Editorial : Histoire de crèmes et de cancers
J.-H. Saurat
Rev Med Suisse
2001; volume -3.
21312
Résumé
Les cancers de la peau sont en augmentation régulière, et cela implique une adaptation parallèle des moyens dont nous disposons pour offrir à la population romande le meilleur au meilleur coût. Le plus trivial d'entre tous est bien sûr le plus fréquent, la kératose actinique, ou néoplasie intra-épidermique, dont la morbidité est maintenant loin d'être triviale. Tout médecin est quotidiennement confronté à ces patients âgés qui sont porteurs de «croûtes» disgracieuses sur le visage et, chez les hommes, sur le cuir chevelu chauve. Les anciens, lorsque les termes choquants étaient monnaie courante en médecine, les nommaient «kératoses (voire crasse) séniles», car on n'y voyait que les méfaits des ans. La bienséance et les progrès de la médecine moléculaire permettent de les appeler maintenant kératoses actiniques, ce qui souligne le rôle de l'exposition solaire cumulative. Voilà qui est moins désagréable à entendre par une femme encore jeune de 50 ans, car ces tumeurs surviennent de plus en plus souvent dès cet âge : rides ou cancer, des deux risques, lequel favorisera le plus les mesures d'éviction solaire ? Ces néoplasies intra-épidermiques sont en effet des modèles de photocarcinogenèse car on y a bien démontré le rôle d'un gène «gardien du génome», p53 qui est précocement muté sous l'effet des UV. D'où l'importance des mesures d'éviction solaire dès le jeune âge. Mais lesquelles ? Les médias ont déjà relayé les controverses concernant le risque des crèmes antisolaires, dont l'utilisation augmenterait le risque de mélanome. Cette histoire d'arroseur arrosé, dont les éléments sont détaillés dans l'article de C. Antille, ne s'applique pas, pour l'instant, aux carcinomes épithéliaux. Alors, crème ou chapeau ? au moins chapeau et ombre !Le traitement topique des dermatoses inflammatoires est en pleine révolution. Depuis la fin des années 50, il était exclusivement basé sur l'utilisation des stéroïdes, voici qu'arrivent les immunosuppresseurs topiques. Il s'agit du tacrolimus topique (FK 506) récemment commercialisé aux Etats-Unis (Protopic®) et d'un produit encore en développement l'ASM 981 de Novartis, qui sera commercialisé sous le nom d'Elidel®. Les firmes qui les développent préfèrent les appeler immunomodulateurs, inhibiteurs de cytokines, voire inhibiteurs de calcineurine, pour ne pas mettre en avant la propriété immunosuppressive. Ces produits ont déjà changé la vie des patients atteints de dermatite atopique, notamment du visage. En effet contrairement aux stéroïdes, les inhibiteurs de calcineurine n'entraînent pas d'atrophie cutanée et peuvent être utilisés sur le visage. Le spectre d'activité et les effets secondaires à long terme de ces nouvelles molécules seront l'objet d'une attention particulière dans les prochaines années. L'effet d'une inhibition prolongée du système immunitaire cutané n'est pas connu, mais le risque d'une augmentation des cancers est au premier plan des préoccupations. Les données actuelles indiquent que ce risque n'apparaît pas lors de la première année du traitement continu ; voilà une bonne nouvelle. Néanmoins il semble indispensable de mettre en place des systèmes de suivi comme cela est expliqué dans l'article de Ch. Tschanz et J. Lübbe.
Contact auteur(s)
Médecin chef de service clinique et policlinique de dermatologie
Hôpital cantonal universitaire
Genève