Les personnes âgées sont généralement exclues de la recherche clinique et sont traitées par des médicaments qui souvent n'ont été testés que chez l'adulte jeune. L'exclusion des personnes âgées est en partie liée à la difficulté de conduire des études cliniques gériatriques. Les problèmes pratiques se rencontrent à toutes les étapes d'un essai clinique, de la rédaction du protocole au déroulement de l'étude. Ethiquement, la capacité de décision et l'obtention du consentement libre et éclairé d'une personne âgée requièrent une attention particulière. Nous aimerions illustrer ici notre propos par des exemples rencontrés lors de deux études cliniques effectuées en gériatrie et proposer quelques solutions découlant de notre expérience personnelle.
Dans les pays industrialisés, les personnes de plus de 65 ans représentent environ 15% de la population et consomment environ un tiers des médicaments prescrits. L'avance en âge peut à lui seul modifier la façon dont le corps réagit aux médicaments et ce phénomène est encore amplifié chez les patients âgés malades. Néanmoins, les gens âgés sont généralement exclus de la recherche clinique et sont traités par des médicaments dont la sécurité d'emploi et le dosage optimal reposent sur des études faites chez l'adulte jeune.1
Une étude récente menée dans quatre journaux médicaux (BMJ, Lancet, Gut et Thorax) a permis de déterminer le taux d'inclusion des personnes âgées dans les essais cliniques publiés sur une année. Les auteurs sont arrivés à la conclusion que, dans un bon tiers des études, les personnes âgées de 75 ans ou plus avaient été exclues sans aucune justification.2 D'autres auteurs ont vérifié si les protocoles soumis à un comité d'éthique spécifiaient une limite d'âge maximale et quelle était la réaction du comité à cette limite : sur 225 études soumises, 155 portaient sur des thèmes impliquant potentiellement des personnes âgées dont 85 (55%) contenaient une limite d'âge maximale injustifiée. Dans aucun des cas, le comité d'éthique n'a demandé une justification quant à ces limites d'âge.3
L'inclusion des personnes âgées dans les études cliniques est essentielle mais n'est pas facile à mettre en pratique et l'on peut comprendre (à défaut d'admettre) que nombre d'études excluent cette population. Nous aimerions donc parler ici des difficultés de la recherche clinique en gériatrie en l'illustrant d'exemples concrets rencontrés lors de deux études menées au sein de l'Hôpital de gériatrie de Genève (tableau 1) et de quelques solutions envisagées.
Toutes les phases d'une étude clinique en gériatrie sont susceptibles de poser des problèmes spécifiques : de la rédaction du protocole à la récolte des données, chaque étape est à préparer et à mener avec soin.
Pour garantir une puissance statistique suffisante, le nombre de sujets à inclure dans une étude comprenant des personnes âgées est généralement plus élevé que pour une étude n'incluant que des adultes jeunes. En effet, la population gériatrique est très hétérogène et il est souvent nécessaire d'effectuer une stratification des patients selon leur état physique.5 Par ailleurs, il est également nécessaire de garantir la représentativité de la population étudiée par rapport à la population générale, notamment par rapport à la répartition des sexes (un tiers d'hommes et deux tiers de femmes à partir de 75 ans).
Il s'ensuit que les critères d'inclusion et d'exclusion doivent être suffisamment larges afin d'intégrer le nombre de patients nécessaire. Par exemple, Dowd et coll. ont cherché à connaître combien de patients seraient inclus dans quatre études sur l'ostéoporose. Sur dossier, ils ont sélectionné 120 femmes qui répondaient aux critères d'inclusion principaux et leur ont appliqué ensuite les critères d'inclusion secondaires : pour les quatre études, entre 3,3 et 20,8% seulement des patientes auraient pu être incluses alors que toutes étaient susceptibles de profiter du traitement. Les principales causes d'exclusion rencontrées étaient liées aux comorbidités et aux autres traitements suivis par les patientes, deux éléments très fréquents en gériatrie.6
Finalement, l'utilisation d'un test évaluant l'état cognitif de la personne âgée (comme par exemple le Mini Mental State Exam de Folstein (MMSE)) dans le processus de sélection des patients accroît le nombre d'exclusions mais cette exigence est indispensable pour l'obtention d'un consentement éclairé.
Les critères d'inclusion définis pour l'étude 1 étaient tels qu'aucun patient ne pouvait participer à l'étude. En effet, les patients devaient être inclus avant le début du traitement avec le médicament étudié dont la dose initiale devait être de 200 mg/jour. Or en pratique, il s'est avéré presque impossible d'intervenir avant que le médecin introduise le médicament et d'empêcher l'administration de celui-ci à un dosage inférieur à 200 mg.
Notons également dans l'étude 1 que le résultat du MMSE ne devait pas être inférieur à 23/30 et dans l'étude 2 à 20/30, ce qui a exclu respectivement 7 patients sur 28 (25%) et 16 patients sur 94 (17%).
Le taux de recrutement est souvent faible en gériatrie, on l'estime à environ 60% chez les personnes de plus de 60 ans (en comparaison : 97% en pédiatrie et 75% chez les sujets de 21 à 60 ans).7
Le recrutement des personnes âgées dans une étude clinique se heurte en premier lieu à l'entourage direct du patient : en effet, il y a une volonté de protection souvent exprimée par la famille, par le personnel soignant et/ou le médecin. La personne âgée est perçue comme un être fragile qu'il ne faut pas déranger, susceptible de développer des effets indésirables, qui ne comprendra pas l'information donnée sur l'étude et ne pourra de ce fait pas donner un consentement libre et éclairé. La personne âgée exprime aussi souvent l'envie de ne pas être dérangée, de ne pas subir de prises de sang supplémentaires, plus particulièrement lors d'études en milieu hospitalier.
La signature du formulaire de consentement est également un problème en gériatrie car les personnes âgées montrent une certaine réticence face aux documents écrits, et en particulier face à la nécessité de signer un document. Les auteurs d'une étude ont obtenu le consentement écrit de 44 patients sur 67 (66%) mais 14 (21%) personnes supplémentaires auraient accepté de participer si elles n'avaient pas eu à signer un formulaire de consentement.8
Le taux de recrutement de nos deux études était meilleur que ceux relevés généralement dans la littérature : respectivement 82% (étude 1) et 87% (étude 2) des patients ont accepté de participer à l'étude qui leur était proposée. Plusieurs raisons peuvent expliquer ce résultat. Tout d'abord, les critères d'inclusion de ces deux études étaient suffisamment larges et le patient était rassuré par le fait que le médicament était déjà sur le marché. Ensuite, ces deux études présentaient un bénéfice direct pour le patient, ce qui a probablement augmenté le taux de consentement.9,10
Par contre, nous avons remarqué que les refus étaient motivés par les mêmes raisons que celles couramment citées :11le patient ne souhaite pas être tourmenté, se désintéresse de l'étude, ne veut pas subir de prise de sang, ne veut pas servir de «cobaye», ne veut pas signer le formulaire de consentement, trouve la durée de l'étude trop longue.
La compliance au traitement est un facteur essentiel à l'interprétation des résultats d'une étude et devrait toujours être contrôlée. La non-observance existe dans tous les groupes d'âge et ne semble pas augmenter avec l'avance en âge. Il a cependant été démontré que plus le nombre de médicaments augmente, moins l'adhésion au traitement est bonne, l'erreur de la prise des médicaments pouvant aller jusqu'à 35% lorsque le patient prend plus de quatre médicaments.12 Ce problème s'applique également aux patients hospitalisés, qui, bien que recevant leurs médicaments à heures fixes, ont souvent la responsabilité de les prendre seuls.
D'une manière générale, le nombre de patients qui sortent de l'étude (drop-out) est souvent élevé. Les patients âgés présentent plus souvent des effets indésirables et des interactions médicamenteuses en raison de la polymédication et des comorbidités présentes. De plus, les changements physiques et psychologiques interviennent rapidement et un patient peut du jour au lendemain ne plus être en état de répondre à des questionnaires ou de subir des prises de sang supplémentaires.
Par ailleurs, le chercheur doit s'assurer le concours du médecin-assistant en charge du patient à l'hôpital. La nature biopsychosociale des problèmes gériatriques implique souvent de nombreux intervenants. L'importance donnée à la recherche en cours par le médecin-assistant et sa perception du protocole peuvent fortement influencer le taux de recrutement et d'abandon en cours d'étude.
Certains problèmes semblent liés au moment choisi pour le recueil des informations. Le matin est une période souvent chargée pour les patients hospitalisés (toilette, soins, examens, visites) tandis que leur attention est difficile à capter aux alentours des repas. Pratiquement, l'après-midi (après la sieste et s'ils n'ont pas de visites !) semble un moment propice. En particulier, lorsque le protocole requiert des prises de sang de la façon la plus aléatoire possible (comme dans le cas d'une cinétique de population), il est important de ne pas tomber dans une routine, facilitée par le peu de disponibilité des patients.
Une patiente de l'étude 1 était convaincue d'avoir mis en bouche et avalé les comprimés testés alors que les infirmières les avaient retrouvés à deux reprises par terre et dans son lit. Suite à cet incident, les infirmières ont dû mettre elles-mêmes les comprimés dans la bouche de la patiente.
Dans l'étude 1, il était prévu que les patients prennent d'abord la forme standard du médicament pour ensuite passer à la forme retard. Plusieurs patients ont manifesté le désir de ne pas changer de forme galénique et la forme retard n'a donc pas pu être introduite.
Notons encore que de nombreux patients sont sortis de cette étude parce que le médicament ne les soulageait pas ou plus, et que la durée de l'étude (environ trois semaines) a également contribué à la perte d'un certain nombre de patients.
Les personnes âgées présentent souvent des altérations physiques qui peuvent compliquer la recherche clinique. En effet, une baisse de la vision, des tremblements, une fracture, une paralysie peuvent empêcher le sujet de remplir les questionnaires de l'étude de même qu'une baisse de l'audition rend le relais de l'information plus difficile. De plus, la personne âgée se fatigue vite.
Dans la plupart des cas, le patient à qui l'étude a été présentée n'a pas souhaité lire lui-même le formulaire de consentement mais a demandé à l'investigateur de le lui lire. Une vue déficiente ou le fait de ne pas vouloir prendre la peine de lire ou de ne pas savoir lire explique cette attitude. De même, plusieurs tests prévus à la base pour être remplis par la personne elle-même ont dû être remplis par l'investigateur.
L'étude 1 était conçue avec de nombreux tests différents notamment pour estimer au mieux la douleur. Nous avons cependant dû nous rendre à l'évidence que nous ne pouvions pas, au cours d'un même entretien, faire six tests de douleur, deux tests de dépression et un test sur la qualité de vie.
Le caractère éthique d'une étude, dans toutes les tranches d'âge de la population, se base en premier lieu sur sa validité scientifique. Une étude doit être conçue de façon à garantir que les résultats en seront valides et utiles. Lorsque cette première exigence est satisfaite, le problème qui se pose, et de façon encore amplifiée chez la personne âgée, est la détermination de la capacité du sujet d'étude à prendre une décision et le recueil d'un consentement libre et éclairé.
Il faut d'abord déterminer la capacité de compréhension du patient candidat à l'étude. Il doit être apte à comprendre le but de l'étude, ses implications (temps requis, prises de sang), les risques et les bénéfices, et particulièrement ses droits (de se retirer en tout temps de l'étude, par exemple). La manière de déterminer cette capacité de compréhension a été largement débattue mais reste difficile en pratique. L'utilisation d'un test évaluant la fonction cognitive, comme le MMSE, est une méthode simple d'estimer les capacités cognitives mais plusieurs auteurs signalent que ces tests sous-estiment la prévalence des atteintes de la capacité décisionnelle du sujet âgé. L'avis du médecin traitant peut aussi être sollicité bien qu'il semble que celui-ci surestime la capacité de discernement de ses patients.13,14 Des questionnaires simples, en relation à l'étude proposée, sont aussi une méthode permettant d'évaluer ce que le patient comprend (tableau 2).15
L'âge en soi est un mauvais critère pour juger de la capacité de compréhension d'un patient. Plusieurs études démontrent que d'autres facteurs, comme le niveau d'éducation, la façon dont l'investigateur présente les informations et l'état de santé, influencent la compréhension de manière indépendante et significative.16,17
Dans nos deux études, l'avis du médecin en charge du patient et le MMSE ont été utilisés pour juger de la capacité décisionnelle des candidats à l'étude.
Ces deux critères nous semblent essentiels et nous ont permis de sélectionner des patients capables de décider en (toute) connaissance de cause de leur participation à l'étude.
Un consentement libre sous-entend que la personne a décidé de participer à l'étude proposée de son plein gré, sans pressions extérieures (famille, personnel soignant). Un consentement éclairé signifie qu'elle a été informée correctement du but de l'étude, des implications, des risques, des bénéfices, de ses droits et qu'elle a pu poser des questions et recevoir les réponses demandées.
Le consentement est formé de trois composantes distinctes : l'information donnée par l'investigateur et comprise par le patient, la capacité du patient à peser le pour et le contre de l'étude, la liberté du patient de choisir sans pression.18 Il est difficile de juger si le patient consent librement. Il semblerait en effet que de nombreuses personnes âgées acceptent de participer à une étude pour faire plaisir au médecin et au personnel soignant, certaines aiment l'idée de participer parce qu'il leur semble ainsi qu'on s'occupera mieux d'elles alors que d'autres ont peur d'être moins bien traitées si elles refusent.19Il s'agit donc avant tout de garantir une relation de confiance entre le personnel médical et le patient de façon à ce que le patient se sente véritablement libre de choisir.
Lors du déroulement de l'étude 1, nous avons essayé d'estimer, par des questionnaires, la compréhension de l'information donnée lors du consentement, la liberté de consentement et le rappel de l'information à la fin de l'étude.
En ce qui concerne la compréhension de l'information 24 heures après avoir signé le formulaire de consentement, environ la moitié des patients répondent qu'ils ne sont pas inclus dans une étude clinique bien qu'ils reconnaissent l'investigatrice et se montrent empressés de lui parler de leur douleur et de remplir les questionnaires. De même, si la majorité ne sait pas décrire les buts de l'étude et la moitié ne connaît pas les effets indésirables que peut engendrer le médicament, les trois quarts des patients se souviennent pouvoir se retirer de l'étude quand ils le désirent.
En ce qui concerne la liberté de consentement, la majorité des patients ont pris seuls la décision de participer à l'étude, ils ne pensent pas que le fait d'avoir signé un formulaire de consentement soit quelque chose d'irrévocable. Qu'ils aient accepté ou refusé de participer à l'étude, ils n'ont pas eu l'impression que leur choix influencerait l'attitude de l'équipe soignante.
En ce qui concerne le rappel de l'information, environ trois semaines après avoir accepté de participer à l'étude, la moitié dit ne pas avoir participé à une étude clinique et ne connaît pas les effets indésirables du médicament qu'ils prennent.
Ces deux études cliniques nous ont permis non seulement de nous rendre compte des difficultés de la recherche clinique en gériatrie, mais également d'imaginer quelques solutions à celle-ci. L'élément primordial nous semble ainsi être la nécessité d'accorder du temps à toutes les étapes de l'étude.
Avant la rédaction du protocole, il nous faut connaître la population à étudier, la prescription courante du médicament (fréquence et dosage) et ce dans le cadre clinique de l'étude. Une fois le protocole rédigé, il est alors nécessaire de procéder à une étude pilote qui permettra d'affiner l'étude avant d'y avoir inclus un trop grand nombre de patients.
Il nous faut ensuite informer correctement les médecins et le personnel soignant du but et des implications de l'étude. En effet, ces derniers ont d'abord pour mission de s'occuper de l'accueil et des soins donnés aux patients et la mise en place d'une étude clinique peut engendrer pour eux une surcharge de travail. Ils ne seront donc prêts à s'investir que s'ils comprennent le bénéfice que le patient et eux-mêmes peuvent obtenir de l'étude. C'est pourquoi, une rencontre directe avec les soignants qui s'occupent du patient permettra souvent une meilleure collaboration et ceux-ci avertiront alors plus volontiers l'investigateur d'éventuels problèmes. Notons encore que leur participation aux entretiens de consentement peut s'avérer très utile. Ceci permet au personnel de se rassurer sur la liberté donnée au patient de participer ou non, et évite de nombreux malentendus.
D'un autre côté, le formulaire de consentement présenté aux personnes âgées doit être court et impérativement écrit en gros caractères. Il doit être formulé dans un langage simple, sans surinformation et tournures de phrases complexes.20 Une information orale préalable permet de présenter différemment l'étude et laisse la place à des précisions et à des questions ouvertes. Le temps passé avec les patients âgés lors du recueil du consentement est essentiel et nous y avons consacré chaque fois environ 45 minutes. Un climat de confiance peut alors s'établir et ceci peut en partie expliquer le bon taux de recrutement obtenu lors de nos deux études.
Il faut encore laisser le temps à la personne âgée, si elle le désire, de réfléchir, de parler à son entourage et/ou au personnel soignant si elle en témoigne le souhait. Ceci implique souvent de prévoir un second entretien, voire une rencontre avec l'entourage proche du patient.
Nier aux personnes âgées l'accès aux traitements les plus récents n'est pas éthique, comme de prescrire ces traitements sans données scientifiques contrôlées.
Le paternalisme fréquemment rencontré vis-à-vis de l'inclusion de personnes âgées dans des essais cliniques n'empêche pas les cliniciens de prescrire des traitements récents en l'absence de données scientifiques validées pour cette population. Evoquer des motifs éthiques à cette attitude surprotectrice nous paraît déplacé, dans la mesure où les protocoles de recherche garantissent, dans un cadre d'application contrôlé par les commissions d'éthique, une surveillance thérapeutique aussi bonne sinon plus grande que l'usage courant et qu'ils procurent à terme des données méthodologiquement plus sûres que l'expérience individuelle.
L'exclusion des personnes âgées des essais cliniques en raison d'un surcoût potentiel (nécessité de collectifs plus grands, temps requis plus long) doit être combattue, notamment par les commissions d'éthique et les autorités d'enregistrement des médicaments.
Par contre, il est évident que les études cliniques gériatriques sont grevées de difficultés pratiques indéniables. Notre propre expérience nous convainc qu'une préparation soigneuse de l'essai permet de contourner la plupart des problèmes pratiques.
La réalisation d'études cliniques gériatriques exige de l'investigateur des aptitudes relationnelles, une grande capacité d'adaptation et beaucoup de patience. En contrepartie, de tels travaux, de par le défi intellectuel et humain qu'ils représentent, sont extrêmement enrichissants scientifiquement et personnellement.