De Grande-Bretagne où sévit depuis plus de quinze jours déjà une épizootie croissante de fièvre aphteuse, on apprend que les organisateurs de la célèbre course de chevaux de Sandown Park ont «gentiment conseillé» à sa Majesté la reine-mère de chausser des bottes en caoutchouc plutôt que des escarpins lorsqu'elle viendra, vendredi 9 mars, inaugurer une statue sur l'hippodrome. Comme n'importe quel spectateur, la reine-mère devra en effet marcher dans un bac rempli de désinfectant pour réduire les risques de dissémination du virus aphteux. A l'heure où nous écrivons ces lignes, près de cent foyers infectieux ont été recensés dans l'ensemble du Royaume-Uni dont le peuple s'habitue fort mal aux immenses bûchers où l'on détruit des dizaines de milliers de bêtes, ovins, caprins, bovins et porcins. Chaque jour, les autorités sanitaires découvrent de nouveaux foyers et chaque jour on construit un bûcher. L'heure est si grave que l'épidémie a atteint le parc naturel de Dartmoor (Devon) où 46 000 animaux paissent librement et où l'on trouve la ferme de Dunna Bridge qui, outre le fait qu'elle abrite quelque 800 moutons et 170 bovins, a pour caractéristique d'être la propriété du prince Charles.Beauté des épidémies : la royauté se désinfecte en public et souffre comme le bon peuple des éleveurs du royaume. L'heure est grave : un escadron de la Royal Air Force britannique qui devait participer à un exercice dans le nord de la Norvège a dû rester en Grande-Bretagne sur avis des autorités vétérinaires norvégiennes qui craignent une propagation de la fièvre aphteuse. «L'escadron de chasse 41, qui devait opérer depuis la base aérienne de Bardufoss, a dû renoncer à participer car la région en question est agricole, ce qui aurait engendré une insécurité trop grande», a expliqué à la presse le lieutenant-colonel John Espen Lien, porte- parole du commandement militaire norvégien. Cette exclusion s'ajoute à celle de 300 autres soldats britanniques qui viennent de se voir signifier une fin de non-recevoir par la Norvège qui, pour l'heure, n'a officiellement décelé aucun cas de fièvre aphteuse. «Nous travaillons très étroitement avec les autorités vétérinaires de la région et nous suivons leurs recommandations à 100%» a expliqué le lieutenant-colonel Lien.Virus ou manuvres ? Près de 1600 militaires britanniques, arrivés dans le royaume scandinave en janvier, soit avant l'apparition de l'épizootie, participent à l'exercice Joint Winter 2001 qui réunit depuis quelques jours près de 12 000 soldats norvégiens, danois, français, italiens, néerlandais, britanniques, suédois, allemands et américains. Ces manuvres, qui doivent durer trois semaines, ont provoqué un tollé parmi les élus et les éleveurs du nord de la Norvège, qui ont réclamé à plusieurs reprises leur annulation. Le lieutenant-colonel Lien confie que l'armée norvégienne allait porter plainte contre une dizaine d'éleveurs qui avaient bloqué 300 chasseurs alpins français pendant trois heures de peur qu'ils ne propagent la fièvre aphteuse dans leurs cheptels. Les Etats-Unis indemnes comme le Canada de virus aphteux depuis des années ont quant à eux renforcé leurs contrôles aux frontières pour éviter d'être contaminés, vient de faire savoir un responsable du département américain de l'Agriculture.L'heure est grave. Les matches de rugby du Tournoi des six nations sont reportés et outre-Manche les hamsters ont été appelés à la rescousse à Londres pour satisfaire les parieurs privés de courses de chevaux par l'épizootie. L'île s'adapte. Depuis près d'une semaine, une fois par jour, six hamsters font la course dans le nord-ouest de Londres pour le plus grand bonheur des parieurs via un site internet. «Les quatre rongeurs vainqueurs des compétitions et les deux perdants les plus rapides doivent s'affronter dans une grande finale prévue pour demain, rapporte le bureau de Londres de l'Agence France-Presse. Les hamsters de course sont placés dans des roues comme celles qu'on trouve traditionnellement dans leurs cages. En pédalant, ils entraînent une petite voiture attachée à la roue. La course se déroule sur un circuit de cinq mètres de long.» «Nous devions organiser tout cela en avril mais nous avons anticipé parce qu'il n'y avait plus de courses de chevaux», a dit Ed Townall, du site de pari en ligne (bluesq. com). Ce site a enregistré deux fois plus de paris qu'une précédente expérience l'an dernier : des courses d'escargots.L'heure est aussi à la régression, l'épidémie renvoyant immanquablement à l'irrationnel. Jean Glavany, le ministre français de l'Agriculture, venu soutenir le maire sortant de Grenoble, Michel Destot (PS), a dit que ce serait un «miracle» s'il n'y avait pas de foyer de fièvre aphteuse qui se déclare en France. «L'épizootie est vraiment considérable au Royaume-Uni. Ils en sont à plus de 80 foyers maintenant, ça veut dire que tout leur cheptel ou presque est plus ou moins touché. Or, nous avions 20 000 moutons britanniques, importés ces dernières semaines, porteurs du virus» a ajouté Jean Glavany, en précisant que ces ovins avaient bien été dispersés dans une vingtaine de départements français. «On me demande ça et là de vacciner des troupeaux de valeurs, mais la vaccination pour laquelle nous sommes prêts, puisque nous reconstituons les stocks au niveau européen, est une mesure ultime que je n'exclus pas, mais j'espère qu'on n'en aura pas besoin, ça voudrait dire que les dispositifs que nous avons pris ne seraient pas suffisants.» Il y a quelques jours, depuis Montréal, M. Glavany avait expliqué qu'il «croisait les doigts» pour que l'épizootie ne touche ni l'Hexagone ni le continent. Bernard Kouchner, ministre délégué à la Santé, invoque lui aussi le concept de «miracle». On sait bien pourtant et depuis longtemps que les cierges ne sont jamais bien loin des bûchers.J.-Y. Nau