La tomodensité, en particulier en haute résolution, permet l'étude morphologique du parenchyme pulmonaire. Le présent article discute les travaux tendant de valider cette technique dans la quantification de l'emphysème pulmonaire. Il évoque d'abord l'approche visuelle qui permet une évaluation subjective puis l'approche objective utilisant des programmes informatiques spécifiques. Les auteurs résument les travaux qui ont permis de montrer que la surface relative occupée par les densités inférieures à 950 Unités Hounsfield et mesurée sur des coupes tomodensitométriques millimétriques obtenues en fin d'inspiration maximale est une mesure de l'étendue de l'emphysème macroscopique et un reflet de l'emphysème microscopique.
L'emphysème pulmonaire est défini par un élargissement anormal et permanent des espaces aériens en amont des bronchioles terminales avec destruction des parois alvéolaires sans fibrose associée.1Compte tenu de cette définition histopathologique, le diagnostic devrait idéalement être basé sur une exploration morphologique microscopique. Cependant, en pratique clinique, le diagnostic est le plus souvent indirect et basé sur l'examen physique, les épreuves fonctionnelles respiratoires (EFR) et la radiographie standard du thorax. En étant plus sensible et plus spécifique que la radiographie standard, la tomodensitométrie (TDM), en particulier en haute résolution (TDM-HR), a pris une place de tout premier plan dans l'imagerie des pathologies pulmonaires infiltratives diffuses et de l'emphysème. Compte tenu de la base histopathologique de la définition de l'emphysème, la TDM utilisée comme méthode de quantification doit être validée par comparaison à des références histologiques. Des études ont été conduites d'une part, sur la base de l'évaluation visuelle semi-quantitative des zones hypertransparentes, et d'autre part, sur la base de l'analyse des densités mesurées au moyen de programmes informatiques automatisés.
En 1986, Bergin et coll. ont gradé visuellement la proportion de surface pulmonaire emphysémateuse sur des coupes TDM centimétriques jointives obtenues des apex aux bases.2 Sur un échantillon de 32 patients, ces auteurs ont montré une bonne reproductibilité intra- et inter-observateurs et des corrélations significatives entre les grades tomodensitométriques et les grades macroscopiques établis sur des coupes sagittales par référence aux panneaux de Thurlbeck.3 Dans cette étude, la TDM surestimait toutefois les stades modérés de la maladie. Dans le but d'évaluer la quantification visuelle de coupes millimétriques, Hruban et coll. ont comparé in vitro les grades établis sur cinq coupes TDM-HR de poumons isolés insufflés aux grades correspondants établis sur des coupes histopathologiques réalisées aux mêmes niveaux anatomiques.4 En utilisant comme référence les panneaux de Thurlbeck tant pour la macroscopie que pour la TDM-HR, ces auteurs ont montré que cette technique permettait de différencier les poumons emphysémateux des poumons normaux y compris aux stades modérés. En utilisant des techniques similaires in vivo, Kuwano et coll. ont également montré une corrélation significative entre les scores établis respectivement sur des coupes TDM-HR et sur des coupes macroscopiques, sans surestimation ni sous-estimation systématique.5 Enfin, Miller et coll. ont respectivement comparé des coupes TDM de 10 mm et de 1,5 mm quantifiées visuellement à des références macroscopiques communes. Ils ont montré une meilleure corrélation en faveur des coupes de 1,5 mm. D'autre part, ces auteurs ont rapporté que la TDM, tant en coupes de 10 mm que de 1,5 mm, ne détectait pas les stades les plus précoces de la maladie et en sous-estimait l'étendue à tous les stades.6Compte tenu des méthodes de quantification utilisées, ces études ont été limitées à la recherche de corrélations qui, quoique statistiquement significatives, n'impliquent pas l'égalité entre des mesures tomodensitométriques et histopathologiques.
En TDM, la densité, aussi appelée atténuation, reflète l'absorption des rayons X par les tissus. Elle est exprimée en Unités Hounsfield (UH). Par convention, la densité est comprise entre 1000 UH et 3000 UH, 0 UH, correspondant à la densité de l'eau. L'image TDM est formée par la juxtaposition de pixels et l'atténuation du poumon peut être graphiquement représentée par l'histogramme de distribution des densités. Dans l'emphysème, la destruction du tissu pulmonaire et la plus grande proportion d'air entraînent le déplacement de cette distribution vers les densités plus négatives. Des index dérivés de cette distribution, tels que la surface sous la courbe correspondant aux densités inférieures à un seuil, pourraient être des méthodes de quantification de l'emphysème.
Dès 1984, Hayhurst et coll. ont montré que la distribution des densités établies sur deux coupes TDM centimétriques était significativement déplacée vers les valeurs négatives chez les sujets emphysémateux comparativement à des sujets sains.7 Cependant, malgré ces résultats encourageants, la quantification objective de l'emphysème n'a été développée qu'après que des programmes informatiques automatisés aient été mis au point. Ces programmes reconnaissent les poumons, en dessinent les contours, effacent la paroi thoracique et le médiastin, établissent l'histogramme de distribution des densités, calculent la surface pulmonaire totale et la surface pulmonaire occupée par les densités inférieures à un seuil. En 1988, Müller et coll. ont appliqué un tel programme à des coupes TDM centimétriques.8 Ces auteurs ont analysé chez 28 patients une coupe TDM obtenue à l'inspiration maximale après injection intraveineuse de produit de contraste iodé. La surface relative de poumon occupée par des densités inférieures à 920, 910 et 900 UH a été mesurée par un programme spécifique. Après résection chirurgicale, l'emphysème a été scoré visuellement sur la coupe pulmonaire réalisée au même niveau anatomique que la coupe TDM. Le coefficient de corrélation étant le plus élevé pour un seuil de 910 UH, ces auteurs ont conclu que ce seuil était le plus adéquat.
Compte tenu de la supériorité de la TDM-HR par rapport à la TDM conventionnelle dans l'imagerie des pathologies infiltratives diffuses, nous avons appliqué et validé cette technique dans la quantification objective de l'emphysème. Sur base de comparaisons avec l'histopathologie macroscopique, nous avons d'abord montré que le seuil adéquat est 950 UH.9
Par ailleurs, Mc Lean et coll. avaient montré l'importance des mesures microscopiques dans la quantification de l'emphysème pulmonaire.10 Gould et coll. avaient déjà rapporté une corrélation statistiquement significative entre le cinquième percentile de la distribution des densités TDM et des index microscopiques.11 Dans cette étude cependant, les coupes TDM avaient 13 mm d'épaisseur et nécessitaient une apnée de 18 secondes. Ces caractéristiques techniques sont défavorables à la résolution spatiale et ne sont d'ailleurs plus utilisées actuellement. De plus, le 5e percentile est une valeur qui dépend de l'ensemble de la distribution. Dès lors, cet index est non seulement fonction de l'étendue de l'emphysème, mais il peut être influencé par des densités élevées tels les vaisseaux sanguins, les parois des voies aériennes, des zones de condensation et des pathologies interstitielles associées.
Nous avons comparé les surfaces relatives occupées par les densités inférieures à huit seuils échelonnés de 900 UH à 970 UH à des index microscopiques d'emphysème.12 La corrélation la plus élevée a été obtenue entre les mesures microscopiques et la surface relative occupée par les densités inférieures à 950 UH, confirmant nos résultats macroscopiques. En d'autres termes, la surface relative de poumon occupée par les densités inférieures à 950 UH (RA950) est un reflet de l'emphysème macroscopique et microscopique.12
Nous avons ensuite respectivement comparé les quantifications TDM objectives et les quantifications visuelles subjectives à l'histopathologie macroscopique considérée comme référence commune.13 Sur les coupes TDM-HR, l'étendue de l'emphysème a été scorée par trois lecteurs au cours de deux sessions de lecture. Ces comparaisons ont montré que la gradation visuelle est significativement corrélée avec la surface de poumon emphysémateux mais, qu'à la différence de la RA950, elle surestime systématiquement l'étendue de l'emphysème. De plus, cette méthode souffre de variabilités intra- et inter-observateurs, ce qui n'est pas le cas des quantifications objectives.
Sur bases de comparaisons avec les données des épreuves fonctionnelles respiratoires, mais sans recourir à des comparaisons histopathologiques, plusieurs études ont évoqué l'intérêt de la TDM obtenue en fin d'expiration profonde.15 En utilisant les mêmes méthodes macroscopiques et microscopiques appliquées aux mêmes patients que lors des études précédentes, nous avons montré que l'index tomodensitométrique mesuré en expiration n'est pas aussi adéquat que l'index mesuré en inspiration et qu'il reflète plus le trouble obstructif que la destruction de la membrane alvéolo-capillaire.16
Des circonstances particulières sans rapport avec l'emphysème seraient susceptibles de modifier la quantification TDM objective indépendamment de la présence d'emphysème. Nous avons ainsi montré une augmentation significative de la RA950 avec l'âge et avec la taille des poumons mesurée par la capacité pulmonaire totale. D'autre part, l'hyperinflation aiguë ou chronique sans emphysème associé n'influence pas la RA950 mesurée en inspiration profonde.17
Dès à présent, des études basées sur des données tomodensitométriques ont déjà permis des conclusions originales. Par exemple, nous avons investigué les conséquences fonctionnelles respectives de l'emphysème et des micronodules coniotiques chez les travailleurs exposés à la silice ou à la poussière de charbon. Dans cette étude, nous avons montré que c'est l'étendue de l'emphysème, quelle qu'en soit la cause, qui détermine l'importance du syndrome obstructif, les micronodules détectés en TDM n'étant qu'un stigmate de l'exposition.18
D'autres travaux ont été consacrés à l'asthme et à la chirurgie de réduction de volume pulmonaire. Par ailleurs, des perspectives médicamenteuses nouvelles font apparaître le besoin de techniques morphologiques de quantification dont il convient de standardiser la méthodologie. Enfin, les analyses de texture et fractales pourraient permettre de révéler des stades précoces de la maladie et de distinguer les différents types d'emphysème et de maladies obstructives chroniques.