Le tournis, sinon le vertige. Telle est l'impression donnée, en cette fin du premier mois du troisième millénaire, par la somme considérable d'informations, de décisions, de réactions, de protestations, d'interrogations multiformes autour de l'ESB. Comment retenir, hiérarchiser, décrypter, chercher dans ce torrent médiatique ce qui sera triste pépite et simple sable ? Comment ne pas prendre ici une responsabilité devant l'histoire, la justice peut-être ? Dans l'attente des minutes et des prétoires, continuons ce patient travail d'archivage de l'instant imprimé qui ne cesse de nous dépasser. En ce 30 janvier, à Bruxelles, Franz Fischler, le commissaire européen à l'Agriculture, a averti que la crise du marché bovin, consécutive à l'épizootie de la maladie de la vache folle, était plus hautement grave encore que l'on aurait pu le penser et que les dernières indications sur ce dossier étaient «alarmantes».
«Une consommation en chute libre et des frigos bourrés à craquer vont peser lourdement sur le budget agricole communautaire annuel qui est de 40 milliards d'euros (37 milliards de dollars américains), précise l'agence de presse Reuters. Des responsables européens ont estimé que, dans le pire des cas, le surcoà»t entraîné par la crise pourrait atteindre 6,8 milliards d'euros d'ici à la mi-octobre 2005. La variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob (vMCJ), forme humaine de l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), a déjà fait plus de 80 morts en Grande-Bretagne et deux en France, provoquant une forte chute de la consommation de viande de boeuf». Et tout cela prend une dimension mondiale. A Washington, des responsables gouvernementaux et agricoles se sont rencontrés pour discuter des éventuelles mesures à prendre pour protéger le pays contre cette maladie.
A l'issue de la réunion, des groupes agricoles ont déclaré que la réglementation américaine était à leur avis «assez stricte» et ils ont promis de la respecter «en ne nourrissant pas leur bétail avec des farines animales». Pourquoi si tard ? D'autres «responsables» américains ont reconnu que certains aliments pour bétail, interdits parce que susceptibles d'être contaminés, pourraient avoir été importés d'Europe aux Etats-Unis au cours de la dernière décennie, bien que l'on n'ait pas trouvé d'aliments de ce type. Depuis quand le savaient-ils ? Pourquoi la Food and Drug Administration a-t-elle consigné la semaine dernière un lot d'aliments pour bétail afin de vérifier s'il ne contenait pas de farines animales interdites ?
Les ministres de l'Agriculture des Quinze se sont rencontrés hier à Bruxelles (pour la première fois depuis l'entrée en vigueur, le 1er janvier, de la généralisation du dépistage pour les animaux âgés de plus de trente mois et l'interdiction totale des farines carnées pour l'alimentation animale). Ils ont ajouté trois nouvelles mesures de précaution pour éviter la propagation de l'épidémie d'ESB et surtout, «rassurer les consommateurs». Les colonnes vertébrales bovines désormais considérées comme faisant partie des «matériaux à risque», devront être retirées de tous les bovins et les viandes, séparées mécaniquement des os, seront définitivement interdites. C'en est fini, donc, de la côte de boeuf à l'ancienne autant qu'«à la française». Et haro définitif sur les T-bones dont l'origine et la tradition gastronomique nous sont moins bien connues.
Quant aux graisses de bovins, qui sont utilisées pour enrichir l'alimentation des animaux, elles devront subir un traitement nouveau et spécial. A Londres, les services de contrôle de l'alimentation ont fait savoir qu'ils renforçaient leur contrôle de la viande de boeuf en provenance d'Allemagne à la suite de la découverte dans un lot de produits bovins de trace de moelle épinière, officiellement prohibée. De la moelle épinière avait déjà été découverte, il y a quelques jours en Irlande du Nord, dans de la viande de boeuf importée d'Allemagne. Plus grave, Franz Fischler ose désormais dresser un tableau apocalyptique de la situation du marché de la viande bovine. Parlons chiffres. En décembre, la Commission européenne tablait sur une baisse de 10% de la consommation en 2001, un phénomène qui devrait être assez rapidement surmonté par les mesures de restauration de la confiance prises en décembre dernier par les Quinze.
Or, la consommation européenne a chuté non pas de 10, mais de 27% ces derniers mois, avec une pointe en Allemagne (moins 50% !), en Italie, en Espagne et en Grèce (moins 40% !), la France se situant dans la «moyenne» avec une baisse de 25%. Imagine-t-on les conséquences d'une telle réduction des achats dans le secteur automobile, médicamenteux ou énergétique ? Les éleveurs européens qui avaient gardé leurs bovins à la fin de 2000 dans l'espoir de voir les prix remonter, sont désormais obligés de faire de la place dans les étables et d'acheter de la nourriture. Pour aggraver le tableau, de nombreux pays tiers refusent la viande européenne, ce qui n'avait pas , pourquoi ? , été prévu par les services de la Commission.
Si la tendance se poursuit, les entrepôts frigorifiques de l'Union européenne risquent d'être encombrés fin 2001 de près d'un million de tonnes, soit leur capacité maximale, et il faudra les «vider» (comment ?) régulièrement, puisque ce chiffre pourrait doubler d'ici à la fin de 2003, à 2,298 millions de tonnes. «Si nous faisons cela, les dépenses agricoles exploseront tout simplement, ce qui entraînerait des réductions d'aides dans d'autres secteurs agricoles», avertit Franz Fischler. Pour l'heure, l'Union européenne ne dispose que d'un milliard d'euros à consacrer à la crise de l'ESB, mais cette enveloppe était basée sur une réduction de 10% de la consommation de viande bovine. Le commissaire européen au budget, Michaele Schreyer, avertit que si la crise se prolonge, il faudrait procéder à des réductions budgétaires dans d'autres domaines. Pour l'heure, rappelle Reuters, la Suisse est jusqu'ici le seul pays extérieur à l'UE à avoir officiellement , et non sans un certain courage ajouterons-nous , fait état de cas autochtones d'ESB.
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