20 mars 2001, trop triste printemps. Et brutal retour sur des faits, des mots, des informations que l'on peinait, il y a tout juste cinq ans, à hiérarchiser sinon à comprendre. Cinq ans déjà, cinq ans seulement. Un fossé, un gouffre au lourd parfum d'éternité. Avec déjà, l'interrogation symétrique : où en serons-nous dans cinq ans ? Fera-t-il soleil le 20 mars 2006 ? Quel sera alors le bilan de l'épidémie bovine, de l'épidémie humaine ? Quelles déchirures, quelles lectures critiques, quelles percées scientifiques ? Cinq ans et ces dépêches balbutiantes, ces déclarations hésitantes, ce conditionnel gouvernemental britannique qui n'osait pas dire le pire. Rappelons-nous. Et sans immodestie aucune, ayons le courage de nous relire. «Quelles leçons les autorités sanitaires françaises doivent-elles tirer de l'annonce faite par leurs homologues britanniques sur la possible transmission à l'homme des mystérieux agents infectieux responsables de la maladie de la vache folle ? Prenant acte des nouvelles données scientifiques et des incertitudes médicales, le gouvernement britannique a décidé d'interdire la consommation de viandes bovines non désossées des animaux âgés de plus de trente mois. Il a aussi interdit les farines d'origines animales dans l'alimentation des bovins.» Voilà ce que nous écrivions fin mars 1996 dans les colonnes du Monde au lendemain de l'annonce faite devant les Communes par Stephen Dorrel, alors secrétaire d'Etat britannique à la Santé, selon laquelle la maladie de la vache folle pouvait, selon toute vraisemblance, se transmettre à l'espèce humaine par voie alimentaire.Et encore ceci : «On rappelle aujourd'hui à Paris, auprès des directions générales de la santé et de l'alimentation, que la France a, ces dernières années, toujours été en pointe pour faire pression, dans le cadre communautaire, sur la Grande-Bretagne, afin d'obtenir de ce pays des mesures préventives efficaces. Mais on confie également que des doutes sérieux subsistaient sur la qualité des contrôles vétérinaires effectués outre-Manche. Faut-il aujourd'hui aller plus loin et imposer un cordon sanitaire sur la base des nouvelles données scientifiques ? Faute d'avoir eu communication du rapport des experts britanniques, les autorités françaises estiment ne pas être en mesure de répondre. Elles ne pourront toutefois rester longtemps silencieuses. On attend les décisions que prendront les responsables communautaires vendredi 22 mars à Bruxelles, au terme d'une réunion extraordinaire à laquelle participeront les scientifiques britanniques.»Le gouvernement britannique admettait alors pour la première fois l'hypothèse d'un lien entre la gravissime maladie neurodégénérative de Creutzfeldt-Jakob nul ne parlait alors encore de «variante» et celle, voisine, dite de la «vache folle» (les guillemets, alors, étaient de rigueur). Londres annonçait aussi le déblocage immédiat de 4,5 millions de livres pour un programme approfondi de recherche dont les enjeux sanitaires et économiques apparaissent considérables. «Propre à l'homme, la MCJ, une maladie du système nerveux pour laquelle il n'existe pas de traitement, peut mettre des années à se développer. Comme la maladie de la «vache folle» qui frappe le bétail, elle se caractérise par une dégénérescence du cerveau qui prend l'apparence d'une éponge» ajoutait-on dans un souci déjà, de pédagogie. Londres, le lendemain, en disait un peu plus : un comité d'experts avait conclu que dix personnes, victimes de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, avaient vraisemblablement été contaminées par de la viande infectée avant que le gouvernement ne prenne des mesures de contrôle sur le maniement de la viande de buf en 1989.M. Dorrel précisait que de récentes expertises demandées par le gouvernement sur dix cas de sujets âgés de moins de quarante-deux ans atteints de MCJ, parmi lesquels des employés de ferme, n'avaient pu trouver «d'explication adéquate» et correspondaient à «une forme jusqu'alors non reconnue de la maladie». Aucun lien avec la maladie animale n'a toutefois pu être «prouvé scientifiquement», indiquait alors le ministre en citant le rapport des experts. «Il n'existe pas, à ce jour, de preuve scientifique que l'ESB peut être transmise à l'homme par le buf mais les experts ont conclu que l'explication la plus probable aujourd'hui est que ces cas sont liés au contact de l'ESB avant 1989» ajoutait-il encore. Quant au Dr Kenneth Calman, directeur général de la santé publique, il se disait «très préoccupé» par les conclusions des experts. En 1996, bien des choses, à dire vrai, étaient connues. L'encéphalopathie spongiforme bovine soulevait déjà et depuis plusieurs années un vaste problème de santé vétérinaire en Grande-Bretagne. Identifiée à la fin de l'année 1986, l'épidémie d'EBS avait alors contaminé près de 150 000 bovins dans plus de 33 000 troupeaux.«De nombreuses expérimentations animales sont en cours afin de situer la réalité des transmissions inter-espèces et celle de la contamination par voie digestive. Mais il était généralement jusqu'à présent tenu pour acquis qu'il existait de solides barrières entre les espèces. C'est pourquoi la spectaculaire annonce du gouvernement britannique provoque une grande émotion dans la communauté scientifique. En toute hypothèse, cette décision impose une rapide communication des nouvelles données dont disposent les scientifiques britanniques sur l'existence d'un nouveau type de prion» écrivions-nous il y a cinq ans. A quelques mots près, rien, semble-t-il, n'est, encore, à jeter.