Une règle non écrite voudrait que l'on ne vante pas les mérites d'un ouvrage dont on a rédigé la préface. Osons, pour une fois, franchir cette virtuelle ligne jaune de l'édition. C'est que l'ouvrage en vaut la peine et que le plaisir du partage fait de ce péché une infraction bien légère, à peine une convocation sans avocat devant le tribunal de simple police des bonnes murs littéraires. Le titre, monsieur le Juge ? «Mots et maux». L'auteur ? Un mystérieux inconnu un improbable Omicron ayant acquis une renommée certaine dans les colonnes de la Revue du Praticien, cette clef de voûte française de la formation médicale initiale et continue de qualité. Oui, monsieur le Juge, nous savons depuis peu qu'«Omicron» n'est qu'un masque pris par le Pr Loïc Capron, chef du service de médecine interne à l'Hôtel-Dieu de Paris, amoureux de l'étymologie, spécialiste de l'humour distancié et praticien, amoureux de sa langue. Non, assurément, nous ignorions tout ou presque de cette affaire avant la Noël 2000. Que vous dire ? Au départ, l'homme hésitait. Et sans fausse pudeur, assurément. Aucune immodestie non plus, nous nous en portons garant. Pourquoi, disait-il, réunir dans un même ouvrage des chroniques données à la Revue ? Quelle audience pour une telle uvre et pourquoi élargir le cercle de ces affaires de mots ?Oui, monsieur le Juge, tout se passa dans un cocktail parisien, une de ces soirées poudrées des berges de Seine à laquelle nous ne nous rendons jamais, faute sans doute de recevoir les bristols. On nous présenta Omicron devant quelque moustille. Nous échangeâmes. L'affaire fut vite conclue. Opuscule naissant à publier d'urgence. Priorité culturelle absolue. Urgence pédagogique rouge et vente obligatoire dans les amphithéâtres crayeux et les salles de la dissection humaine. La moustille, sans doute, monsieur le Juge. Levures alcooliques ou germes malo-lactiques, la transformation s'opéra. Et voilà l'ouvrage, 264 pages de bien beau papier pour 180 balades autour des mots médicaux simples et savants. ««Mots et maux» n'est ni un pamphlet morigénateur pour défendre le français médical ni une austère compilation de bribes érudites. C'est une suite de billets amoureux, dédiés à l'art intensément humain des praticiens» nous explique l'éditeur.L'affaire débute douloureusement avec «abcès» pour s'achever dans la joie grâce à «zygomatique». Entre les deux, on ne cesse d'apprendre, de sourire, de s'émouvoir. Ne prenons que les premiers rayonnages de l'étage de la lettre S. C'est le «saburral», la «sanction», la «saphène», le «sarcome», l'immanquable «scanner» et l'ancien «scorbut». C'est encore la «seringue», le précieux «serpigineux» mais aussi «Serratia marcescens», le «sérum» (on boit ici du petit lait), l'auguste «sévère», les fins «sibilants», le «sinus», «sophistiqué», «southern», «sphacèle» et l'immanquable «staff». Ailleurs, on appréciera «malade» et «patient» (ne pas confondre), «vagin» et «césarienne», «testicule» et «alopécie» (ne pas associer). «Tripes et boyaux» est à se tordre et le passage sur les accents circonflexes dans «syncope» vous ferait tomber en pâmoison s'il ne vous donnait du vague à l'âme.Entre culture extrême, impeccables références, jouissance du mot et convenances bousculées il y a, chez Omicron, des fulgurances voisines de celles qui, mariant l'amour à la mort, germaient sous la plume du regretté Frédéric Dard. Dard, certes, inventait ses mots quand Omicron déshabille les nôtres. Pour autant, l'économie de la démarche est similaire avec, en toile de fond, l'argot. Ah l'argot ! «même s'il roule des mécaniques comme un vrai barbillon, il est souvent comme ça, l'argot : capricieux comme une gigolette ! Et indomptable ! et infidèle comme elle ! Prenez un mot français. Vous pensez qu'il a une traduction argotique, et il en a cinq, six, dix, parfois cent possibles. Comment s'y retrouver ? Question de contexte, c'est vrai mais aussi d'époque, de complicité. Mieux : de connivence entre argotiers» écrivait Pierre Merle dans son introduction à une réédition de «L'argot au XXe siècle» d'Aristide Bruant et Léon Droin de Bercy. Et Omicron d'ajouter : «A ce titre au moins les médecins n'ont rien à envier aux arsouilles».Un mot, bien sûr, pour finir et pas pris au hasard : celui de «médecin». «Avec la venue du mot médecin, l'art «de soigner toujours et de guérir parfois» se sépara en deux métiers : celui des «philosophes» qui pensent, physiciens-médecins ; et celui des «mécaniciens» qui opèrent, chirurgiens-barbiers. Maintenant que des chirurgiens font de la statistique et que des médecins gonflent des ballons dans des artères, tout cela ne semble plus qu'une histoire ancienne» écrit Omicron. Mais que dire, dès lors, de notre époque qui voit des «internistes» se déguiser pour, dans le prolongement de Littré, jouer avec les mots et partager les fruits de sa quête et de son savoir ? Mais au fait, «interniste» ? Rien entre «insuline» et «invasif» ! Pourquoi ? Ouvrons donc d'autres bibles (R. Worms, in Annales de médecine interne, fév. 1973, 124, nd 2, p. 148). Et lisons : «La patience, l'insistance, une vision à la fois individualiste et totalitaire de l'homme malade, un penchant non exempt, sans doute, d'une pointe de suffisance à s'ouvrir d'abord à la main le chemin du diagnostic, voilà quelques-uns des traits qui, sans être propres à l'interniste, composent pour une part son image». Omicron l'agrégé agrée-t-il ? W«Mots et maux» d'Omicron. La Revue du Praticien. Paris : Editions Jean-Baptiste Baillère, 2001.