La récidive en matière de délinquance sexuelle est une réalité dont on parle beaucoup mais que l'on connaît mal. Pourtant beaucoup d'études ces dernières années, nord-américaines surtout, ont essayé de mieux cerner les différents paramètres permettant une évaluation rigoureuse de ce risque. Les taux de récidive varient en fonction du type de délinquance considérée, de la durée du recul dont on peut disposer, voire des sources dont on dispose. Les indicateurs orientant vers le risque de récidive sont de deux ordres, certains se référent à l'histoire et au contexte du délinquant, d'autres, plus dynamiques, permettent de définir une stratégie de prévention de la récidive. Les traitements, s'ils sont conduits par des thérapeutes ayant une bonne connaissance de ce domaine particulier, contribuent à une réduction notable du risque de récidive. Ils doivent néanmoins s'intégrer dans un dispositif d'ensemble permettant une approche multidisciplinaire.
Toute personne engagée dans la prise en charge d'un patient qui s'est rendu coupable d'un délit sexuel est préoccupée, à juste titre, par l'éventualité d'une récidive. Les études, déjà nombreuses, que nous avons recensées et mentionnées dans ce travail, soulignent à quel point cette problématique est difficile à évaluer. Comment interpréter les chiffres à notre disposition ? Comment disposer d'éléments de comparaison fiables ? Ce sont autant d'interrogations récurrentes. Tout le monde sait combien les chiffres peuvent être trompeurs, surtout dans un domaine qui mobilise autant les émotions et qui ne laisse d'inquiéter depuis les prises de conscience successives effectuées ces dernières années.
Il est fondamental pour le clinicien de disposer d'une perception fiable du risque avec lequel il doit travailler pour mener à bien son entreprise thérapeutique. Une évaluation rigoureuse lui permettra, en effet, de s'entourer de l'aide et du soutien nécessaires qui lui éviteront de porter seul le poids de l'accompagnement de tels patients. Sans points de repères valides, la prise en charge peut facilement dériver vers des zones d'ombre où le clinicien risque d'être aveuglé par le discours de son patient.
Un certain nombre d'indicateurs existent, qui doivent permettre une amélioration de nos capacités à évaluer les chances de réussite d'un traitement. Il est important de les connaître, même s'il est maintenant établi que la prédiction dans ce domaine est une chose bien délicate et souvent erratique. Connaissance du risque de récidive, facteurs pouvant contribuer à prédire celle-ci, évaluation des chances de réussite d'un traitement sont les différents axes que nous développerons ci-dessous.
Jusqu'à présent, aucune étude ne s'était attachée à connaître le taux de récidive de ces délinquants en Suisse. Finalement, chacun n'évoque cette réalité qu'à travers des données parcellaires, des idées toutes faites («ils récidivent toujours») ou la référence à une certaine vision de l'idée que l'on a de la réponse sociale dans ce domaine. Par exemple, à partir des données de l'Office fédéral de la statistique, Villé1 estimait que les délinquants sexuels en Suisse ne présentent pas un taux de récidive «excessif» puisque celui-ci serait nettement inférieur au taux de récidive moyen en matière de délinquance, tous délits confondus qui est estimé à environ 50%. L'écart est important, on le voit, entre le discours du criminologue et les attentes de tout un chacun pour qui toute récidive est insupportable.
Une étude, menée avec le soutien du Fonds national suisse de recherche, portant sur un collectif de 352 délinquants sexuels condamnés dans le canton de Vaud entre 1975 et 1993, nous a permis de mettre en évidence des taux de récidive pour le moins alarmants. En effet, parmi les 189 agresseurs suisses de notre étude, 42% avaient commis des délits sexuels avant le délit considéré dans notre étude et 19% ont à nouveau été condamnés par la suite pour un délit sexuel (commis dans un autre canton). Globalement 58% des sujets agresseurs d'adultes et agresseurs d'enfants se sont rendus coupables d'un autre délit sexuel suivi de condamnation, au moins une fois avant ou après le délit considéré, et ce sur une période d'étude de vingt-trois ans (de 1975 à 1998) pendant laquelle toutes les données ont été recueillies.
Contrairement à une idée souvent répandue, la récidive ne se limite pas seulement à des délits sexuels puisque 55% des sujets de notre étude ont été condamnés pour un délit d'autre nature avant la condamnation retenue, et 37% après.
Ces pourcentages sont particulièrement élevés si on les compare à d'autres études et peuvent confirmer la tendance à sous-évaluer cette réalité. Cependant, la littérature nous incite à rester prudents. En effet, l'insuffisance de la caractérisation des récidives relevées dans notre étude méritera des développements ultérieurs à ces premiers résultats. Les éléments statistiques sont souvent trompeurs si on n'inclut pas les paramètres pertinents. Ainsi, Kensey et Tournier3estiment que le taux de récidive peut varier entre 0% et 72% selon la définition que l'on donne au mot «récidive» et le type d'infractions que l'on retient. Un taux de récidive n'est fiable que si l'on décrit préalablement la définition, la population étudiée et la période durant laquelle s'étend l'observation.
Il n'existe pas une vision unique de la récidive. Au contraire, celle-ci varie en fonction des auteurs et des critères retenus. Il conviendrait donc plutôt de parler de «récidives». Pour porter un regard plus pertinent, cliniquement, sur celles-ci, il est important, par exemple, de bien différencier les délits sexuels des autres délits ou de spécifier les délits accompagnés de manifestations violentes, et de bien s'assurer du moment à partir duquel l'auteur d'une étude considère qu'il y a récidive. Pour certains auteurs, la récidive est comptabilisée lors de toute nouvelle accusation ou inculpation, d'autres parlent de récidive uniquement en cas d'incarcération, ou de manière plus cohérente du point de vue juridique, dès qu'une condamnation existe.
C'est dire l'importance des différentes sources auxquelles on se réfère pour estimer les taux de récidive. Robinson (1989, cité par Petrunik,4) indique, par exemple, que le taux est de 20,7% dans une population suivie pour pédophilie (n = 170) en Amérique du Nord, si on se base sur les sources officielles des dossiers de la Cour, de la police et du Children's Aid. Mais ce taux atteindrait 60% à partir du moment où l'on sollicite les sources «non officielles» de la police et du Children's Aid. Dans le même ordre d'idée, Groth, Longo et McFadin5 ont obtenu des informations surprenantes qui confirmeraient cette sous évaluation. En réponse à un questionnaire anonyme envoyé à 137 sujets arrêtés ou condamnés pour un délit sexuel, ceux-ci ont admis avoir commis entre deux et cinq fois plus de délits que ceux pour lesquels ils avaient été arrêtés.
A l'inverse, les études qui ne se baseraient que sur les seuls cas de sujets incarcérés risqueraient, d'après d'autres auteurs, de surestimer les taux de récidive en introduisant un biais d'analyse. En effet, Finkelhor,6 constatant que les agresseurs incarcérés sont ceux qui commettent des délits répétitifs, estime, que ceux qui sont laissés en liberté sont généralement moins susceptibles de récidiver. Ce constat apparaît discutable dans la réalité étant donné les très nombreuses inconnues auxquelles nous sommes confrontés dans ce domaine et les indicateurs indirects dont nous disposons.
La plupart des travaux criminologiques, comme nous l'avons fait dans notre propre cohorte, et à l'instar de Borduin et coll. (cités par Marques et coll.,7) et Kahn et Chambers8 sont aussi attentifs à bien différencier deux types de récidives : celles d'ordre sexuel et les autres délits (quels qu'ils soient) qui peuvent être inclus dans les taux de récidive et contribuent à augmenter ceux-ci en donnant une image plus floue de la réalité de la récidive.
En étudiant les taux de récidive mentionnés dans huit études, Finkelhor et coll.6 notent que le taux de récidive, tous types de délits confondus, est de 36%. Le pourcentage de récidives des seuls délits sexuels varie, par contre, considérablement en fonction des études, allant de 6% à 35%, si l'on fait une moyenne des études considérées le taux correspond à environ 20%. Fait intéressant, trois quarts des récidives sexuelles sont du même type que la première infraction commise.
Le rapport à la violence colore aussi différemment la lecture de la récidive, ainsi nous avons pu remarquer dans notre propre cohorte que les traits antisociaux étaient fortement marqués chez nombre d'auteurs d'agressions sexuelles commises sur des adultes et moins marqués chez les auteurs d'agressions sexuelles sur des enfants. Ce qui fait qu'il est erroné de ne considérer, dans l'analyse du risque de récidive, que le seul risque de récidive d'un délit sexuel. En effet, pour certains sujets, le risque de passage à l'acte violent va bien au-delà du risque de récidive d'un délit sexuel. Ainsi, sur un échantillon de 288 agresseurs sexuels, Rice et Harris9ont pu montrer que le pourcentage de récidive violente était de 58% (166 sujets) tandis que le pourcentage de récidive uniquement sexuelle était de 35% (101sujets).
Les taux de récidive varient en fonction des catégories de délinquants concernés. Les agresseurs sexuels ne constituent pas une population homogène, autant du point de vue psychopathologique que du point de vue de la dynamique du délit.10 Si nous laissons de côté la catégorisation pénale très variable d'un pays à l'autre, ce qui rend impossible certaines comparaisons, nous pouvons repérer plusieurs groupes : les agresseurs d'adultes, les agresseurs d'enfants extra-familiaux, les agresseurs d'enfants intra-familiaux et les exhibitionnistes.11 Les caractéristiques des sujets de ces différents groupes varient considérablement d'une étude à l'autre, néanmoins certains traits dans la dynamique de l'acte ou la relation à la victime valident ces différentes classifications. Celles-ci nous permettent une étude plus différenciée des taux de récidive.
Ainsi parmi les délinquants sexuels, les exhibitionnistes connaissent le taux de récidive le plus élevé, entre 19 et 41% (Langevin cité par Aubut et coll.12). A l'inverse, on peut aussi globalement estimer que, plus il existe un lien de proximité entre l'agresseur et sa victime, plus le risque de récidive est faible, du moins quand le délit est reconnu et condamné. Ainsi les délits incestueux connaissent le moins de récidive. Ce que confirme Proulx (cité dans Aubut,12) qui note que les agresseurs d'enfants extra-familiaux ont des taux de récidive plus élevés que les pères incestueux.6
Par ailleurs, comme nous avons pu le constater aussi, la manière dont sont pris en compte les délits par la justice ne reflète pas sur le plan statistique, du moins le caractère récidivant de certains comportements. Ainsi, un agresseur d'enfant qui aura agressé plusieurs victimes sur une longue période pourra n'être condamné qu'à une seule reprise pour l'ensemble des délits reconnus et traités par la justice. Il n'apparaîtra pas de ce fait comme récidiviste, alors que ses actes connaissent de toute évidence une grande réitération. C'est pour cette raison qu'il faut considérer avec prudence certaines comparaisons entre les agresseurs d'adultes et des agresseurs d'enfants extra-familiaux. Groth et coll.5 ainsi que Greenberg11 constatent que les premiers ont des taux de récidive globale plus élevés (65% vs 37%). Mais ce taux plus élevé est probablement à mettre en relation avec une violence globale plus importante, en relation avec de forts traits antisociaux, comme ont pu aussi le constater Rice et Harris9qui notent un risque de récidive violente plus élevé chez les auteurs de viol ainsi que chez les agresseurs d'adultes et d'enfants que chez les sujets pédophiles.
Les études comportant de longues durées d'observation sont de deux ordres : les études prospectives visant à suivre une population à partir du moment où le délit est commis. Elles excèdent rarement dix ans de suivi. Les études rétrospectives, se basant sur des durées beaucoup plus importantes, prennent en considération l'ensemble de la carrière criminelle d'un délinquant en incluant aussi des données qui proviennent de l'anamnèse criminelle. Elles permettent moins facilement d'évaluer l'impact d'une mesure ou d'un traitement en considérant la trajectoire dans sa globalité.
Notre étude s'apparente à cette deuxième approche et porte sur une période de vingt-trois ans, ce qui apparaît corrélé avec le taux élevé de récidives que nous avons constatées. En effet, de manière générale, on constate que plus la durée considérée est longue, plus les taux de récidive augmentent :13
I Hagan et Gust-Brey14 notent à partir de l'étude de plus de 250 cas que le risque de «récidive générale» continue à augmenter durant une période allant de cinq à dix ans après la libération.
I Hanson, Steffy et Gauthier15 indiquent que, sur un total de 197 agresseurs sexuels d'enfants libérés entre 1958 et 1974, 8% des sujets avaient commis un nouveau délit sexuel dans les cinq ans suivant leur libération, 16% dans les dix ans, et 42% qui ont commis de nouveaux délits sexuels ou violents pendant les dix-neuf ans suivant la libération.
I Prentky et coll.16 sont arrivés à des conclusions identiques en soulignant que les agresseurs d'adultes et les agresseurs d'enfants sont à risque pour une durée pouvant aller, dans certains cas, jusqu'à quinze voire vingt ans après leur libération.
I L'étude ayant la plus longue période de follow-up est celle de Hanson et coll. (cités par Doren),17 portant sur 191 sujets suivis pendant trente et un ans. Cette étude indique un taux de récidive de 35,1%.
A la différence d'autres types de délinquances, la récidive en matière de délit sexuel n'est pas une occurrence qui apparaît prépondérante dans les périodes suivant une condamnation ou une incarcération. La plupart des premières études se basaient sur des durées de suivi relativement courtes et indiquaient des taux de récidive oscillant autour de 15%, ce qui pouvait laisser penser que la réponse pénale avait une certaine efficacité. On le voit, c'est sur la longue, voire la très longue durée qu'il faut structurer la réponse sociale. On peut aussi en déduire, de manière plus encourageante, que la capacité de récidive est fortement diminuée lorsque le délinquant se sait sous le regard de la loi, ce qui veut dire qu'il est sensible aux aspects coercitifs de celle-ci sans réussir à mettre véritablement à distance les aspects de sa personnalité qui le rendent vulnérable au passage à l'acte.
Ainsi, on peut constater que la récidive reste une donnée avec laquelle toute personne amenée à travailler avec ces délinquants sera, tôt ou tard, confrontée. Ceci impose de se donner les moyens de travailler dans un cadre suffisamment solide pour bénéficier de l'aide et de l'appui nécessaires, autant pour conserver un regard lucide dans une situation où nécessairement des mouvements affectifs vont investir le lien thérapeutique, que pour se donner les moyens réels de prévention.
Peut-on prédire la récidive d'un comportement dangereux ? Ce souhait légitime des autorités et des professionnels travaillant dans ce domaine, malgré le développement d'instruments et d'études particulièrement documentées, se heurte aux limites de l'irréductible du comportement humain. Plusieurs générations de travaux ont essayé de construire des instruments capables de donner une certaine fiabilité à cet exercice difficile.18 Malgré tout, ces instruments doivent être utilisés avec prudence, sans omettre de les référer à un contexte clinique.
Beaucoup de facteurs peuvent avoir une incidence particulière sur l'occurrence de récidives d'actes de délinquance sexuelle. Ils ne peuvent cependant pas être considérés comme spécifiques et, comme le relève, à juste titre, Van Gijseghem :19 «Même si tous les indicateurs de morbidité et de comorbidité étaient présents, on ne pourrait conclure à l'occurrence passée ou future d'une agression sexuelle. Tout au plus pourrait-on dire que (...) la possibilité d'un passage à l'acte augmente». Pour résumer les débats agitant les chercheurs dans ce domaine, on peut identifier deux types de facteurs : en premier lieu, des facteurs dits «statiques» renseignant sur le contexte et l'histoire de la personne et permettant d'établir des données dites «actuarielles», correspondant à une sorte de probabilité de l'occurrence d'un risque de récidive à mettre en relation avec des facteurs qui interviennent manifestement dans la survenue de la délinquance.20En second lieu des facteurs dits «dynamiques» se référant plus à une observation clinique et forcément emprunts de la subjectivité de l'examinateur ou du thérapeute. Les instruments basés sur la systématisation de ce type de données se multiplient et sont de plus en plus utilisés. Ils font cependant courir le risque d'un retour à un déterminisme constitutionnel qui ne serait qu'un nouvel avatar du positivisme des criminologues du siècle passé. Néanmoins aucun praticien dans ce domaine ne peut faire abstraction des données mises en évidence par ces nombreuses études.
Une formule tautologique indique que rien ne prédit mieux la récidive dans ce domaine que l'existence de récidives antérieures. De fait, plus le nombre de délits antérieurs est élevé, plus le risque de récidive s'accroît de manière significative.15,21,22,23,24,25
Dès 1957, Radzinowicz (cité par Doren,17) avait déjà montré que les sujets, condamnés antérieurement pour un délit sexuel ou pour un autre délit, avaient un risque de récidive plus élevé. De même, Marshall et coll.26 notent que le taux d'incidence de la récidive est moins élevé chez les délinquants sexuels primaires, puisqu'il se situe entre 10% et 21%, contre 33% et 71% pour les délinquants sexuels récidivistes.
Ce constat qui apparaîtra de l'ordre de l'évidence, l'est beaucoup moins en clinique lorsque l'on est confronté à des patients qui tiennent des discours insistant sur la «compréhension» de leur acte, sur leur volonté de ne pas recommencer alors que les mécanismes psychiques reposant sur l'emprise, le clivage et le déni restent prévalents. La réalité d'une trajectoire criminelle est un bon facteur permettant d'intégrer la réalité du risque dans l'organisation que le délinquant fera de sa vie future.
Nous avons pu mettre en évidence dans notre étude que les âges des agresseurs d'enfants connaissaient une dispersion beaucoup plus large que ceux des agresseurs d'adultes (50% des agresseurs d'enfants ont entre 28 et 45 ans, tandis que 50% des agresseurs d'adultes ont entre 25 et 35 ans). Nous pouvons émettre l'hypothèse que cette grande dispersion dans les âges de certaines catégories de délinquants sexuels pourrait être l'indice d'une délinquance courant sur une longue période et débutant très tôt.
Bien que l'incidence exacte des agressions sexuelles commises par des adolescents reste encore mal connue, certaines statistiques indiqueraient qu'environ 20% des viols et entre 30 et 50% des délits sexuels sur des enfants ont été commis par des adolescents. Tous les adolescents qui commettent des délits sexuels ne s'engagent pas pour autant dans une carrière criminelle. Néanmoins, ces mêmes statistiques indiquent que certains agresseurs sexuels débutant leur activité déviante à l'adolescence pourraient commettre jusqu'à 380 délits sexuels durant leur vie.27
Une étude menée par McConaghy et coll.28 montre que, sur un échantillon de 45 agresseurs sexuels, une majorité des sujets a commencé son activité délictueuse à l'adolescence. Ceci vaut en particulier pour les agresseurs sexuels violents qui commettent généralement leur premier délit à l'adolescence.5 La violence et les comportements antisociaux sont alors étroitement intriqués avec les comportements sexuels déviants. Kahn et Chambers8 ont ainsi suivi 221 jeunes délinquants sexuels bénéficiant d'un programme de traitement. Parmi ceux-ci, 5% avaient déjà été condamnés auparavant pour un délit sexuel et 42% d'entre eux avaient été condamnés pour des délits non sexuels il s'agissait en majorité de comportements inadéquats et de délits non violents.
Ainsi une évaluation rigoureuse du début des actes de délinquance sexuelle est absolument indispensable à une évaluation du risque car elle permet de bien comprendre quelle place prend dans la vie psychique du sujet la conduite de transgression ainsi que l'existence de fantaisies sexuelles déviantes et itératives. C'est une manière, aussi, de bien prendre la mesure entre une conduite qui s'inscrit dans la réitération même entrecoupée de longues périodes de rémission et un acte ou une série d'actes qui surviennent en décalage complet avec le mode de vie habituel du sujet.
Les données socio-démographiques sont aussi des données statiques qui semblent à beaucoup d'auteurs particulièrement fiables pour évaluer le risque de survenue d'un comportement dangereux. Bien sûr, là encore, malgré la rigueur des recherches effectuées le risque est grand de définir des milieux «criminogènes» orientant la réponse pénale vers une approche probabiliste.
En ce qui concerne les délinquants sexuels, beaucoup d'observations convergent pour mettre en exergue certains aspects de la vie sociale de ces sujets. L'isolement social ou affectif, la difficulté à établir une relation affective stable avec une partenaire, un faible niveau de scolarisation, la consommation abusive d'alcool, voire l'appartenance à une fratrie nombreuse, sont certains éléments décrits comme des indicateurs témoignant d'une certaine fiabilité et vont de pair avec l'existence de fantaisies sexuelles déviantes signant, par exemple, en ce qui concerne les agresseurs d'enfants, une préférence sexuelle pour les enfants prépubères.29,30,31
A l'inverse, certains facteurs psychosociaux vont limiter le risque de récidive, comme des compétences sociales développées adéquatement et permettant une relation affective stable, une activité professionnelle régulière, une capacité à organiser des temps de loisirs.32Cette dernière observation permet de comprendre l'importance donnée dans les suivis thérapeutiques aux approches permettant une meilleure intégration des contingences du groupe et de la société ainsi que le développement des compétences sociales.
Ces deux séries de données apparaissent nettement plus discutées dans les travaux actuels. En ce qui concerne la pathologie psychiatrique, il est évident que les troubles sévères de la personnalité accompagnés, soit d'une propension pour les conduites antisociales à caractère violent, soit de paraphilies documentées cliniquement doivent être considérés comme des facteurs de haut risque de récidive.6,29 Il est, par contre, beaucoup plus discutable d'associer l'existence d'une pathologie psychiatrique d'une autre nature avec la survenue d'une conduite délinquante. C'est d'ailleurs un débat ancien dans la littérature criminologique. On peut peut-être estimer que les patients souffrant de troubles psychiques sont probablement exposés aux mêmes facteurs de risque que les autres délinquants, comme l'indiquerait une étude menée en Angleterre et au Pays de Galles par Smith et Taylor33 sur des délinquants sexuels avec un diagnostic de schizophrénie signalant une récidive globale très importante mais comportant autant de délits antérieurs non sexuels que de délits sexuels associés ou non.
Pour certains auteurs, les agresseurs qui n'ont pas de préférence d'âge ou de sexe dans le choix de leur victime apparaissent les plus dangereux9 ou les plus portés à la récidive.29 D'autres suggèrent, par contre, que les agresseurs choisissant des garçons présentent des risques de récidive particulièrement élevés15,21,22 doublant même le risque selon certains (Frisbee et Dondis, Fitch, Radinowicz, cités par Finkelhor6) hypothèse contredite par l'étude de Prentky et coll.23
Les indicateurs décrits ci-dessus donnent une image utile du risque auquel nous sommes confrontés face à de tels sujets. Ils ne permettent pas néanmoins de disposer de repères permettant de suivre les changements du sujet en fonction de son évolution. Les travaux les plus récents34visent à pallier à cette difficulté en essayant de déterminer les facteurs susceptibles de se modifier en fonction du temps et des circonstances et surtout favorisant la mise en uvre des scénarios conduisant au passage à l'acte ou concomitants de ceux-ci. Parmi ces facteurs, les auteurs soulignent l'importance de l'attitude de ces sujets vis-à-vis de la délinquance sexuelle. Par exemple, l'absence de remords ou la tendance à blâmer les victimes justifiant une certaine tolérance dans le discours vis-à-vis de la délinquance sexuelle sont des facteurs inquiétants. Dans le même ordre d'idée, la manière dont les délinquants vont réagir au stress ou à la colère peut contribuer à renforcer l'impulsivité et l'émergence de fantaisies sexuelles déviantes. Emergence qui vient en écho avec le sentiment souvent exprimé par ces délinquants d'être habités par une vie sexuelle plus intense que la moyenne, celle-ci restant au centre de leurs préoccupations. Ces délinquants à haut risque, tout en soutenant être capable du contrôle d'eux-mêmes leur permettant de ne pas récidiver, se disent incapables de renoncer à cette hypersexualité qui semble aspirer toute leur vie psychique et se mettent ainsi en équilibre instable.
C'est la question que l'on doit légitimement se poser au moment de développer des approches spécifiques et de demander les moyens nécessaires au développement de ces approches. Là encore, il convient d'être circonspect face aux résultats donnés par certaines études qui ne prennent en considération, ni le type de traitement appliqué, ni la pertinence de l'indication thérapeutique, ni le type de récidive considéré. Ainsi, une publication de Hanson35 (commentée par Proulx), qui a regroupé les données de vingt-cinq études concernant le taux de récidive après traitement (4341 sujets) comparé au taux de récidive sans traitement (815 sujets), indiquerait que ce taux est identique pour les deux groupes, soit 15% ! Certaines nuances doivent cependant être apportées, selon Proulx, qui indique que des sujets à haut risque (multirécidivistes ou délinquants particulièrement violents) qui récidiveraient quasi inéluctablement sans traitement, apparaissent particulièrement bénéficier des traitements proposés. Pellerin et coll.36 qui ont étudié la nature et l'efficacité du traitement en fonction également de sa durée (sujets non traités, sujets ayant complété le traitement de douze à vingt-quatre mois, sujets ayant prolongé le traitement au-delà des vingt-quatre mois) font la distinction entre les traitements spécialisés pour les agresseurs sexuels et les traitements classiques non spécialisés. Ainsi, ils ont recensé plusieurs études relatives à l'impact des traitements psychologiques non spécialisés15,30,37,38,39,40,41,42 et constatent qu'aucune différence statistique n'a été observée entre le taux de récidive des sujets traités et celui des sujets non traités. Ils concluent que «les programmes de traitements psychologiques non spécialisés ne permettent pas de réduire le taux de récidive chez les agresseurs sexuels».
La communauté scientifique, suite aux nombreux débats qui ont eu lieu dans la littérature sur l'efficacité du traitement, s'est ralliée à la nécessité de développer ces approches, même si le traitement ne constitue ni une panacée, ni une garantie absolue. Néanmoins les études se sont affinées pour véritablement apprécier ce qui pouvait être véritablement générateur de changement. Elles se heurtent cependant à des obstacles méthodologiques très difficiles à contourner. Ainsi, il est difficile de construire de véritables groupes témoins. Il serait, en effet, difficile, sur le plan éthique de sélectionner aléatoirement les délinquants pouvant bénéficier d'un traitement comme pour d'autres approches thérapeutiques. Les études comparant un groupe de sujets motivés avec des sujets ayant refusé le traitement souffrent d'un biais évident. Comment en effet apprécier les résultats d'un traitement alors que l'on sait que la motivation et l'engagement sont des éléments particulièrement essentiels ?
Pellerin et coll.36 soulignent cependant l'efficacité des traitements thérapeutiques adaptés en comparant leurs données à plusieurs autres études.7,13,43Les études qu'ils recensent, ainsi que leur propre travail d'évaluation des patients soignés à l'institut Philippe Pinel de Montréal, font principalement référence à un modèle thérapeutique cognitivo-comportemental. Néanmoins les programmes proposés nous semblent surtout tirer leur qualité par l'expérience des intervenants et la diversification des techniques thérapeutiques proposées, associant gestion du stress, maîtrise de la colère, modification des préférences sexuelles, mais aussi thérapies familiales ou suivis individuels psychothérapiques. Si les résultats de ces différentes études (tableau 1) peuvent paraître tempérer en première intention, l'attente que l'on peut mettre dans les suivis thérapeutiques étant donné la persistance de taux de récidive sexuelle non négligeables, leur analyse plus détaillée, incluant notamment les taux de récidive violente et la prise en compte des différents paramètres de gravité, plaide pour un amélioration globale sous traitement, pour autant que les indications soient bien posées et que l'on prenne la mesure de la gravité de certains troubles de la personnalité.
La prévention de la récidive telle qu'elle a été développée, par les auteurs canadiens en particulier,12 est une démarche qui va bien au-delà du traitement et se base sur le constat que le délit est la résultante d'un ensemble de facteurs touchant de nombreuses sphères allant du domaine affectif à celui des interactions sociales. Le délit est souvent la réponse inadéquate à un ensemble d'éléments majorant la vulnérabilité de la personne au stress, il survient suivant un cycle particulier à chaque délinquant qu'il est possible de mieux connaître si l'on sait être attentif aux facteurs décrits plus haut. A notre avis, une approche clinique qui permet une meilleure compréhension de l'acte et donc sa prévention doit d'abord s'ancrer dans une réalité souvent difficile à appréhender tant elle est impensable autant par l'insoutenable de sa violence que par les mécanismes psychiques auxquels les thérapeutes s'affrontent.44 Reconnaître que la récidive est une occurrence non négligeable dans ces trajectoires permet de nommer le risque autant pour le délinquant lui-même que pour tous les professionnels amenés à l'accompagner pendant, et surtout après, son parcours pénal. Le clinicien dans un tel contexte doit faire uvre d'humilité et admettre que son regard, pour pertinent qu'il soit, doit impérativement s'accompagner d'autres regards permettant la mise en place de l'accompagnement, voire du contrôle social de longue durée dont ces sujets ont besoin. Ce n'est qu'une fois cet accompagnement mis en place que l'on pourra aborder les problématiques qui sont au centre du passage à l'acte et qui renvoient au traumatisme et à la destructivité sans risquer de voir la prise en charge tourner court. Faute du cadre soutenant l'incitation thérapeutique ces patients, pris entre la peur de la confrontation à eux-mêmes et le refus du renoncement à leur déviance, abandonnent rapidement le traitement et retournent dans leur isolement affectif avec tout ce que cela peut comporter comme risque. Malheureusement, trop peu de structures médicales ou sociales sont actuellement capables du travail de coordination et de suivi que de telles problématiques imposent.