Les fractures par insuffisance, plus fréquentes chez les sujets âgés, siègent surtout au squelette jambier et sur la ceinture pelvienne. Le tableau clinique se caractérise par des douleurs mécaniques progressives avec une douleur à la palpation locale et parfois des signes locaux d'inflammation sans signes généraux. La vitesse de sédimentation est normale ainsi qu'habituellement l'exploration du métabolisme phosphocalcique. La radiographie, peu sensible au départ, mérite d'être répétée après quelques semaines. La scintigraphie osseuse est plus sensible mais peu spécifique. L'IRM est également sensible, mais avec une meilleure spécificité pour certaines localisations. Plusieurs circonstances entraînant une diminution de la résistance osseuse (ostéoporose, ostéomalacie ) prédisposent à ce type de fracture. Leur recherche et la mise en évidence par l'anamnèse d'une activité physique accrue dans les jours ou les semaines précédents sont primordiales. Sans traitement, l'évolution peut être longue, aboutissant parfois à une vraie fracture. Le traitement comporte la mise en décharge avec une guérison en quelques semaines, si le diagnostic est précoce.
De nombreux termes sont employés comme synonymes de fracture lente, à savoir : fracture de stress, de contrainte, de fatigue, par insuffisance... Toutes ces fractures ont en commun de ne pas être associées à un traumatisme franc et de résulter d'un déséquilibre entre les forces exercées sur un os et la résistance propre de celui-ci. Il convient néanmoins de différencier certains de ces termes. Fractures lentes, de stress et de contrainte sont synonymes et ne donnent pas d'indication sur l'importance de la contrainte extérieure ni de la normalité de l'os sous-jacent. Elles regroupent les fractures de fatigue et les fractures par insuffisance. Ces fractures sont différentes des fractures traumatiques et des fractures pathologiques sur os tumoral ou infecté qui ne seront pas abordées ici. Les fractures de fatigue résultent de contraintes mécaniques répétitives inhabituelles sur un os normal, alors que les fractures par insuffisance sont associées à des contraintes mécaniques normales, mais sur un os dont la résistance élastique est réduite. Schématiquement, les premières affectent plutôt l'adulte jeune, alors que les fractures par insuffisance surviennent chez les sujets plus âgés. Dans le cadre du sujet choisi («rhumatisme chez les personnes du 3eâge»), le reste de cet article concernera essentiellement ces dernières, avec pour buts de définir les circonstances d'apparition, le tableau clinique, les examens paracliniques, ainsi que l'évolution et les traitements possibles.
Plusieurs circonstances pathologiques entraînant une diminution de la résistance osseuse prédisposent à l'apparition de fractures lentes.1 Leur recherche ainsi que la mise en évidence par l'anamnèse d'une activité physique accrue dans les jours ou les semaines précédents sont primordiales. Parmi les facteurs favorisants, il faut considérer l'ostéoporose primaire, mais aussi secondaire par exemple à une hyperparathyroïdie primaire ou secondaire. Des maladies rhumatismales, telles que la polyarthrite rhumatoïde,2 associent de multiples facteurs de risque tels qu'une ostéoporose liée à l'âge, à une immobilisation prolongée et aux traitements médicamenteux (corticostéroïdes). Des troubles statiques des membres inférieurs (genu valgum ou varum)1 ou la mise en place d'une prothèse totale (hanche, genou)3 peuvent être responsables d'une répartition dysharmonieuse des forces et également favoriser la survenue d'une fracture lente. Des causes plus rares d'ostéopathie fragilisante, telles que la maladie de Paget ou l'atteinte osseuse après radiothérapie doivent aussi être envisagées (tableau 1). Dans cette dernière situation, la fracture siège volontiers sur le pubis ou le sacrum. Il faut également retenir comme causes possibles d'ostéopathie fragilisante l'ostéomalacie, responsable des fissures de Looser-Milkman, mais aussi le traitement par fluorure de sodium.
Les fractures par insuffisance se traduisent par les mêmes signes cliniques et radiologiques que les fractures de fatigue, mais s'en distinguent par leurs localisations et les circonstances favorisantes. Elles affectent surtout le squelette jambier (tibia, péroné, calcanéum, os du tarse...) principalement dans son tiers inférieur et la ceinture pelvienne.2 Pour cette dernière localisation, les fractures des branches pubiennes et du col fémoral sont les plus connues mais des atteintes du sacrum, du pubis, de l'acétabulum et de l'aile iliaque ont été décrites. Lors d'atteinte de la ceinture pelvienne, il n'est pas rare d'observer une association de plusieurs fractures.4 Selon leur localisation, elles peuvent mimer d'autres pathologies et avoir des présentations différentes. Les fractures du sacrum4 par exemple se traduisent par l'apparition soudaine de lombalgie basse sans notion de traumatisme, avec parfois des douleurs au niveau des fesses et qui peuvent irradier plus distalement, ce qui peut en imposer pour un syndrome radiculaire. Les fractures des branches pubiennes5 avec des douleurs de topographie variable miment parfois une affection coxofémorale lorsque la douleur siège dans le pli inguinal, une atteinte radiculaire lors d'irradiation sur la cuisse ou enfin une atteinte de type sacro-iliite devant une algie postérieure. De manière générale, le tableau clinique est caractérisé par l'apparition la plus souvent progressive de douleurs à caractère mécanique, c'est-à-dire aggravées par l'effort et diminuées par le repos, parfois après une activité répétitive récente. L'examen clinique est souvent très pauvre, notamment au début. Plus tard, la palpation locale peut réveiller la douleur. On constate parfois des signes locaux d'inflammation, tels qu'une tuméfaction, une chaleur locale et des lésions érythémateuses qui peuvent, selon la localisation, faire suspecter une arthrite (par exemple, fracture de contrainte du tibia distal).6,7Lors de fractures lentes sur un membre, au voisinage d'une articulation, il est même mis en évidence dans quelques cas un épanchement intra-articulaire avec un liquide classiquement mécanique. Habituellement, il n'y a pas de limitation de la mobilité articulaire ni d'ailleurs de signes généraux.
Le bilan biologique est généralement décevant. La vitesse de sédimentation est normale et l'exploration du métabolisme phosphocalcique est habituellement sans particularité, en dehors d'une augmentation possible des phosphatases alcalines sériques. A relever tout de même que le bilan d'une fracture par insuffisance est celui de toute ostéopathie fragilisante et qu'il met parfois en évidence des anomalies biologiques telles qu'une hypocalcémie (par exemple lors d'une ostéomalacie) ou une hypercalcémie (par exemple lors d'une hyperparathyroïdie primaire).
Le diagnostic de fracture par insuffisance est souvent retardé et la radiographie standard est peu sensible au départ. Elle a néanmoins le mérite d'éliminer une autre pathologie. Sa sensibilité a été évaluée à 28% dans une grande série.8 Il vaut la peine de répéter cet examen au bout de quelques semaines (généralement deux à trois semaines). Les signes caractéristiques apparaissent alors habituellement et diffèrent en fonction du type d'os. En ce qui concerne l'os cortical, c'est-à-dire les diaphyses des os longs, un des premiers signes radiologiques possibles est une très fine ligne corticale «comme un cheveu sur la porcelaine». Après quelques semaines, on peut constater une apposition périostée et/ou endostale avec parfois un trait de fracture pour l'os cortical. Enfin, le remodelage osseux aboutit à un retour de l'os à un aspect normal. Pour l'os trabéculaire, c'est-à-dire les os courts tels que le calcanéum et les épiphyses des os longs, on peut ne rien constater dans les premières semaines jusqu'à deux mois après le début des plaintes. Parfois, néanmoins, il y a de très fines images floues de condensation. Puis apparaissent une ou plusieurs bandes de condensation perpendiculaires aux lignes de forces englobant parfois une hyperclarté.
La scintigraphie osseuse est un examen plus sensible et peut mettre en évidence une «hypercaptation osseuse» du radio-isotope au bout de quelques jours déjà, mais elle est assez peu spécifique, en dehors de certaines localisations comme le sacrum où l'hyperfixation en «H» est quasiment pathognomonique.1 C'est donc le contexte clinique et la localisation de l'hypercaptation osseuse scintigraphique qui permettront de poser le diagnostic. Néanmoins, selon la localisation, cet examen peut se révéler plus difficile à interpréter (par exemple au voisinage d'une articulation...).2
L'IRM a l'avantage d'être également sensible, mais avec une meilleure spécificité que la scintigraphie osseuse pour certaines localisations.8 Sur les images pondérées en T1, on trouve une bande de très faible signal entourée d'une zone plus ou moins étendue d'hyposignal. Sur les images pondérées en T2, il y a à nouveau une ligne d'hyposignal représentant le trait de fracture, entourée d'une zone de signal plus intense liée à l'dème ou à l'hémorragie.
Le CT-scan a également été utilisé et reste utile lors de fractures lentes du sacrum et lorsque l'IRM n'est pas disponible. Il faut par ailleurs avoir à l'esprit l'existence de diagnostics différentiels lors de situations atypiques pour une fracture par insuffisance. Certaines affections peuvent être parfois confondues avec une fracture lente, à savoir : un ostéome ostéoïde, une ostéomyélite chronique sclérosante, un sarcome osseux, une ostéomalacie et évidemment une lésion métastatique.1
En l'absence de traitement, l'évolution peut être longue, aboutissant parfois à une fracture vraie, complète. Le traitement comporte la mise en décharge avec une guérison sans séquelle obtenue le plus souvent en quatre à six semaines, mais qui peut parfois prendre jusqu'à 24 semaines.9 L'hypercaptation scintigraphique disparaît en quelques semaines à quelques mois, alors que les anomalies radiologiques éventuelles disparaissent plus lentement. Certaines fractures incomplètes dans des localisations exposées telles que le col du fémur doivent faire discuter une intervention chirurgicale.10 La recherche et la prise en charge d'une des ostéopathies fragilisantes précédemment citées afin de prévenir de nouvelles fractures lentes sont indispensables. En cas d'ostéoporose, situation la plus fréquente, il convient tout d'abord de confirmer le diagnostic par une mesure des densités minérales osseuses par ostéodensitométrie et d'éliminer une ostéoporose secondaire par une anamnèse, un examen clinique et un bilan biologique. Il est ensuite recommandé d'instaurer un traitement (alendronate, traitement hormonal substitutif, raloxifène, calcitonine). De manière plus générale, à l'instar des fractures ostéoporotiques, il faut favoriser la prévention de l'ostéoporose en veillant à des apports alimentaires suffisants en calcium et vitamine D (suppléments en calcium et vitamine D si nécessaire), en proposant un traitement hormonal substitutif ou un SERM (selective estrogen receptor modulator) de type raloxifène à la ménopause. Enfin, on recommandera pour toute personne prenant des corticostéroïdes durant plus de quelques semaines une supplémentation en vitamine D et en calcium avec une mesure annuelle des densités osseuses par ostéodensitométrie afin de débuter un traitement le plus rapidement possible en cas d'ostéoporose.
En conclusion, les fractures par insuffisance peuvent être difficiles à détecter parce qu'il peut y avoir une grande diversité dans la présentation clinique (par exemple, fracture du sacrum mimant une lombosciatique, fracture distale du tibia mimant une arthrite de cheville). Il convient donc d'avoir un niveau de suspicion clinique élevé, en cas de facteurs de risque d'ostéopathie fragilisante. Ceci permettra de poser rapidement le diagnostic et, par une mise au repos, d'éviter que les fractures ne se complètent. Dans la grande majorité des cas, on arrivera alors à éviter des traitements plus compliqués, notamment chirurgicaux.