Au terme d'une consultation internationale de scientifiques réunis les 12 et 13 mars à Genève sous l'égide de l'OMS, un consensus s'est dégagé quant à la nécessité de conduire des recherches supplémentaires sur le thème des voyages aériens et des thromboses veineuses. «Les scientifiques avaient pour tâche d'étudier le lien éventuel entre les voyages aériens et la thrombose veineuse, de recenser les connaissances manquantes et d'établir les priorités pour les recherches à effectuer, explique-t-on auprès de l'OMS à Genève. Sur la base des témoignages examinés, les scientifiques ont estimé qu'il existait probablement un lien entre les voyages aériens et la thrombose veineuse. Mais ce lien est vraisemblablement ténu et il concerne principalement les passagers qui présentent des facteurs de risque particuliers de thrombose veineuse». Par «facteurs de risque particuliers», il faut entendre des antécédents de thrombose veineuse, une obésité, la prise de contraceptifs oraux ou encore celle des traitements hormonaux de substitution, une opération chirurgicale ou un traumatisme récents, certaines pathologies cancéreuses ainsi que des anomalies de la coagulation sanguine d'origine génétique.On commence seulement aujourd'hui à prendre la mesure des liens pouvant exister entre les contraintes physiques inhérentes aux voyages aériens de moyenne ou longue durée et certaines pathologies graves, parfois mortelles au premier rang desquelles les phlébites et les embolies pulmonaires. De manière assez évocatrice, il est ici convenu de parler de «syndrome de la classe économique», un phénomène de plus en plus fréquent compte tenu du nombre croissant de voyageurs empruntant l'avion sur de longues distances, nombre de personnes âgées n'hésitant plus aujourd'hui à avoir recours à ce mode de transport. De nombreux responsables médicaux des aéroports et des compagnies aériennes prévoient d'ailleurs une augmentation des urgences médicales en vol, proportionnelle au nombre croissant de personnes âgées effectuant des vols longue distance.Les témoignages sont nombreux qui associent un accident thromboembolique à une station assise prolongée, certains cas ont d'ores et déjà donné lieu à des prolongements judiciaires, les victimes ou leurs proches réclamant des dommages et intérêts aux compagnies aériennes qu'ils estiment pour partie responsables de tels accidents. L'industrie du transport aérien est de ce fait de plus en plus attentive à cette question à laquelle s'intéressent également les autorités sanitaires des pays industrialisés. Les causes de ce type d'accident n'ont, pour les spécialistes, rien de bien mystérieux. Ils évoquent notamment les perturbations hémodynamiques veineuses et la stase sanguine dues à la position assise prolongée et à la compression abdominale. Ces perturbations sont d'autant plus grandes que les passagers demeurent immobiles tout au long du vol et qu'on les incite à maintenir durablement leur ceinture de sécurité.Les spécialistes réunis par l'OMS parmi lesquels le Dr Paul Giangrande (Radcliffe Hospital, Oxford, Royaume-Uni), le Dr Emile Ferrari (Hôpital Pasteur, Paris), le Dr Roderik A. Kraaijenhagen, (Université d'Amsterdam) et M. John Scurr (Middlesex et University College Hospital, Royaume-Uni) se sont montré fort prudents. Certains hésitent à établir ici à tout coup un lien de causalité entre voyages aériens et thrombose veineuse profonde ou embolie pulmonaire. Les exposés présentés à Genève allaient de l'absence d'association claire à une relation étroite. «Les études, compte tenu de leur grande diversité de conception, n'étaient pas rigoureusement comparables dans la mesure où elles portaient sur des vols de durée inégale et des groupes de passagers divers, précise-t-on auprès de l'OMS. Une étude minutieuse de la littérature publiée depuis plus de vingt ans a révélé que les données existantes se limitaient essentiellement à des comptes rendus de cas et à deux études cliniques cas-témoins. Les représentants de l'industrie du transport aérien ont aussi été invités à donner leur opinion. Ils ont déclaré qu'il existait probablement un lien entre la thrombose veineuse et les voyages en général, mais qu'on ne disposait pas de suffisamment de données pour formuler des recommandations. En conséquence, les compagnies aériennes et l'Association du transport aérien international (IATA) se sont engagées à soutenir de nouvelles études sur cette question».L'OMS ajoute que des associations analogues peuvent exister pour d'autres formes de voyages et que les données disponibles ne permettent pas, selon les experts, d'évaluer les risques réels. Pour eux, on ne dispose pas de données scientifiques suffisantes pour formuler des recommandations spécifiques hormis celle de se «dégourdir les jambes» pendant le voyage. Les scientifiques estiment notamment que le recours systématique à des agents pharmacologiques, compte tenu des effets secondaires reconnus, ne pouvait être recommandé. Dans ce contexte il conviendrait de lancer un ensemble d'études épidémiologiques internationales multicentriques y compris une vaste étude de cohorte prospective portant sur des critères cliniques fiables afin de répondre aux questions suivantes : Y a-t-il un lien et, dans l'affirmative, quel est le risque absolu ? Quelle est l'ampleur du problème ? Cette étude de cohorte fournirait aussi des indices sur d'autres facteurs étiologiques. Des études spéciales à la recherche de critères intermédiaires dans des groupes de volontaires, portant sur des facteurs de risque environnementaux indépendants et isolés tels que la pression et la température de la cabine et les facteurs de risque comportementaux tels qu'une consommation excessive d'alcool et le manque d'exercice. Le groupe a estimé à l'unanimité que ces études devaient être entreprises dès que possible sous les auspices de l'OMS et de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI), avec l'appui d'un comité scientifique indépendant et en collaboration avec la IATA et les compagnies aériennes.Dans l'attente, il conviendrait, très simplement, d'améliorer le confort des passagers aériens, de moins les inciter à consommer des boissons alcoolisées, de leur faire boire suffisamment d'eau, de leur recommander de porter des vêtements amples et de leur faire faire des exercices tout en restant assis. En pratique, il faudrait, en vol, boire un verre d'eau toutes les deux heures, marcher un peu toutes les trois heures, et faire régulièrement des contractions des muscles des mollets et des cuisses. Les bas de contention, enfin, sont recommandés chez les personnes ayant des problèmes de retour veineux des membres inférieurs. W