L'article est une brève introduction aux théories fondamentales de la médecine traditionnelle chinoise ; il en présente les concepts-clés : le yin et le yang, le qi, les méridiens, les causes des maladies, les méthodes diagnostiques. Il décrit brièvement certaines applications thérapeutiques parmi les plus connues en Occident, telles que l'acupuncture, la pharmacopée ou le qigong. Puis, à partir de la recherche occidentale contemporaine sur la médecine chinoise, il évoque les effets biochimiques reconnus ainsi que les éventuels effets secondaires de la pratique. Il examine enfin les perspectives d'une intégration des visions chinoise et occidentale avec pour objectif, notamment, d'améliorer la qualité de la recherche clinique.IntroductionLa médecine traditionnelle chinoise (MTC) a longtemps suscité perplexité et scepticisme dans une grande partie du monde, situation encore aggravée par la barrière linguistique qui a entravé l'échange d'information libre et aisé. Ainsi, cette présentation a pour but de promouvoir une meilleure compréhension de la MTC.Par ailleurs, durant la dernière décennie, le monde a accordé une attention grandissante aux systèmes de médecine traditionnels. D'après certaines estimations, une grande partie de la population, dans de nombreux pays en développement, compte fortement sur les pratiques traditionnelles pour satisfaire ses besoins en matière de santé.1 En Chine, bien que la médecine occidentale soit accessible partout, la majorité de la population a systématiquement recours au Zhong Yi (médecine traditionnelle chinoise ou MTC) pour se faire soigner et la médecine occidentale et la médecine chinoise sont pratiquées parallèlement à tous les niveaux.2Le nombre de personnes ayant recours à des systèmes de médecines complémentaires s'est accru dans le monde occidental depuis une dizaine d'années. Aux Etats-Unis, on a constaté qu'entre 1990 et 1997, l'usage des médecines complémentaires et alternatives (CAM) a augmenté de façon spectaculaire,3 et que, de fait, davantage de gens ont eu recours à des praticiens de médecines alternatives plutôt qu'à des médecins conventionnels. Un certain nombre de compagnies d'assurance aux Etats-Unis, ainsi que dans des pays européens, dont la Suisse, incluent dans leurs prestations la couverture de certaines thérapies alternatives.4 Par ailleurs, la plupart des facultés de médecine américaines offrent des formations dans ce domaine.5Toutefois, la demande publique est forte et en constant développement, entre 30 et 70% selon les pays, estime-t-on. Qui plus est, on a récemment découvert que ces médecines complémentaires sont également utilisées par de nombreux médecins et thérapeutes, pour eux-mêmes, dans toute l'Europe, avec une popularité qui diffère selon les pays.6 Certaines enquêtes, par exemple, montrent en effet que 80% des jeunes médecins et 40% des généralistes en Grande-Bretagne sont intéressés à se former à ces médecines complémentaires.7 Une enquête récente auprès d'un échantillon de 610 médecins suisses révèle que 46% d'entre eux les utilisent pour eux-mêmes (55% l'homéopathie et 45% l'acupuncture). Ces pourcentages sont les mêmes pour la population suisse en général.8La pratique de la MTC, dont l'histoire remonte à plus de 2000 ans, offre des thérapies naturelles mais néanmoins efficaces, et soigne de nombreuses maladies tout en entraînant, cependant, très peu d'effets secondaires. La conception que la MTC a de la santé est unique, tant sur le plan théorique que pratique. Les traitements ont recours à différentes disciplines, telles que la phytothérapie chinoise, l'acupuncture et la moxibustion, le tuina (combinaison d'acupression, de massages et de manipulations), la diététique, et le qigong.2,9 Ces techniques peuvent être utilisées séparément ou en association pour réaliser un traitement.La MTC diffère fondamentalement de la médecine occidentale, bien qu'il y ait des domaines où les deux concordent.10 Il est intéressant de noter que les praticiens actuels de la MTC en Chine, doivent suivre une formation en médecine occidentale tout en faisant leurs six ans de formation universitaire en MTC. Bien que traditionnelle, celle-ci n'a cessé d'évoluer et de s'enrichir tout au long de son histoire. Et l'on peut espérer que son contact avec la médecine occidentale, en ce début de millénaire, lui offre de nouvelles perspectives.Principes de base de la médecine traditionnelle chinoiseAu cours de la longue histoire de la Chine, la MTC s'est développée en tant que système médical unique et complet. Le Huangdi Neijing (Classique de médecine interne de l'Empereur Jaune) fut le premier ouvrage monumental classique qui offrait systématiquement de l'information sur l'étiologie, la physiologie, le diagnostic, le traitement et la prévention de la maladie. Il apparut entre 300 et 100 av. J.C., et marqua ainsi la naissance de la médecine chinoise.11Une différence fondamentale entre celle-ci et la médecine occidentale réside dans la manière dont on observe le corps humain, d'où découle une conception différente de la santé et de la maladie. La médecine chinoise considère le corps humain comme un ensemble. Elle met l'accent sur une harmonie globale, subtile, ainsi que sur la coordination entre les différentes parties du corps humain. Par conséquent, elle insiste beaucoup sur l'harmonie et le maintien de cet équilibre naturel du corps.12 Comme base théorique, elle utilise la théorie des zang fu (organes et entrailles) et celle des méridiens, la théorie du yin et du yang et enfin celle dite des «Cinq Eléments» ou des «Cinq Mouvements». Selon la MTC, le qi, «sang» et les «liquides organiques» sont les substances fondamentales qui constituent le corps humain et maintiennent un fonctionnement physiologique normal.13 La santé implique une coordination harmonieuse entre les différentes parties du corps, ainsi que leur adaptation à l'environnement.Le mécanisme fondamental de la maladie est fondé sur la rupture de l'équilibre relatif entre l'organisme et son environnement.14 En termes de MTC, ceci entraîne un déséquilibre entre le yin et le yang.11 Dans le diagnostic et le traitement des maladies, la caractéristique fondamentale de la MTC, qui la différencie de la médecine occidentale moderne, consiste à identifier des syndromes cliniques théoriques décrits par la tradition.15 Son aspect holistique se réfère également à la relation du corps humain à la nature. D'une part, la nature influence constamment le corps humain et, d'autre part, le corps s'adapte aux variations de l'environnement naturel.Le concept du yin et du yangCelui-ci est fondamental pour la compréhension de la médecine chinoise. A l'origine, yin et yang sont deux termes topographiques utilisés pour désigner les côtés ombre et soleil d'une colline, ou les côtés nord et sud d'une montagne. Le côté soleil représente la chaleur, la lumière, ainsi que d'autres caractéristiques actives ; le côté ombre représente le froid, l'obscurité, de même que des propriétés passives. Par extension, la théorie du yin et du yang soutient que l'univers se manifeste en deux forces opposées mais interdépendantes, qui résonnent harmonieusement et maintiennent un constant équilibre entre elles. Vu que l'homme est considéré comme un microcosme dans l'univers, fait à son image, il est nécessaire, pour parvenir à un état de santé, de maintenir un équilibre entre les forces yin et yang dans le corps humain. En ce qui concerne la médecine, la théorie du yin et du yang est utilisée pour caractériser les différentes structures du corps, leur relation et leurs fonctions respectives, ainsi que leurs modifications pathologiques. De même, la théorie du yin et du yang est aussi appliquée au diagnostic et au traitement des maladies.Le concept du qiLe principe fondamental de la MTC est que tous les êtres vivants, y compris les humains, ont en eux une force vitale. L'énergie biologique vitale essentielle, qui est invisible, est connue dans la philosophie chinoise sous le nom de qi (prononcer «tchi» souvent orthographié ainsi). Le qi «circule» de façon régulière le long des méridiens du corps. Les perturbations de ce flux sont considérées comme responsables des maladies. Lorsque le qi prend forme, le corps vivant est constitué ; lorsque le qi se dissipe, le corps «meurt».11 Qi a été traduit de différentes manières, en «énergie», «énergie vitale» ou «force vitale» ou «souffle», mais il est presque impossible de saisir ce concept dans toute sa subtilité en le traduisant, aussi avons-nous choisi de garder ici le terme chinois qi.Du point de vue scientifique, le qi s'apparente à cette force organisatrice des systèmes complexes, dénuée de fondement matériel, proche du concept de négentropie ou plus simplement de «fonction». Quand le qi «circule», ça fonctionne. La métaphore circulatoire est souvent utilisée pour exprimer cette immatérielle propriété des systèmes complexes. Les origines du qi peuvent être divisées en innée et acquise. Le qi inné est l'essence vitale stockée dans le «rein» et héritée des parents au moment de la conception ; elle a été augmentée après la naissance par une combinaison entre l'énergie des aliments absorbés par la «rate» et le «pancréas» et l'air inhalé par le «poumon». Ces deux sources de qi se forment dans la poitrine et constituent zhong qi (qi authentique), qui «circule» à travers les organes et les tissus du corps. Etant donné que le qi est invisible, il ne peut être perçu qu'à travers ses actions ou manifestations. Ainsi, par exemple, une déficience du «qi du rein» signifie une déficience de l'énergie requise pour le fonctionnement du «rein» à savoir, l'hypofonction du «rein».En termes généraux, le qi a cinq fonctions :I Il est la source d'énergie pour les activités du corps.I Il réchauffe le corps.I Il régit les défenses du corps.I Il gère et propulse les «liquides organiques» à l'intérieur du corps.I Il assure la position normale des organes dans le corps.14,16Le corps humainEn médecine chinoise, l'accent est mis sur l'observation des manifestations externes physiologiques et pathologiques du corps humain. On considère que tous les organes internes et leurs activités ont leurs manifestations correspondantes à l'extérieur. De fait, la MTC ne s'appuie que peu sur l'anatomie du corps humain. Bien que la MTC utilise, pour nommer les organes, des termes semblables à ceux utilisés en médecine occidentale et leur attribue, par la même occasion, des fonctions relativement similaires, les concepts sont, en fait, radicalement différents. Par exemple, en médecine chinoise, chaque organe est un vaste système qui remplit un ensemble de fonctions physiologiques couvrant souvent un domaine bien plus étendu que celui auquel sa signification anatomique se réfère. Les organes viscéraux sont divisés en trois catégories, suivant leurs caractéristiques et leurs fonctions physiologiques.I Les cinq organes zang sont des viscères pleins, et leur fonction est de stocker «l'essence vitale». Ils comprennent : «foie», «cur», «rate/pancréas», «poumon» et «rein».I Les six entrailles fu sont des viscères creux, et leur fonction est le transport et la transformation des aliments. Ils sont constitués par : «intestin grêle», «gros intestin», «vésicule biliaire», «estomac», «vessie» et «Trois Réchauffeurs» («sanjiao» : fonction pure sans entraille anatomique, assimilable à la notion de système neurovégétatif).I Les organes «extraordinaires» sont des viscères creux dont la fonction est de stocker «l'essence vitale» et de gérer la pérennité de l'espèce ; ils comprennent : «cerveau, os, moelle, vaisseaux sanguins, vésicule biliaire et utérus».Chacun des organes zang, qui sont yin, est relié à une entraille fu, qui est yang. En MTC, la fonction d'un organe peut inclure les fonctionnements de plusieurs organes tels qu'ils sont anatomiquement définis en médecine occidentale. Par exemple, le «rein» n'est pas uniquement un organe qui sécrète l'urine ; il stocke «l'essence vitale», contrôle la reproduction, la croissance et le développement, et il est apparenté au «cerveau», à la «moelle» et à l'os». Aussi, en MTC, le concept de «rein» englobe en plus des fonctions du système urinaire, celles du rein endocrine (érythropoïétine, vitamine D, angiotensine), celles de la glande surrénale et des gonades et même de tout l'axe hypothalamo-hypophyso-corticosurrénalien.13Méridiens : «canaux» qui parcourent le corps humainLes médecines occidentale et chinoise sont d'accord sur un point : les organes entretiennent des relations anatomophysiologiques entre eux. La MTC considère qu'il existe dans le corps humain un réseau de canaux appelé système des méridiens, à travers lequel le qi «circule», comme le sang circule dans les vaisseaux. Ce système relie entre eux les organes et les coordonne aux structures du corps, formant ainsi un ensemble. Le système de méridiens consiste en douze paires de méridiens principaux, huit méridiens extraordinaires, et trois fois douze méridiens secondaires. Les douze méridiens principaux constituent l'essentiel du système. Ils sont distribués symétriquement des deux côtés du corps ainsi qu'aux membres. Ces lignes tracées sur le corps représentent, en termes occidentaux, la projection réflexologique des organes profonds et de leurs fonctions à la peau. Le nom de chaque méridien est conforme à l'organe ou au viscère avec lequel il est en relation. Afin de faciliter l'apprentissage et l'usage des méridiens, les noms ont été traduits en anglais. L'OMS a fixé des codes alphabétiques standardisés pour les dénommer.17Les points d'acupuncture se trouvent le long des méridiens, dans la peau. Chaque point d'acupuncture est localisé anatomiquement et possède des propriétés thérapeutiques spécifiques. L'OMS a également recommandé une nomenclature standardisée de ces points.17 Le système des méridiens est utilisé en MTC pour expliquer les fonctions physiologiques et les pathologies du corps humain, ainsi que pour guider le diagnostic et le traitement des maladies. Acupuncture, tuina et qigong sont des techniques thérapeutiques fondées principalement sur la théorie des méridiens.Causes des maladiesSelon la médecine traditionnelle chinoise, la santé implique que le système corporel soit en état d'équilibre dynamique, non seulement au niveau des différentes parties du corps, mais également entre le corps et l'environnement. Les maladies surviennent lorsque l'équilibre est détruit par certains facteurs (il y a alors déséquilibre entre le yin et le yang). Les facteurs qui causent des troubles dans l'harmonie et l'équilibre du corps sont appelés facteurs pathogènes. Ils sont généralement classés en facteurs pathogènes exogènes et endogènes.I Les facteurs pathogènes exogènes concernent les changements atmosphériques (vent, froid, chaleur ou «feu», canicule, humidité, sécheresse). Ce sont les six conditions climatiques extrêmes auxquelles l'individu doit s'adapter.I Les facteurs endogènes comprennent les facteurs émotionnels : colère, joie, soucis, affliction et chagrin, angoisse, effroi, connus sous le nom des «sept émotions» ou «sept sentiments».Il existe également différents facteurs qui n'appartiennent à aucune de ces deux catégories, tels que des éléments pathogènes épidémiques, les traumatismes, une diète inadéquate, l'épuisement et une activité sexuelle excessive.Le fait que la maladie survienne dépend essentiellement de l'issue du combat entre énergies vitales et facteurs pathogènes. Ainsi qu'il est affirmé dans Su Wen (Classique de médecine interne de l'Empereur Jaune) : «Les éléments pathogènes ne peuvent pas envahir le corps lorsque l'énergie vitale est suffisante».11 Ainsi, la MTC accorde la plus grande attention au maintien de l'énergie vitale. C'est pourquoi elle concède une place très importante à la prévention.Aspects préventifs de la MTCLe concept de prévention en MTC s'exprime à deux niveaux : la prévention contre l'apparition d'une maladie et la prévention contre le développement de cette même maladie. La première s'oriente vers la promotion du zhen qi (le qi authentique), par le soutien du système de défense de l'organisme (wei qi), la régulation de la vie émotionnelle et de l'alimentation, et l'entretien de l'organisme par l'exercice physique. La deuxième notion de prévention, c'est-à-dire la lutte contre le développement de la maladie déjà installée, implique le diagnostic ainsi que le traitement précoces, en fonction du type de transmission de la maladie. De plus, la stratégie appliquée dans le traitement sera de mettre d'abord l'accent sur le soutien à l'organe non affecté, afin de prévenir la transmission de la maladie plus avant. Ceci a été clairement démontré par le «Classique des problèmes médicaux», lorsqu'il dit au chap. 77 : «Si le foie est malade, il peut attaquer la rate. Par conséquent, la rate doit être fortifiée avant qu'elle ne soit elle-même affectée».18 Ainsi, la stratégie, lors du traitement, sera de mettre d'abord l'accent sur le soutien à l'organe non affecté, afin de prévenir une péjoration de la maladie plus avant.Méthodes de diagnosticNous l'avons dit plus haut, la MTC considère le corps humain comme une entité organique qui forme un tout, dont les composantes sont interdépendantes. Dès lors, un changement d'ordre pathologique influence le corps tout entier. Dans le même ordre d'idées, les troubles des organes internes peuvent se manifester en surface. La MTC utilise quatre méthodes principales de diagnostic : l'inspection, l'audition et l'olfaction, la palpation et l'interrogatoire.L'inspection est une méthode utilisée pour étudier l'état mental, la condition physique, le comportement, les sécrétions et excrétions. L'observation de la langue et de ses modifications y tient une place importante.L'audition et l'olfaction détectent l'état clinique d'un patient en écoutant sa voix, sa respiration, sa toux, et en respirant ses odeurs corporelles.L'interrogatoire porte sur les symptômes, l'histoire de l'affection actuelle, l'anamnèse générale du patient, ses habitudes alimentaires, son style de vie, son aversion pour la chaleur ou le froid, etc.La palpation est la méthode de diagnostic la plus importante, propre à la MTC. D'une part, elle consiste à tâter le pouls et, d'autre part, à palper le corps. L'examen du pouls met en avant sa qualité au niveau des artères radiales des deux poignets. Il est reconnu que l'on peut identifier vingt-huit qualités de pouls différentes, chacune appréciant un aspect particulier de l'état du patient. Cette technique est utilisée pour examiner la force ou la faiblesse du qi et du «sang» et prévoir ainsi la progression de la maladie. Elle fait référence à une perception méthodique de la surface du corps, des méridiens, de la température et du degré d'humidité. Elle est appliquée souvent en cas de douleur.Le diagnostic final est basé sur l'information recueillie par toutes ces méthodes de diagnostics mentionnées ci-dessus. Ces méthodes ne sont pas utilisées isolément, ce sont les composantes d'un système.Les traitements en médecine traditionnelle chinoiseL'acupunctureLa définition de l'acupuncture est «piquer avec un instrument pointu»,19 mais le terme originel chinois comprend à la fois les piqûres par aiguilles et la moxibustion.C'est une composante importante de la MTC pour la prévention et le traitement des maladies. L'acupuncture se base théoriquement sur l'hypothèse qu'il existe des types différents de qi qui se manifestent dans les méridiens ; toute perturbation du «flux» de qi est considérée comme responsable des maladies. Le traitement par acupuncture peut corriger les déséquilibres de ce flux de qi, soit en insérant une aiguille, soit en utilisant la moxibustion qui implique de brûler une herbe, généralement de l'armoise au-dessus ou sur les points d'acupuncture. D'autres méthodes stimulantes peuvent aussi être appliquées sur les points d'acupuncture afin de régulariser le qi corporel et contribuer ainsi à restaurer l'équilibre et l'harmonie. La réaction dite du deqi (ou «sensation de puncture») est un facteur crucial pour l'obtention des effets thérapeutiques de l'acupuncture. Elle implique une sensation «d'endolorissement, d'engourdissement, de dilatation ou de lourdeur» pour le patient au niveau de l'aiguille implantée ; simultanément, le médecin devrait ressentir lui aussi «lourdeur» et «tension» autour de l'aiguille. Comme l'affirme le «Classique de médecine interne de l'Empereur Jaune» : «les effets de l'acupuncture ne peuvent être accomplis que lorsque la sensation de deqi est atteinte».11 Cette question cruciale a souvent été ignorée en Occident dans la recherche clinique sur l'acupuncture.20La phytothérapie chinoise traditionnelleLa pharmacopée traditionnelle représente une part importante de la MTC. Elle est très populaire en Chine. Elle répertorie près de 8000 substances, provenant de plantes médicinales, d'animaux et de minéraux. Cette pharmacopée définit les principes actifs en fonction de leurs effets sur les différents syndromes cliniques théoriques, et non en fonction de leur nature physique, chimique ou pharmacologique.Il y aurait beaucoup plus à dire sur la pharmacopée chinoise, mais la place ici nous manque.Le qigongLe terme qigong est composé de deux caractères chinois : qi et gong. Qi peut être approximativement traduit, nous l'avons vu, par «énergie vitale», et gong par «méthode» ou «performance». Le qigong est une série d'exercices qui, conjoints à la maîtrise de l'esprit et de la respiration, permet d'arriver à contrôler et favoriser la libre circulation du qi. Etant donné que le qi joue un rôle important dans les processus vitaux du corps humain, il est naturel que la maîtrise du «flux» du qi puisse être utilisée comme une méthode de protection de la santé et de prévention des maladies. Le qigong est différent d'un exercice simplement physique. Ce dernier a pour but de renforcer la santé ou d'assurer le fonctionnement du corps en entraînant la résistance physique, alors que le premier se concentre sur la mobilisation des potentialités fonctionnelles par le contrôle de l'esprit et de la respiration. En d'autres termes, l'exercice physique est purement d'ordre somatique, alors que la thérapie par le qigong est généralement d'ordre psychosomatique. Une autre différence entre l'exercice physique et le qigong consiste dans leurs objectifs respectifs : l'exercice physique produit de l'énergie en tendant le muscle et en accélérant les battements du cur ainsi que la respiration, alors que le qigong assure une relaxation, une respiration calme et régulière, de façon à accumuler de l'énergie vitale dans le corps.Effets biologiques de l'acupunctureL'acupuncture fonctionne-t-elle ? Si tel est le cas, quelle en est l'explication scientifique ? Ces questions ont pendant longtemps stimulé des débats parmi les scientifiques qui travaillaient dans ces domaines, et les réponses qu'ils ont trouvées semblent prometteuses. Une de ces réponses a été donnée par le National Institutes of Health (NIH) aux Etats-Unis. En novembre 1997,20 le NIH Office of Alternative Medicine et le NIH Office of Medical Application of Research ont formé une commission d'experts. En conclusion, son président, le Dr David J. Ramsay, recteur de l'Université du Maryland, Baltimore, a évoqué le consensus général actuel sur les bases de l'acupuncture en disant qu'elles sont «aussi solides que celles qui sont admises pour beaucoup de thérapies occidentales».20 Cette déclaration conjointe disait : «Bien qu'il demeure beaucoup d'inconnues concernant les mécanismes qui pourraient gérer les effets thérapeutiques de l'acupuncture, il est encourageant pour la commission qu'un grand nombre de changements biologiques signifiants relatifs à l'acupuncture puissent être identifiés et décrits avec précision. Des études effectuées sur des animaux et des humains ont démontré que l'acupuncture peut provoquer de multiples réactions biologiques, et que ces réactions, causées principalement par des neurones sensitifs, sont connectées à de nombreuses structures à l'intérieur du système nerveux central». De plus, «la stimulation par acupuncture pourrait également activer l'hypothalamus et la glande pituitaire, débouchant ainsi sur un large spectre d'effets systémiques». Tout ceci peut «conduire à l'activation de canaux qui affectent plusieurs systèmes physiologiques dans le cerveau aussi bien que dans la périphérie».20Le Pr Han Jisheng de l'Université de médecine de Beijing, après avoir fait le bilan de trente ans de recherche sur la physiologie de l'acupuncture, a signalé que les effets de l'acupuncture sont générés par une variété de mécanismes neuronaux et neuro-chimiques.21Etant donné que la plus grande partie de la recherche sur l'acupuncture clinique se rapporte au traitement de la douleur,22 l'attention a été focalisée sur le rôle des opioïdes endogènes dans l'analgésie par acupuncture.20 Des données issues d'expériences renforcent l'hypothèse que, dans chaque effet produit par l'acupuncture, il pourrait y avoir plus d'un neuropeptide impliqué.23 Le fait que des opioïdes antagonistes tels que la naloxone bloquent les effets analgésiques de l'acupuncture renforce encore cette hypothèse. Toutefois, en l'état actuel de la recherche, il reste à découvrir quels autres processus physiologiques opèrent dans les effets cliniques, et comment diverses maladies peuvent réagir différemment à l'acupuncture.Effets indésirables de la médecine traditionnelle chinoiseLa sécurité est une préoccupation essentielle. Vu que la médecine chinoise est «naturelle» et qu'elle a fait ses preuves à travers l'histoire, elle est automatiquement perçue comme inoffensive. Il est vrai que les herbes médicinales chinoises sont, en général, moins toxiques et plus sûres que des drogues synthétiques, mais elles ne sont pas dénuées d'effets secondaires. Avec la popularité croissante que connaît la médecine chinoise, l'incidence de ces effets secondaires a augmenté, comme le montrent certains rapports. La question des effets toxiques potentiels d'herbes médicinales a été reconnue depuis longtemps par la pharmacopée chinoise, et des théories appropriées ont été développées pour éviter des utilisations ou des combinaisons nocives d'herbes médicinales. A l'heure actuelle, la pharmacopée chinoise est toujours guidée par ces théories. Les effets négatifs/toxiques sévères les plus souvent rencontrés comprennent : des réactions allergiques,24 la contamination par des métaux lourds,25,26 des réactions toxiques,27,28 l'interaction avec des produits pharmaceutiques.29Des préoccupations ont également été exprimées en ce qui concerne la sécurité de l'acupuncture. Les risques associés à l'acupuncture se sont révélés très faibles comparés à des interventions «classiques».30 La déclaration du NIH citée plus haut fait les remarques suivantes : «Un des avantages de l'acupuncture est que l'incidence d'effets négatifs est substantiellement plus faible que celle de nombreuses drogues ou autres procédures appliquées dans les mêmes circonstances».20 De façon générale, les effets secondaires découlant de l'acupuncture pratiquée par un médecin expérimenté sont minimes.31 Des rapports montrent que les problèmes les plus communs de l'acupuncture se situent au niveau d'aiguilles oubliées sur le patient !32 Des réactions négatives sont possibles avec l'acupuncture,33-35 toutefois elles sont généralement causées par des praticiens qui n'ont pas reçu la formation adéquate. Dans la pratique de la médecine, la qualification est importante, ce qui, bien évidemment, vaut également pour les médecines complémentaires.Perspectives pour la médecine traditionnelle chinoiseDe grands progrès ont été effectués dans les pays occidentaux cette dernière décennie pour tenter de comprendre les mécanismes de la MTC, en particulier au niveau des effets physiologiques de l'acupuncture. En même temps, en Chine, des efforts visant à intégrer la MTC dans la médecine «moderne» ont également permis d'accumuler une grande quantité d'expériences et de données scientifiques.Toutefois, l'importance d'une recherche plus ample en MTC dépasse de loin le besoin d'éclaircir le phénomène de l'acupuncture. Des études théoriques qui permettraient d'élucider les fondements mêmes de la MTC en termes scientifiques demandent un effort concerté. Un autre défi réside dans la question de savoir comment pleinement associer, au plan clinique, la MTC et la médecine occidentale, ce qui pourrait éventuellement contribuer à l'intégration plus systématique de ces deux visions de la médecine.L'une des critiques les plus fréquentes faite à la recherche en MTC est la qualité. Ainsi, il vaudrait la peine d'améliorer la méthodologie en imaginant, par exemple, une approche similaire à une étude contrôlée en double aveugle destinée à l'usage spécifique de la recherche en acupuncture. Un autre point faible est la vision incomplète de la gamme de techniques d'acupuncture disponibles traditionnellement. Il existe de nombreuses sortes de techniques de stimulation qui produisent souvent des résultats radicalement différents ; elles doivent être systématiquement explorées. Enfin, on devrait s'efforcer de traduire la littérature contemporaine et les textes classiques de la MTC. WBibliographie :1 WHO monographs on selected medical plants. 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