La majorité des études et méta-analyses récentes mettent en évidence une discrète augmentation des cancers du sein sous traitement hormonal de substitution.Cette discrète augmentation est probablement attribuable à un meilleur dépistage des femmes traitées et à un effet promoteur sur des cancers préexistants. On attend les résultats d'études épidémiologiques prospectives actuellement en cours aussi bien en Europe qu'aux Etats-Unis. Le risque modéré de cancer du sein, mis en évidence dans ces études d'origine américaine, ne justifie pas que les cliniciens modifient leur pratique, particulièrement en ce qui concerne la durée du traitement. Par contre, une sélection minutieuse des femmes à traiter et du type de traitement doit être à chaque fois prise individuellement.
En dépit de dizaines d'années de recherche et d'accumulation d'enquête épidémiologique, les relations entre l'hormonothérapie de la postménopause et le risque du cancer de sein demeurent une source d'intenses controverses et discussions.
Pour preuve, la navrante émission récente de Check-up, en décembre dernier, sur la TSR.
D'abord, en clarifiant les données des deux dernières études les plus importantes publiées depuis 1995. Celles des infirmières de Boston et du groupe d'Oxford.
Cette étude a porté sur 1935 cas recensés de cancer du sein sur 725 550 années/femmes de suivi.
Le risque relatif (RR) de cancer s'avéra légèrement augmenté chez les utilisatrices actuelles : 1,32 (IC à 95% : 1,14-1,54) pour les strogènes seuls, 1,41 (IC à 95% : 1,15-1,74) pour les associations strogènes-progestatifs. Ce risque s'élève un peu plus pour une utilisation prolongée : 1,46 (IC à 95% : 1,22-1,74) entre la 5e et 9e année, 1,46 (IC à 95% : 1,2-1,76) au-delà de la 10e année. Le RR au-delà de cinq années de traitement hormonal de substitution (THS) est un peu plus élevé chez les femmes âgées de 60 à 64 ans : 1,71 (IC à 95% : 1,34-2,18).
Le RR de décès lié à un cancer du sein est également légèrement élevé : 1,45 (IC à 95% : 1,01-2,09).
En revanche deux à quatre années après l'arrêt du THS, l'augmentation du risque disparaît : RR = 0,8 (IC à 95% : 0,55-1,16).
Mais c'est incontestablement la méta-analyse de cinquante et une études publiées dans le Lancet à propos des relations traitement hormonal substitutif-cancer du sein qui a constitué l'événement le plus marquant dans ce domaine.
Le Lancet a publié en octobre 1997 une méta-analyse basée sur plus de cinquante et une études épidémiologiques couvrant un collectif de 52 705 cas de cancers et 108 411 témoins recrutés dans vingt et un pays.
Les conclusions de ce travail ont été les suivantes : apparition d'une discrète augmentation du cancer du sein sous THS : RR = 1,023 (IC à 95% : 1,011-1,036) par année d'utilisation, comparable à celui d'une ménopause tardive, l'augmentation du risque étant alors chiffrée à 1,028 (IC à 95% : 1,021-1,034) par année, en dehors de tout traitement ; l'augmentation est un peu plus importante au-delà de cinq années de THS : RR = 1,35 (IC à 95% : 1,21-1,49) ; avec disparition de l'augmentation de cancer dès la 5e année après l'arrêt du THS.
Cette dernière constatation semble être un argument en faveur de l'effet de stimulation sur un processus préexistant. En effet, dans un effet promoteur, le risque devrait persister au-delà des années de traitement.
Mentionnons que malgré une polémique récente,3,4 les progestatifs doivent être considérés comme neutres sur la glande mammaire et ceci est d'ailleurs confirmé par l'étude du Lancet.2
L'adjonction d'un progestatif aux strogènes chez les femmes hystérectomisées n'apparaît plus justifiée aujourd'hui. Mentionnons encore, la récente publication de Dupont et coll.5montrant l'absence d'augmentation de risque de cancer sous THS chez des femmes à risque (mastopathies bénignes, antécédents familiaux). En présence d'une tumeur, les caractéristiques sont considérées comme plus favorables : taille plus réduite et mieux différenciée.
Une légère augmentation du risque de cancer du sein après THS prolongé est possible, elle pourrait résulter d'un meilleur dépistage et de la stimulation de petites tumeurs préexistantes.
Oublions un temps les statistiques et l'incontournable risque relatif, difficilement conciliable avec la pratique quotidienne.
Selon la méta-analyse du Lancet, quel serait le nombre de cancers du sein attendu dans une population de 1000 femmes suivies depuis la naissance en fonction de l'âge ? Soixante-trois cas chez les non-utilisatrices, et 69 cas chez les femmes ayant utilisé un THS pendant dix ans. Le nombre de cas en excès est de 6 pour 1000 à dix ans et 2 pour 1000 à cinq ans. Cet excès apparaît en quinze ans dans le premier cas et en dix ans dans le second. Ces chiffres sont très faibles du point de vue statistique, ramené au risque absolu le pourcentage est de 0,5%/an d'apparition de cancer.
Dans la Nurses' Health Study, on constate qu'un âge avancé lors de la ménopause naturelle, est associé à une augmentation d'environ 80% de risque par rapport aux femmes ménopausées à l'âge de 40 ans !
Globalement, chaque année de délai dans la survenue de la ménopause est associée à une augmentation de 2,8% (CI à 95% : 2,1-3,4). L'augmentation de risque de cancer du sein en fonction de l'âge est plus importante pour les femmes en préménopause que pour les femmes en postménopause.
La notion de risque relatif ou absolu nous montre bien la duplicité d'une telle interprétation. Preuve en est, le RR d'apparition de cancer du sein lorsqu'on associe celui-ci avec d'autres facteurs souvent méconnus particulièrement liés au taux d'strogènes endogènes circulants.
Plusieurs études prospectives ont été conduites ces dernières années et revues par Thomas et coll.6Elles montrent que les femmes dont les taux d'strogènes sont les plus élevés à l'inclusion dans les études ont plus de risque de faire par la suite un cancer du sein.
Les études concernant le morphotype des patientes apportent des éléments très intéressants. La plupart des études publiées montrent une diminution du risque de cancer du sein chez les femmes en surpoids lorsqu'elles sont en préménopause. Ceci pourrait être dû aux perturbations de l'ovulation associées à l'obésité. Chez les femmes ménopausées, le tissu adipeux est la principale source d'strogènes.
La Kuopio Breast Study7 met en évidence une diminution du risque à 0,4 chez les femmes préménopausées dont le BMI est supérieur ou égal à 28, mais on ne retrouve pas d'augmentation du risque de cancer du sein chez les femmes postménopausées dont le BMI est supérieur ou égal à 28 (RR = 0,8).8 Cependant pour les femmes ménopausées, dont le pourcentage de masse grasse totale est supérieur ou égal à 37,5%, le risque relatif est égal à deux.
La Nurses' Study1 quant à elle met en évidence une diminution du risque chez les femmes préménopausées de près de 40%, chez celles dont le BMI est supérieur ou égal à 31 kg/m2. Mais elle ne parvient pas à retrouver une différence significative chez les femmes post-ménopausées.
Enfin, le groupe d'Oxford,2 dans sa méta-analyse parvient à la conclusion qu'à chaque fois que le BMI augmente d'un point, le risque de cancer du sein augmente de 3,1%.
Ces données épidémiologiques ouvrent la boîte de Pandore sur la complexité qui existe dans la relation de causalité entre cancer du sein et THS.
D'un point de vue métabolique, ces études de morphologie mettent en évidence deux phénomènes.
L'insuline se comportant comme une réelle hormone de croissance et de promotion pour les cellules mammaires normales et cancéreuses.
Cette diminution explique l'augmentation de l'estradiol libre, de la testostérone libre et de la dihydrotestostérone libre. La répartition abdominale des graisses aboutit donc à une hyperstrogénie et à une hyperandrogénie (les androgènes plasmatiques se convertissant eux-mêmes en estradiol-strone).
Aider nos patientes à perdre du poids devrait être un objectif esthétique mais peut-être et surtout une stratégie majeure de prévention du cancer du sein.
Une autre cause possible, et pourtant méconnue, concerne la relation cancer du sein et absorption d'alcool.
Depuis 1997, de multiples études et méta-analyses se sont penchées sur ce problème sous-estimé.
Celle de Longnecker9 a pris en compte 6662 patientes comparées à 9163 témoins, toute situation hormonale confondue. Le RR augmente proportionnellement au degré d'ingestion d'alcool et surtout chez les femmes ménopausées.
Le RR est de 1,27 (CI à 95% : 1,16-1,39) pour 13 grammes d'alcool/jour.
Le RR est de 2,28 (CI à 95% : 1,51-3,44) pour 46 grammes d'alcool.
Rappel : 1 verre de vin = 10,5 grammes d'alcool
1 verre de liqueur = 15,0 grammes d'alcool.
Dans une méta-analyse récente10 publiée dans le JAMA, 322 647 femmes ont été prises en compte dans l'étude, évaluation sur onze ans, incluant 4335 cas de cancer du sein invasif.
I RR 1,05 (CI à 95% : 1,04-1,13) pour 10 grammes d'alcool.
I RR 1,41 (CI à 95% : 1,18-1,69) pour 40 grammes d'alcool.
En termes de risque absolu, cet accroissement de cancer du sein peut atteindre 41% par rapport à des non-buveuses ou encore 9% d'augmentation par tranche de 10 grammes d'alcool.
Cet effet vient probablement d'une augmentation de l'absorption des strogènes exogènes chez les femmes traitées, combinant la prise du THS avec l'absorption d'alcool (travaux de Ginsburg).11Mais il peut aussi être lié à des phénomènes métaboliques complexes de compétition dans la transformation stradiol-strone et à un phénomène d'augmentation des androgènes sulfates en stradiol conjugué.
De nombreux biais épidémiologiques existent et pourraient faire l'objet d'un article. Néanmoins, les effets du THS restent un élément-clé pour beaucoup de femmes après la ménopause, en particulier pour leur qualité de vie et la prévention du risque cardiovasculaire en prévention primaire. Ceci a été bien démontré, dans de nombreuses études ces dix dernières années. Par exemple : une étude portant sur des infirmières de Boston : plus de 59 337 femmes suivies depuis vingt ans,12 RR à 0,6 (IC à 95% : 0,43-0,83), une étude de cohorte suédoise,13 RR à 0,53 (CI à 95% : 0,30-0,87), et enfin l'étude PEPI,14 RR à 0,69 (CI à 95% : 0,54-0,86). Sans oublier la prévention de la maladie d'Alzheimer,15 du cancer du côlon16 et de l'ostéoporose.17,18
Bien que les constatations épidémiologiques actuelles montrent une augmentation du risque de cancer du sein liée à un traitement hormonal prolongé (RR = 1,35) médiatisé à outrance, quel est le poids d'un tel risque par rapport à la complexité du problème du cancer du sein ? A titre de comparaison, le risque relatif de causalité de cancer du poumon lié au tabagisme est compris entre 10 et 30, cette valeur permet de retenir avec certitude la responsabilité de la cigarette.
De multiples études ont montré un bénéfice substantiel sur les autres pathologies touchant surtout les femmes en postménopause.
On ne doit pas, dans notre pratique quotidienne, s'alarmer de chiffres statistiques qui n'ont qu'une valeur relative.
Un risque relatif inférieur à 2, ce qui est le cas des études sur la relation cancer du sein-THS, est faible et pas forcément significatif.
Ces constatations doivent par ailleurs être mises en rapport avec d'autres risques qui sont liés à tout choix de vie et de société.
Comme médecins, notre contribution doit être : informer, dépister et conseiller au-delà du traitement hormonal.