiat et la mortalité la plus faible, ainsi que le meilleur résultat à long terme. L'évolution et l'innovation des techniques chirurgicales se font dans ce but, mais la réussite et l'adoption de ces modifications doivent encore être confirmées par des études prospectives ou rétrospectives avec un recul suffisant. La tendance en chirurgie cardiaque va inévitablement vers une extension des indications aux âges extrêmes avec des résultats en amélioration constante.
Une revue des nouvelles techniques dans un sujet évoluant aussi rapidement que la chirurgie cardiaque ne peut être ni précise ni exhaustive. De nouvelles techniques apparaissent constamment dans les quatre ou cinq principaux journaux de chirurgie cardiaque publiés mensuellement. Certaines sont effectivement innovatrices, d'autres sont des améliorations de techniques décrites auparavant mais pas encore utilisées extensivement. Je m'efforcerai de résumer les tendances et les nouveautés en chirurgie cardiaque, sans parler des acquisitions de connaissances provenant des études randomisées et multicentriques.
Les sources principales de cet article sont les Annals of Thoracic Surgery, The Journal of Thoracic and Cardiovascular Surgery et The European Journal of Cardiothoracic Surgery et les congrès annuels de l'American Association for Thoracic Surgery, ainsi que de la European Association for Thoracic Surgery. La bibliographie comprend les articles principaux qui ont un intérêt particulier pour le lecteur.
Pour des raisons de simplicité et d'intérêt du lecteur, je me bornerai à faire un commentaire limité à la chirurgie d'adulte courante et quotidienne, sans entrer dans le domaine de la chirurgie de transplantation, de l'assistance ventriculaire ou du remplacement cardiaque total, ni de la chirurgie pédiatrique, qui nécessitent une connaissance détaillée des multiples prémisses de base pour pouvoir comprendre les innovations techniques.
Au cours des dix dernières années, on note l'apparition de nombreuses nouvelles voies d'accès chirurgical au cur. Dans l'histoire de la chirurgie cardiaque, la première approche utilisée par les pionniers des années 20, 30 et 40, a été la thoracotomie gauche. Avec l'introduction de la circulation extra-corporelle (CEC) aux environs de 1955, la sternotomie est devenue l'approche la plus utilisée en raison de sa simplicité, de la possibilité de pratiquer toutes les canulations pour la CEC (branchements des conduits de CEC sur les vaisseaux) et d'approcher toutes les cavités cardiaques, toutes les valves et toute la surface cardiaque. Cette incision peu douloureuse, pratique et remarquablement sûre, comporte un minimum de complications infectieuses et fonctionnelles. Néanmoins, elle n'est certainement pas esthétique.
Le développement des techniques laparoscopiques en chirurgie gynécologique, puis abdominale, a aussi poussé les chirurgiens cardiaques à réduire la taille des incisions : c'était le début de la chirurgie dite minimalement invasive. Une des premières applications de cette approche a été le pontage coronarien sur l'artère interventriculaire antérieure sans l'utilisation de la CEC appelée par la suite MIDCAB (Minimally Invasive Direct Coronary Artery Bypass).1 Curieusement le succès de cette approche n'était pas lié à l'esthétique de la petite thoracotomie antérieure gauche, quasi invisible chez la femme, mais surtout liée à l'absence de CEC. La démonstration, en premier lieu de la faisabilité des pontages à cur battant, puis surtout du bénéfice sur la rapidité de récupération et sur le raccourcissement de l'hospitalisation ont incité à un retour à la sternotomie pour effectuer de multiples pontages coronariens sans CEC.
Néanmoins les concepts de «mini-invasivité» ont été appliqués aussi à d'autres opérations : minithoracotomies droites pour malformations congénitales simples (CIA), chirurgie mitrale et réopérations valvulaires.2 Les sternotomies partielles (soit supérieures, soit inférieures) ont également été testées ainsi que les incisions parasternales. Il est difficile de faire des comparaisons et d'évaluer les bénéfices de cette pléthore d'approches, car les études sont biaisées par l'expérience et l'enthousiasme des auteurs.3 Peu de bénéfices réels dans les cas de routine en découlent, tels que raccourcissement du temps opératoire, diminution du besoin de transfusion ou réduction de la mortalité, toutefois la connaissance de ces nouvelles voies d'accès peut être très utile pour les réopérations et quelques situations particulières.
Sujet d'avant-garde, la chirurgie robotique en est encore à ses balbutiements. Des appareils très coûteux, nécessitant un entraînement intensif pour pratiquer des opérations habituelles existent. Le bénéfice d'être opéré par ces techniques où le chirurgien se tient à distance et manipule des bras articulés et des caméras à l'intérieur du corps est encore impossible à démontrer. Les incisions cutanées sont très petites, mais les interventions sont considérablement rallongées et l'accès en cas de complication majeure devient rapidement problématique. La recherche dans ce domaine se poursuit dans plusieurs centres européens et américains. Dans quelques années, ce seront peut-être des techniques de choix dans nos pays occidentaux du moins.
La protection myocardique a été un sujet de premier intérêt dès le début de la chirurgie cardiaque. L'introduction de la cardioplégie hyperkaliémique dans les années 1970 a permis des opérations plus sûres, des réparations plus longues, donc plus complexes, sur des curs plus fragiles et plus éprouvés. De nombreuses études ont été menées sur la cardioplégie amenant une meilleure compréhension du métabolisme cellulaire, des modalités d'application, de la température et de la composition des diverses solutions proposées ainsi que leurs additifs.
Au courant de la dernière décennie quelques simplifications dans ces recettes de cuisine complexes ont été proposées : d'abord l'utilisation du sang du patient comme transporteur. En effet, il a été démontré que l'utilisation du sang, avec sa composition complexe d'électrolytes et d'albumines, évite en partie l'dème myocardique, usuel lorsqu'on utilise les cardioplégies en solution cristalline. D'autre part, les propriétés de fluide non newtonien (corpusculaire) du sang ont été utilisées pour obtenir une meilleure distribution de la cardioplégie dans les myocardes irrigués par des coronaires très sténosées.4 Certains auteurs ont pu démontrer l'efficacité de solutions extrêmement simples, telles que du sang de l'oxygénateur provenant de la CEC, additionné uniquement d'une solution de chlorure de potassium et administré par intermittence à température corporelle normale.5
Là aussi, l'évolution s'est faite à partir de techniques compliquées vers des techniques plus simples avec une explication rationnelle et scientifique.
La revascularisation myocardique est sans doute l'opération cardiaque la plus pratiquée au monde. Malgré l'acceptation des indications principales, grâce notamment aux études randomisées multicentriques des années 1970-1980, cette chirurgie reste pourtant très controversée.
Au cours de ces dernières années, le débat s'est cristallisé sur l'utilisation des greffons artériels multiples ou le «tout artériel», par rapport aux combinaisons greffon artériel et greffon veineux. Les études de la Cleveland Clinic au début des années 1980 ont montré la supériorité à tous points de vue (survie, qualité de vie, récidive d'infarctus) des patients ayant un pontage avec l'artère mammaire interne (AMI) gauche sur l'artère interventriculaire antérieure, associé à des pontages veineux en comparaison des patients revascularisés à l'aide de pontages veineux uniquement. Cet effet bénéfique est certainement lié à la perméabilité nettement supérieure de l'AMI par rapport aux greffons veineux. Cette observation a encouragé de nombreux chirurgiens à faire des pontages avec d'autres greffons artériels (artère mammaire interne droite, artère gastro-épiploïque, artère radiale, artère épigastrique, artère circonflexe fémorale et autres).
Ces expériences ont démontré la faisabilité de ces opérations, mais le bénéfice du tout artériel par rapport aux greffons veineux sur les artères autres que l'artère interventriculaire antérieure (IVA), a été difficile à prouver pour diverses raisons. D'une part les autres artères coronaires n'ont pas l'importance vitale de l'IVA, liée au grand territoire irrigué notamment par sa ramification septale. Les autres greffons artériels n'ont pas les mêmes caractéristiques histologiques, ni biologiques dans leur endothélium et leur perméabilité à long terme n'égale pas l'AMI gauche. Finalement, le prélèvement de multiples greffons artériels a provoqué des complications ischémiques occasionnelles (pour l'artère radiale, pour le prélèvement mammaire bilatéral) et un délabrement supplémentaire (artère gastro-épiploïque).
Actuellement, on s'accorde à reconnaître qu'il y a un petit bénéfice à la survie par revascularisation du système coronarien gauche par des mammaires bilatérales et qu'il y a une diminution du taux de réopération avec de multiples greffons artériels. Cependant, les réopérations, si elles deviennent nécessaires, sont beaucoup plus difficiles et risquées. Le bénéfice à long terme du point de vue de la survie de l'utilisation des autres greffons artériels n'a pas été démontré pour l'instant. Chaque chirurgien doit choisir les greffons en fonction de l'âge de son patient, de la présence d'autres maladies (diabète), de l'état des coronaires, de la fonction ventriculaire gauche et de la qualité des greffons disponibles, ainsi que de son expérience personnelle.
L'autre innovation récente en chirurgie coronarienne est la revascularisation sans utilisation de la circulation extracorporelle. Comme mentionné au préalable, la chirurgie mini-invasive (MIDCAB) a ouvert la voie à la chirurgie coronarienne sans CEC. Le succès du MIDCAB a été appliqué aux revascularisations multiples. C'est pourquoi de nombreuses astuces techniques ont été utilisées : écarteurs, stabilisateurs, systèmes d'occlusion coronarienne et de perfusion coronarienne transitoire ainsi que souffleurs, utilisés pour immobiliser et permettre une meilleure visualisation de l'anastomose. La raison principale de cette démarche est d'éviter les complications rares, mais débilitantes, de la CEC telles qu'embolies cérébrales athéromateuses, embolies gazeuses et le syndrome inflammatoire systémique, moins grave mais très fréquent et pénible pour les malades. Les patients opérés sans CEC ont des séjours hospitaliers plus courts, des intubations et des séjours aux soins intensifs plus brefs et moins de transfusions.6
S'il y a eu un doute quant à la qualité des anastomoses faites à cur battant, actuellement plusieurs travaux avec des contrôles angiographiques postopératoires ont pu démontrer une perméabilité anastomotique semblable des anastomoses à cur battant ou en CEC.
L'adoption de cette innovation technique a une fréquence variable. Certains chirurgiens ont cessé d'utiliser la CEC pour des pontages coronariens, d'autres sont plus réticents. Il est probable que 30 à 50% des patients pourraient bénéficier de pontages coronariens à cur battant, tandis que cette population était de 3 à 5% pour des MIDCAB.
Les nouveautés techniques en chirurgie valvulaire sont essentiellement en relation avec la valve aortique. Depuis plus de vingt ans les travaux de Carpentier et Duran ont montré la faisabilité de la réparation de la valve mitrale et ces techniques se sont répandues, permettant de réparer jusqu'à 90% des valves mitrales insuffisantes dans les maladies dégénératives.7 Le succès dans les maladies rhumatismales de la valve mitrale est beaucoup plus aléatoire et, au vu des progrès des prothèses, il persiste un doute sur l'utilité des techniques réparatrices dans cette indication.
La nouveauté réside dans l'approche réparatrice pour les insuffisances aortiques associées aux anévrismes de l'aorte ascendante. Jusque-là cette situation nécessitait un remplacement valvulaire aortique et un remplacement de l'aorte ascendante par une prothèse composite (tube en Dacron aortique et prothèse valvulaire en une pièce) dans laquelle on réimplantait les ostia coronariens (opération de Bentall). Tirone David à Toronto, Magdi Yacoub en Angleterre et Hans Borst en Allemagne ont décrit indépendamment, mais simultanément, une technique de remplacement de la racine aortique en conservant la valve aortique. Dans cette technique, la découpe particulière de la prothèse aortique et le soutien ainsi apporté aux feuillets valvulaires, redonne une compétence à la valve aortique. Cette opération permet d'éviter les ennuis à long terme d'une prothèse valvulaire, qu'elle soit mécanique ou biologique. L'opération peut aussi être appliquée dans les dissections aortiques. Actuellement on commence à connaître les résultats à moyen terme de l'opération et ceux-ci semblent excellents.8
En ce qui concerne la valve mitrale, les techniques décrites par Carpentier continuent à être appliquées avec succès, associées à l'implantation d'anneaux synthétiques de type, de forme et de rigidité variables sans qu'on puisse démontrer un avantage de l'un ou l'autre des modèles sur le marché.
Une nouvelle technique de réparation mitrale a été décrite récemment par Ottavio Alfieri de Milan. Cette technique s'applique aux prolapsus de la valve antérieure ou de la partie moyenne de la valve postérieure, qu'ils soient dus à un allongement ou à une rupture de cordages.9 Alfieri a démontré que de suturer le milieu du bord libre de la valve antérieure à celui de la valve postérieure, créant un double orifice mitral, est parfaitement tolérable du point de vue du flux transvalvulaire et efficace pour rendre la valve compétente par le soutien emprunté à la valve saine. Il s'agit d'un geste extrêmement simple, rapidement exécuté et utile dans les opérations longues (valves multiples ou chirurgie combinée, valve plus coronaires) ou lorsque l'accès à la valve mitrale est difficile.
La recherche de nouvelles prothèses se poursuit avec le souci d'améliorer la fonction (gradient transvalvulaire, risque de thromboembolie, risque d'endocardite prothétique) et la durabilité des valves (dégénérescence tissulaire calcifiante). Certains efforts ont été couronnés de succès mais d'autres pas. L'imprégnation par des sels d'argent aux vertus antibactériennes des anneaux des prothèses avait comme espoir de diminuer le risque d'endocardite postopératoire. Ce procédé a dû être abandonné en raison de l'incidence accrue de fuites paravalvulaires.
Pour tenter de rallonger la durée de vie des prothèses biologiques, on a non seulement introduit des traitements nouveaux des surfaces biologiques des feuillets contre la minéralisation, mais on a aussi modifié la construction des valves en évitant les tiraillements entre la partie mobile (feuillet biologique) et la partie rigide (soutien métallique ou stent). Les valves ainsi créées, appelées valves «stentless» et utilisées surtout au niveau aortique, ont des avantages indiscutables en ce qui concerne le gradient postopératoire, l'accroissement de leur longévité reste toutefois à prouver.10
Une opération décrite il y a bien des années pour les valvulopathies aortiques, ainsi que pour les endocardites prothétiques au niveau aortique, est revenue à la mode.11 Il s'agit de l'opération de Ross, lors de laquelle on remplace la racine aortique et la valve aortique malade, par l'artère pulmonaire du même patient. Puis on remplace l'artère pulmonaire par une homogreffe cadavérique. Cette opération complexe est utilisée chez les patients jeunes, pour les endocardites prothétiques et pour d'autres indications. Elle se fait actuellement avec une mortalité acceptable, mais il persiste encore des doutes quant à la longévité du transplantat pulmonaire (fonctionnant habituellement dans un système à basse pression) en position aortique (fonctionnant à haute pression).12
Ces dernières années ont apporté plusieurs clarifications et de nouveaux choix à la chirurgie cardiaque. Tous les problèmes n'ont pas été résolus ni tous les doutes levés. Mais l'acquisition de nouvelles techniques et la connaissance des résultats apportent une nouvelle base rationnelle aux choix imposés au chirurgien. Le risque que le chirurgien doit assumer pour son patient est donc diminué quelque peu au bénéfice de l'un comme de l'autre.