La vaccination en tant que démarche préventive provoque des attitudes paradoxales dans la population et chez certains scientifiques. Première de ces attitudes : la vaccination est à la base d'une indiscutable diminution de morbidité et de mortalité dans le monde entier. Pourtant, elle est, dans les pays occidentaux, de plus en plus repoussée, critiquée et peu acceptée, dans un contexte de méfiance à l'égard de la science en général. Deuxième réaction paradoxale : la vaccination agit par des moyens que l'on peut finalement considérer comme naturels, utilisant les capacités immunologiques du sujet sans l'aide de substances pharmacologiques synthétiques. Mais elle est ressentie comme un agent potentiellement maléfique pouvant provoquer dans certains cas des pathologies plus importantes que celles qu'elle est censée éviter. Troisième réaction paradoxale : la vaccination pourrait être le substrat d'une action collective de prévention. Au contraire, elle provoque des réactions négatives de caractère plutôt individualiste, voire égocentrique.Ces réactions se sont fortement exprimées ces dernières années lors de controverses suscitées par des campagnes de vaccination contre l'hépatite B. Les relations entre la survenue ou les rechutes de la sclérose en plaques (SEP) et les vaccinations contre le virus de l'hépatite B ont provoqué un large débat scientifique, de santé publique et de société. Suite à la parution des résultats préliminaires de deux études contrôlées qui mettent en évidence une augmentation non significative de cas de SEP après vaccination et la publication de quelques rapports anecdotiques, le problème s'est montré suffisamment préoccupant pour que le gouvernement français se résolve à suspendre sa campagne de vaccination.Or, deux études récentes, publiées dans le New England Journal of Medicine, prouvent l'innocuité des vaccinations dans le cas de la SEP. Les controverses au sujet de l'innocuité de cette prévention ne sont pas prêtes de s'éteindre même si ces études suggèrent fortement une absence de relations entre les vaccinations et la SEP.La première étude porte sur la possibilité de rechutes induites par des vaccinations (comme celle de la vaccination contre l'hépatite B, la grippe ou le tétanos) chez des patients souffrant de SEP. L'évolution de 643 patients ayant souffert de rechutes entre 1993 et 1997 est étudiée. Si l'on compare les deux mois avant la rechute avec l'année qui précède cette rechute, aucune différence significative dans le taux de vaccination n'est détectée. Durant les deux mois avant la rechute, l'incidence des vaccinations est de 2,3% alors que dans les autres périodes étudiées, elle varie entre 2,8 et 4%. Il ne semble donc pas y avoir de relation entre la vaccination proche et les épisodes de rechute. Bien plutôt, la vaccination semble même protéger en partie contre une poussée de SEP !La deuxième étude porte sur l'incidence de la SEP après vaccination contre l'hépatite B dans une population précédemment saine (infirmières). Ce travail démontre l'absence de corrélation entre la vaccination et la survenue de la SEP. Le risque de survenue de SEP ne se révèle pas différent si les infirmières incluses dans cette étude ont été vaccinées au préalable. En outre, il n'existe pas de relation entre le nombre de doses reçues et la survenue de la SEP. La méthode utilisée est celle des «cas-témoins» et les deux cohortes d'infirmières étudiées prennent en compte près de 240 000 femmes.Ces deux études apportent de solides arguments sur le caractère bénin de la vaccination en général et la survenue ou l'aggravation de la SEP. Elles plaident en faveur de l'innocuité de la vaccination contre l'hépatite B. Il est toutefois curieux que l'une de ces études soit financée par des entreprises qui produisent des vaccins et que les départements responsables de la santé publique n'aient pas jugé utile ou de leurs responsabilités de les superviser eux-mêmes.Malgré ces résultats, la controverse ne devrait pas s'éteindre de si tôt. La multitude d'arguments scientifiques rassurants ne suffira en effet probablement pas à répondre aux réelles interrogations qui sont posées face à ce type d'intervention. De manière plus générale, il est surprenant de constater que plusieurs campagnes de promotion de la santé, de prévention ou de vaccination, échouent. Et il est vital de s'interroger sur les raisons de ces échecs. La prévention au sens large reste un vu pieux et la vaccination, malgré ses succès historiques, ne figure pas parmi les interventions les plus prisées des populations. Pourquoi de telles résistances ?Un facteur déterminant provient peut-être de ce qu'il existe, outre le savoir scientifique, une culture et un savoir originel dans la population. Vouloir, avec la meilleure volonté du monde, imposer une attitude rigoureuse mais, par certains aspects, dogmatique, simpliste et prônant des interventions mal comprises, représente probablement la manière la plus sûre de provoquer des résistances fortes et définitives. Il serait contre-productif de considérer que la population est vierge de toute influence autre que la bonne parole scientifique.En ce qui concerne la vaccination, il est probable que de multiples facteurs interviennent. D'abord, les risques habituellement considérés comme acceptables lors d'une intervention médicale classique sont placés beaucoup plus bas que lorsque cette intervention s'impose. Les ravages de la maladie évitée sont oubliés et seuls les rares effets indésirables sont mis en exergue. Ces effets indésirables sont considérés comme inadmissibles, puisqu'ils surviennent chez des gens en bonne santé. Les valeurs actuelles, qui mettent en avant une attitude très individuelle et qui privilégient l'individu par rapport à la collectivité, accentuent encore ce phénomène. Le risque n'est pas ou plus considéré comme acceptable et lorsqu'il est associé à une intervention médicale, il devient criminel. Comme le relève très justement le Pr Claire-Anne Siegrist, «pour certains parents, la situation idéale serait que tous les enfants soient vaccinés sauf le leur.» Ainsi, le risque de la maladie devient quasi inexistant et celui, très peu fréquent, des effets secondaires, nul
De plus, la population pose possiblement à juste titre la question du réel bénéfice de telles campagnes. Cela est particulièrement vrai dans le cas de la vaccination contre l'hépatite B, maladie qui, finalement, ne touche que relativement peu de personnes dans nos contrées. La population, dans son ensemble, ne perçoit pas cette maladie comme un danger comme la méningite ou la poliomyélite. C'est sur ce plan que l'information manque de précision et de vigueur. Par ailleurs, il existe une méfiance bien ancrée vis-à-vis de la science et de ses interventions. Cela entraîne toute une série de croyances à propos des vaccins, comme la diminution de l'immunité secondaire à de multiples vaccinations. Mais ce phénomène devient critique lorsque le mécanisme pathogénique de maladies comme la SEP n'est pas élucidé et les hypothèses se transforment en faits avant d'être vérifiées. C'est en réfléchissant en termes de qualité d'information et de dialogue que le problème pourra avancer.J.-F. Balavoine