Les polyarthrites et les connectivites présentent certaines particularités cliniques et biologiques lorsqu'elles apparaissent à l'âge avancé. La polyarthrite rhumatoïde est plus souvent séronégative (absence de facteurs rhumatoïdes) avec une installation brutale des manifestions articulaires, et des atteintes des grandes articulations proximales pouvant mimer une polymyalgia rheumatica. Le diagnostic différentiel des polyarthrites séronégatives à début tardif inclut également le RS3PE, la polymyalgia rheumatica, les arthrites microcristallines, les spondarthropathies et les arthrites paranéoplasiques. Les connectivites ont également des particularités cliniques lorsqu'elles apparaissent à l'âge avancé. Les polymyosites-dermatomyosites ont un pronostic plus sévère. Au contraire, le lupus érythémateux systémique à début tardif est une maladie plus bénigne avec en particulier, une fréquence diminuée d'atteintes rénales et neurologiques.
L'augmentation rapide de la population gériatrique motive un intérêt croissant pour le diagnostic et la prise en charge des problèmes médicaux chez les sujets âgés. Approximativement, 50% des personnes de plus de 65 ans présentent des plaintes articulaires.1 Certains rhumatismes inflammatoires touchent de manière relativement spécifique les sujets âgés, comme la polymyalgia rheumatica, l'artérite gigantocellulaire (maladie de Horton), et la chondrocalcinose. D'autres affections, telles que la polyarthrite rhumatoïde (PR) et certaines connectivites présentent un certain nombre de particularités lorsqu'elles apparaissent à l'âge avancé. Ces différences cliniques et biologiques sont revues en détail dans cet article.
La polyarthrite rhumatoïde (PR) est un rhumatisme inflammatoire qui touche plus fréquemment les femmes entre 30 et 50 ans. L'incidence de la PR chez la femme diminue avec l'âge et la différence de susceptibilité entre les sexes n'est plus retrouvée chez les patients de plus de 60 ans. Quelques études ont comparé les manifestations cliniques de la PR en fonction de l'âge d'apparition des arthrites (tableau 1).2-4 En général, à l'âge avancé, la PR a un début plus aigu, qui peut parfois faire évoquer un épisode infectieux. Les grosses articulations sont plus fréquemment atteintes avec parfois des douleurs de la racine des membres (forme rhizomélique) pouvant faire évoquer une polymyalgia rheumatica. L'atteinte de l'état général avec perte de poids et la présence d'un syndrome inflammatoire biologique marqué sont fréquemment présentes chez les patients âgés. La recherche de facteurs rhumatoïdes est souvent négative.2,3
Les études cliniques donnent des résultats discordants en ce qui concerne le pronostic. Les premières observations ont suggéré que la PR du sujet âgé avait un pronostic meilleur que la PR de l'adulte jeune, alors que d'autres travaux ne retrouvent pas cette différence. Comme le démontre une étude prospective récente, ces variations sont probablement secondaires à l'hétérogénéité de la PR. En effet, les patients avec polyarthrites ont un pronostic très différent en fonction du sous-groupe étudié. Ceux qui répondent dès le départ aux critères diagnostiques de PR séropositive ont un mauvais pronostic avec persistance des arthrites, un handicap fonctionnel important et une mortalité accrue après une période d'observation de cinq ans, alors que les polyarthrites inclassables et séronégatives sont généralement plus bénignes.5
Les traitements de la PR du sujet âgé ne sont pas différents de ceux habituellement prescrits chez l'adulte jeune. Les corticoïdes sont très souvent utilisés et permettent d'obtenir une réponse rapide. Toutefois, il est important d'utiliser de faibles doses et de prévenir la survenue de l'ostéoporose cortisonique par la prescription de calcium, de vitamine D et de bisphosphonates. Les effets secondaires des traitements de fond de la PR apparaissent plus fréquemment chez les patients âgés. Deux méta-analyses récentes ont démontré que ces complications sont relativement bénignes et ne motivent pas plus d'interruption de traitement que chez les patients plus jeunes.6,7
Le tableau 2 résume le diagnostic différentiel des polyarthrites séronégatives chez la personne âgée. Certains diagnostics, tels que la polymyalgia rheumatica et les rhumatismes microcristallins sont discutés ailleurs dans ce journal.
RS3PE est un acronyme pour remitting seronegative symmetrical synovitis with pitting edema que l'on peut traduire par polyarthrite symétrique séronégative démateuse non progressive. Cette entité clinique a été décrite en 1985 par McCarty et coll.8 Elle se caractérise par l'apparition brutale d'arthrites des poignets et des doigts associées à un dème important du dos des mains, prenant le godet (fig. 1). Une ténosynovite des fléchisseurs des doigts est habituellement présente. La recherche de facteurs rhumatoïdes est négative et le pronostic est favorable avec une résolution rapide des manifestations cliniques sous petites doses de corticoïdes. Il peut toutefois subsister une contracture en flexion des doigts. Dans leur série de patients avec RS3PE, McCarty et coll. ont mis en évidence une augmentation significative de la fréquence de l'HLA B7 (54% chez les patients avec RS3PE, 27% dans la population contrôle). Par contre, la relation avec les HLA habituellement associés à la PR n'a pas été retrouvée. Il semble donc que par ces caractéristiques cliniques (absence de facteurs rhumatoïdes, réponse favorable à de petites doses de corticoïdes, pronostic bénin) et immunogénétiques, le RS3PE devrait être considéré comme une entité clinique distincte de la PR.
L'dème dans les polyarthrites du sujet âgé n'est pas spécifique du RS3PE et peut être présent dans d'autres types d'arthrites telles que les arthrites microcristallines, les spondarthropathies, la PR et les arthrites paranéoplasiques. Par ailleurs, certains patients considérés au départ comme ayant un RS3PE évolueront par la suite vers un autre rhumatisme inflammatoire.8 Le RS3PE devrait donc être considéré comme un syndrome qui recouvre d'une part une entité clinique associée avec un pronostic bénin et d'autre part comme une présentation clinique initiale de nombreuses autres arthropathies inflammatoires du sujet âgé. Cette hétérogénéité permet d'expliquer les différences rapportées dans la littérature en ce qui concerne le pronostic des patients avec RS3PE.
Les spondarthropathies représentent un ensemble de rhumatismes inflammatoires associés plus ou moins fortement à la présence de l'HLA B27. La spondylarthrite ankylosante est le prototype clinique de ce groupe d'affections inflammatoires, qui touchent de manière prépondérante les hommes jeunes. D'autres affections telles que les arthrites réactionnelles, les arthrites associées aux entérocolopathies inflammatoires et au psoriasis font également partie des spondarthropathies. Récemment, des cas de spondarthropathies à début tardif ont été décrits. Ces patients de plus de 50 ans avaient des arthrites des membres inférieurs associées avec un dème, une altération marquée de l'état général, une réponse médiocre aux anti-inflammatoires non stéroïdiens, dans certains cas des atteintes radiologiques typiques de la spondylarthrite ankylosante, et une association avec l'antigène HLA B27.9
Une étude comparative prospective chez des patients avec rhumatisme psoriasique (50 patients ¾ 60 ans et 16 patients > 60 ans au début de la maladie) a montré que les patients âgés avaient un pronostic plus mauvais après un suivi de deux ans.10Toutefois, en raison du nombre limité de patients inclus dans cette étude, ces résultats devraient être reconfirmés.
Les incidences de polyarthrites et de cancers sont relativement élevées dans la population générale et l'association des deux affections n'est a priori pas surprenante. Par ailleurs, l'association avec un lymphome est deux à trois fois plus élevée au cours de la PR que dans la population générale. Toutefois, certains auteurs ont rapporté la survenue de polyarthrites séronégatives apparaissant peu avant ou juste après le diagnostic de néoplasie. Ces polyarthrites se caractérisent pas un début aigu et une atteinte articulaire asymétrique prédominant aux membres inférieurs. La recherche de facteurs rhumatoïdes est généralement négative. L'évolution de la polyarthrite peut suivre celle de la tumeur, avec une amélioration des phénomènes inflammatoires articulaires en cas de rémission, et réapparition des arthrites lors de la récidive tumorale. Parfois, la polyarthrite peut aussi se présenter comme une polyarthrite rhumatoïde séronégative ou mimer un RS3PE.8 D'un point de vue pratique, il faut évoquer la possibilité d'une néoplasie sous-jacente en cas de polyarthrite séronégative chez un sujet âgé. Les néoplasies les plus fréquemment retrouvées sont celles habituellement décrites dans la population telles que le cancer du sein et de la prostate. Il est donc raisonnable d'inclure en plus des examens biologiques habituels, un examen des seins et de la prostate. Par contre, des investigations approfondies en l'absence de signes cliniques semblent peu utiles.
L'ostéoarthropathie hypertrophiante pneumique de Pierre-Marie peut aussi se présenter comme une polyarthrite séronégative. Les appositions périostées des os longs, un liquide articulaire paucicellulaire, et l'hippocratisme digital sont des signes caractéristiques. Cette affection est fréquemment associée à un cancer pulmonaire. Toutefois, d'autres affections cancéreuses (mésothéliomes) et non tumorales (cirrhose biliaire primitive, entérocolopathies inflammatoires, cardiopathies cyanogènes, maladie de Basedow) peuvent également être associées. L'évolution de cette ostéoarthropathie est en général influencée favorablement par le traitement de l'affection sous-jacente.
Les connectivites sont des maladies systémiques pour lesquelles une cause autoimmune est généralement acceptée. Ces affections sont peu fréquentes dans la population générale et, par conséquent, les études spécifiques dans la population gériatrique sont rares. Les résultats de quelques travaux indiquent que les connectivites à début tardif présentent des particularités cliniques et biologiques.
Les polymyosites-dermatomyosites sont des myopathies inflammatoires rares d'origine indéterminée. Deux études ont examiné de manière comparative les polymyosites-dermatomyosites en fonction de l'âge d'apparition de la maladie. Les résultats montrent que les polymyosites-dermatomyosites du sujet âgé sont plus sévères avec une moins bonne réponse aux traitements et une mortalité plus élevée.11 L'atteinte sophagienne et les infections pulmonaires secondaires sont plus fréquentes dans le groupe de patients de plus de 65 ans. L'association avec une néoplasie est aussi plus fréquente chez les patients âgés, en particulier chez ceux avec dermatomyosite. Une prédominance de cancer de l'ovaire et du côlon est décrite.11,12
Les sclérodermies du sujet âgé ont plus fréquemment une atteinte cutanée limitée, la présence d'anticorps anticentromère et un syndrome de type CREST (calcinose, syndrome de Raynaud, atteinte sophagienne, sclérodactylie, télangiectasies).13 Les conclusions des études varient au sujet du pronostic des sclérodermies à début tardif.
En ce qui concerne le syndrome de Sjögren, des études comparatives n'ont pas mis en évidence de différences significatives en fonction de l'âge d'apparition de la maladie.14
Le lupus érythémateux systémique (LES) est une affection inflammatoire autoimmune touchant de manière prédominante les femmes jeunes. La distribution par sexe est de neuf femmes pour un homme. La survenue du LES dans la population gériatrique est rare et ces patients présentent des caractéristiques épidémiologiques et cliniques différentes de celles observées chez l'adulte jeune.15 La prépondérance féminine est moins marquée chez les patients âgés. Le LES à début tardif atteint de manière prédominante les Caucasiens, alors que chez l'adulte jeune, le lupus est plus fréquent chez les Noirs. Les manifestations cliniques du LES du sujet âgé sont peu spécifiques avec notamment une baisse de l'état général, des arthralgies et arthrites avec parfois la présence de douleurs de type polymyalgia rheumatica, des troubles cognitifs, des céphalées et une irritabilité. Par conséquent, le diagnostic de LES à début tardif peut être difficile à établir et est généralement posé après une évolution de plusieurs mois. Les atteintes rénales et cérébrales sont plus rares (tableau 3) et le LES du sujet âgé a donc un pronostic relativement bénin.
Un certain nombre d'altérations immunologiques associées avec l'âge sont décrites. Elles touchent principalement la fonction des lymphocytes T au niveau de leur capacité à répondre à de nouveaux antigènes et de leur activité cytotoxique. De plus, des anomalies de la réponse humorale sont décrites avec en particulier une augmentation des taux circulants d'autoanticorps chez les sujets âgés sains. La présence d'anticorps antinucléaires et de facteurs rhumatoïdes peut être retrouvée dans environ 30% de la population gériatrique en bonne santé. Des anticorps anticardiolipine et anti-DNA natifs ont également été détectés chez 50% et 14% des sujets âgés sains, respectivement. Ces autoanticorps naturels n'ont a priori pas de rôles pathogéniques (anticorps de faible affinité, titre peu élevé). Les liens entre ces altérations du système immunitaire et la survenue de maladies inflammatoires ou autoimmunes à l'âge avancé ne sont donc pas établis.