Les personnes âgées souffrent fréquemment de dermatoses prurigineuses. L'une des causes les plus importantes de prurit à ne pas méconnaître dans cette population est la pemphigoïde bulleuse (PB). La PB est la dermatose bulleuse auto-immune sous-épidermique la plus fréquente. La présentation clinique typique correspond à des lésions bulleuses tendues sur base érythémateuse, localisées aux zones de flexion.Cette affection est associée à la présence d'auto-anticorps dirigés contre des constituants des complexes de cohésion dermo-épidermique, appelés hémidesmosomes. Le diagnostic de cette affection doit être évoqué devant toute dermatose prurigineuse du sujet âgé, et il repose sur les examens d'immunofluorescence directe et indirecte permettant de mettre en évidence la présence d'auto-anticorps dirigés contre la jonction dermo-épidermique. La reconnaissance de cette affection est fondamentale pour l'instauration rapide d'un traitement de corticoïdes topiques ou systémiques, voire d'immunosuppresseurs.
Le prurit, cette sensation particulière, parfois localisée, parfois diffuse, de démangeaison cutanée, associée au besoin quasi irrépressible de se gratter, constitue une des plaintes et motif de consultation les plus fréquentes en dermatologie, surtout chez la personne âgée.
Le nombre d'étiologies du prurit apparaît être extrêmement important. Sa cause doit être à rechercher soit dans une maladie interne, par exemple troubles hématologiques, troubles endocriniens, insuffisance rénale ou hépatique, soit à la suite de prises médicamenteuses, le contact avec des agents externes, voire finalement des dermatoses spécifiques.1 (tableaux 1 et 2).
Tandis que chez le sujet jeune la persistance de ce symptôme conduit dans la majorité des cas à la réalisation d'un bilan étendu afin d'en déterminer la cause précise, chez la personne âgée, il est fréquent d'attribuer ce problème à l'évolution naturelle du status cutané et à la sécheresse cutanée (astéatose). Néanmoins, il est important également chez les personnes âgées d'évoquer la possibilité d'une cause interne ou dermatologique spécifique. En effet, un bon nombre de ces prurits de la personne âgée est dû à bien d'autres causes, entre autres à la pemphigoïde bulleuse (PB).
La pemphigoïde bulleuse est la dermatose bulleuse auto-immune la plus fréquente (70% des dermatoses bulleuses auto-immunes sous-épidermiques) avec une incidence annuelle de plus de 400 nouveaux cas en France. Elle se manifeste essentiellement chez l'adulte de plus de 70 ans,2,3 sans prédominance de sexe, ni de race. Cette affection peut cependant également toucher des enfants, ce qui reste néanmoins exceptionnel4 (fig. 1).
Des études épidémiologiques indiquent que la PB est significativement associée à certains haplotypes HLA (par exemple l'haplotype DQB1*0301).5
Elle débute fréquemment par un prurit, pouvant être féroce, voire insomniant, associé parfois à des placards d'aspect eczématiforme ou urticarien qui peuvent rester longtemps la seule manifestation de la maladie. Après des semaines, voire des mois, l'éruption caractéristique peut se développer. Celle-ci est constituée de bulles tendues à contenu citrin, d'un demi à plusieurs centimètres de diamètre. Les lésions bulleuses surviennent soit sur peau saine, soit sur un fond érythémateux, et sont distribuées de façon symétrique, préférentiellement au niveau de la face de flexion des membres, la face antéro-interne des cuisses, et l'abdomen. La muqueuse buccale est atteinte dans environ 20% des cas6 (fig. 2 et 3).
Cependant il existe des formes trompeuses atypiques :
I Soit par leur localisation : région palmoplantaire (forme dysidrosiforme), sur un hémicorps paralysé, près d'une colostomie, sur les membres inférieurs (forme prétibiale), ou avec une atteinte importante des muqueuses orale, oculaire, ou génitale, faisant alors dans ce cas discuter une pemphigoïde cicatricielle ou un syndrome de Stevens-Johnson.
I Soit par l'aspect de l'éruption : lésions d'aspect végétant au niveau des grands plis, lésions à type de prurigo nodulaire, lésions vésiculeuses mimant une dermatite herpétiforme, ou exceptionnellement se présentant sous l'aspect d'une érythrodermie.
I Soit par leur survenue : à part les rares cas observés chez l'enfant, il existe une variante de PB qui survient spécifiquement au cours de la grossesse, dite pemphigoïde gestationelle.7Cette affection se présente sous la forme d'une éruption, très prurigineuse et polymorphe avec papules urticariennes, vésicules et bulles. L'éruption se localise spécifiquement au niveau de la région péri-ombicale et abdominale, et peut par la suite se généraliser. Son incidence est estimée à 1 cas pour 10 000 à 40 000. Elle débute au cours du deuxième ou du troisième trimestre de la gestation, ou plus rarement après l'accouchement.
Les associations avec d'autres maladies dysimmunitaires telles que la polyarthrite rhumatoïde, le lupus érythémateux, le pemphigus vulgaire sont rares et probablement fortuites.8 Selon certains auteurs, la PB pourrait cependant être associée à des maladies comme le diabète, le psoriasis ou la sclérose en plaques. Le risque d'une néoplasie associée est également extrêmement faible. Plusieurs cas de PB paranéoplasique ont été rapportés, cependant des études récentes suggèrent que la PB n'est pas significativement associée à une néoplasie sous-jacente.9,10 Des études épidémiologiques révèlent qu'il pourrait exister une relation entre l'émergence d'une PB et l'administration de certains médicaments, tels que diurétiques (spironolactone, thazidiques, furosémide, bumétanide), certains neuroleptiques, des anti-inflammatoires (D-pénicillamine, ibuprofen), des antibiotiques (ampicilline, ciprofloxacine), le captopril et la fluoxétine.11,12 Pour ce motif, il est important de toujours exclure la possibilité d'une forme médicamenteuse. La radiothérapie est également connue pour être un inducteur de PB dans de rares observations.
Au plan pathogénique, les auto-anticorps des malades sont dirigés contre des constituants des complexes de cohésion dermo-épidermique appelés hémidesmosomes. Les protéines cibles de ces auto-anticorps sont l'antigène de la pemphigoïde bulleuse 180 (BPAG2 ou BP180), une protéine transmembranaire collagénique, et l'antigène de la pemphigoïde bulleuse 230 (BPAG1 ou BP230), une protéine cytoplasmique de la famille des plakines.13,14,15
La liaison des auto-anticorps anti-BP180 et/ou anti-BP230, appartenant de façon prédominante aux sous-classes IgG4 et IgG1,16 aux antigènes cibles des hémidesmosomes, provoque une réaction inflammatoire avec activation du complément, relâchement de médiateurs de l'inflammation (tels que les anaphylatoxines C3a et C5a), et recrutement de polymorphonucléaires éosinophiles et neutrophiles.17,18 Ces cellules libèrent diverses enzymes protéolytiques, notamment des métalloprotéinases et des élastases, capables de digérer différentes protéines de la matrice extracellulaire et des hémidesmosomes, provoquant le clivage dermo-épidermique.
Par ailleurs il est à noter que le nouveau-né d'une femme souffrant d'une PB peut présenter à la naissance des lésions cutanées bulleuses. Ceci est dû au passage transplacentaire des auto-anticorps maternels anti-BP180, et/ou anti-BP230 allant se fixer sur les antigènes spécifiques de l'enfant. Le rôle pathogénique de ces auto-anticorps a été récemment confirmé dans un modèle murin de PB.19,20
Le diagnostic de PB doit être évoqué chez toute personne âgée ayant un prurit intense associé ou pas avec des lésions cutanées. Le bilan sanguin révèle fréquemment une hyperéosinophilie sanguine, ainsi que parfois une élévation des IgE sériques.
Les techniques de laboratoire pour confirmer le diagnostic de PB incluent essentiellement l'immunofluorescence directe et l'immunofluorescence indirecte. Les analyses par immunotransfert, immunoprécipitation, ou encore immunomicroscopie électronique sont parfois importantes pour la classification des cas atypiques.
1. L'histologie d'une bulle cutanée récente montre une bulle sous-épidermique sans nécrose du toit, ni acantholyse. Il existe un infiltrat inflammatoire dermique constitué surtout de polymorphonucléaires neutrophiles et éosinophiles, localisé préférentiellement dans le derme superficiel et dans la sérosité de la bulle (fig. 4).
2. L'immunofluorescence directe pratiquée sur une biopsie de peau péribulleuse est essentielle pour le diagnostic. Elle met en évidence des dépôts linéaires d'IgG et/ou de C3 le long de la membrane basale de l'épiderme. Cette image est néanmoins retrouvée également dans les autres maladies bulleuses sous-épidermiques (fig. 4).
3. L'immunofluorescence indirecte permet de détecter la présence d'anticorps IgG-antimembrane basale de l'épiderme dans le sérum de 70 à 90% des patients atteints de PB.
Si cette technique est réalisée en utilisant de la peau humaine normale séparée par du NaCl, les anticorps du patient se fixent sur le toit de la bulle. Ce marquage est caractéristique pour la PB et permet ainsi d'éliminer des autres maladies bulleuses sous-épidermiques, telles que l'épidermolyse bulleuse acquise (EBA), dans laquelle la fixation des anticorps se fait sur le versant dermique du clivage.
4. L'immunotransfert et l'immunoprécipitation sont utiles afin de préciser le poids moléculaire de l'antigène reconnu par les auto-anticorps dans 70% à 100% des cas.21,22 Ces derniers réagissent avec une protéine de 230 kD, BP230, et une protéine de 180 kD, BP180. (fig. 5 et 6) La présence dans le sérum de ces deux types d'anticorps n'est cependant pas spécifique pour la PB. Ils peuvent en effet parfois être détectés au cours de prurigos, d'eczémas chroniques, ou chez la personne âgée même sans lésions cutanées.23
5. L'immunomicroscopie électronique directe, réalisée à partir d'une biopsie cutanée en peau péribulleuse, contribue à l'établissement du diagnostic dans certains cas atypiques, surtout en absence d'anticorps circulants. Elle révèle la présence de dépôts immuns (IgG, C3) dans la partie superficielle de la membrane basale épidermique avec un renforcement en regard des hémidesmosomes.
6. La disponibilité de protéines recombinantes de BP180 et BP230 permet d'ores et déjà la mise en évidence des auto-anticorps avec une grande sensibilité et spécificité par des techniques d'ELISA.24,25
Le diagnostic différentiel d'une pemphigoïde bulleuse dans sa forme généralisée profuse inclut : les pemphigus, l'érythème polymorphe, les toxidermies bulleuses, et surtout le large groupe des dermatoses bulleuses auto-immunes sous-épidermiques. Ce dernier comprend avec la PB l'épidermolyse bulleuse acquise (EBA), la dermatose à IgA linéaires et la pemphigoïde cicatricielle avec auto-anticorps contre la laminine (tableau 3).
En cas de formes précoces sans bulles ou de formes atypiques avec topographie inhabituelle, les diagnostics différentiels à évoquer sont alors divers et nombreux, entre autres les eczémas, les éruptions urticariennes, le prurigo, les toxidermies, le syndrome de Stevens-Johnson.
Etant donné la fréquence des formes atypiques de PB et la grande similarité dans l'expression clinique de ces différentes dermatoses, l'histologie cutanée, mais surtout les études d'immunofluorescence directe et indirecte, sont indispensables pour poser le diagnostic.
Le diagnostic précis de ces différentes maladies bulleuses auto-immunes repose sur l'identification et la caractérisation de l'antigène cible par les techniques d'immunotransfert, d'immunoprécipitation, ou d'ELISA.
Le traitement de la PB est relativement bien standardisé, malgré l'absence de larges études contrôlées.26,27
En premier lieu, il s'agit d'une corticothérapie orale : prednisone ou prednisolone, avec une dose d'attaque de 0,5 à 1 mg/kg/j. Une fois le contrôle initial obtenu, ce qui est généralement le cas en dix à vingt jours, il est réalisé un sevrage progressif (en général en six mois) jusqu'à une dose d'entretien de 0,1 mg/kg/j, maintenue au minimum six mois.
En cas de cortico-résistance, cortico-dépendance, ou de contre-indication à la corticothérapie, il est possible d'envisager des traitements adjuvants, comme par exemple :
1. Des immunosuppresseurs tel que l'azathioprine (100 à 150 mg/j), le chlorambucil (4 à 6 mg/j), le méthotrexate (10 à 15 mg/semaine), ou encore le ciclophosphamide (2 à 4 mg/j).
2. La disulone (50 à 100 mg/j), l'érythromycine, ou les cyclines (tétracyclines, doxycyclines, minocine) en association avec le nicotinamide sont parfois efficaces.
3. Les échanges plasmatiques, les immunoglobulines intraveineuses, la photophorèse extracorporelle constituent un traitement adjuvant alternatif dans les formes sévères.
Dans des formes localisées, pauci-bulleuses et/ou peu évolutives, il est possible d'envisager un traitement à base de stéroïdes topiques puissants seuls comme l'indiquent des études contrôlées récentes du groupe français d'étude des maladies bulleuses.
Enfin, les soins locaux associés au traitement spécifique sont le perçage des bulles, et l'application de divers antiseptiques, tels que la chlorhexidine 0,5%, ou antibiotiques, tels que l'acide fucidique, afin de prévenir une surinfection.
En conclusion, la PB constitue une cause spécifique de prurit chez le sujet âgé et doit être évoquée devant tout malade âgé ayant un prurit important, surtout si l'interrogatoire et l'examen clinique ne permettent pas une première orientation étiologique. Au cours des dernières années, notre compréhension de cette maladie a significativement progressé. Il s'agit d'une maladie auto-immune caractérisée par la présence d'auto-anticorps dirigés contre des composants d'un complexe d'adhésion dermo-épidermique appelé hémidesmosome. Le pouvoir pathogénique de ces auto-anticorps semble actuellement bien établi. Le diagnostic de PB repose sur les techniques d'immunofluorescence directe et indirecte mettant en évidence des auto-anticorps reconnaissant la jonction dermo-épidermique dans la peau et dans le sérum. Le traitement de cette affection repose essentiellement sur la corticothérapie générale et/ou les corticoïdes topiques puissants. La place des différents médicaments immunosuppresseurs dans le traitement de cette affection, pouvant s'accompagner d'une importante morbidité voire d'une surmortalité, doit encore être précisée dans des études contrôlées.