Sur les papiers glacés des magazines, entre deux incitations publicitaires à l'achat de matériel automobile, d'enceintes accoustiques ou de téléphones-ordinateurs portables, on ne voit plus qu'eux. Ciels plombés, cours boueuses, chemins de plus en plus creux, animaux en sursis, mort rôdant à chaque carrefour planté d'une croix. Photographes et reporters sont là pour croquer l'instant dramatique. La paysannerie française, depuis des années sous perfusion nationale et communautaire, vit-elle les derniers instants de sa trop longue histoire ? Enquêtes, témoignages, reportages
. S'ils peinent à dire le vrai fond de tout cela, les outils journalistiques parviennent à l'essentiel : dire la gravité du sujet, laisser comprendre qu'aujourd'hui des pages se tournent à grande vitesse sous le vent mauvais. La vache folle a donc fait son uvre qui dévoile au grand jour les profonds malheurs d'une campagne torturée ; une terre sans doute encore fertile mais qui sans le savoir, a depuis longtemps déjà, effacé ses repères, largué les amarres, insulté ses mânes. Le paysan de l'an deux mille continue certes à nourrir la ville et les siens mais cette nourriture n'est plus ni bienfaitrice ni salvatrice. Le petit pot de beurre a totalement laissé la place au loup grand et méchant ; la galette n'est plus ; le chaperon se meurt et ses parents ont définitivement disparu.«What's wrong with our food ?» se demandent les quotidiens britanniques dans une tornade de fièvre aphteuse qui amplifie comme jamais l'angoisse de l'ESB. En France, l'écho à peine assourdi des angoisses d'outre-Manche, bouleverse l'actualité syndicale et politique. Longtemps chantre de l'agriculture intensive, cogérant depuis des années, le ministère de l'Agriculture et jouissant sans entrave de sa position dominante, la Fédération nationale des syndicats d'exploitations agricoles (Fnsea) vient de lever un drapeau blanc taché de noir et de sang. Rompant avec plus de vingt ans d'acharnement contre les syndicats minoritaires, l'omniprésente Fnsea vient d'appeler à l'unité syndicale agricole pour sauver la filière de l'élevage «frappée de plein fouet par les crises de la maladie de la vache folle et de la fièvre aphteuse». Cet appel a été lancé depuis les Sables-d'Olonne où la centrale syndicale tient son 55e congrès annuel.Etonnant appel qui n'a pas surpris la Confédération paysanne de José Bové, syndicat immédiatement concurrent, qui a immédiatement répondu de manière a priori favorable. «La Confédération paysanne est toujours ouverte pour discuter avec les autres organisations agricoles. Nous disons «oui» pour faire un bout de chemin, pour conduire une politique d'équité entre gros et petits agriculteurs, pour diminuer les volumes de production et pour aller vers une agriculture extensive» a, pour prendre date, fait valoir l'un des porte-parole de la Confédération. Le «Modef» syndicat agricole proche des communistes, a également répondu favorablement à cet appel dit «de détresse». Dans le microcosme syndical français l'heure est grave. On s'interroge, comme toujours, sur la loyauté de l'un ou de l'autre. Sincère, l'actuel président de la Fnsea, dont l'appel coïncide avec sa prochaine nomination à la présidence de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture, cette organisation semi-publique qui a pour mission de représenter l'intérêt général de l'agriculture ? Prise de conscience tardive mais bien réelle de la perte d'identité de ceux qui maîtrisent l'animal et le végétal à des fins alimentaires ? Comment savoir ?Il faudrait pour cela descendre «sur le terrain», avoir des références, décrypter les rapports complexes de l'humain et des bêtes qu'il élève. «Des bêtes et des hommes», tel est le titre d'un ouvrage de photographies de Yann-Arthus Bertrand que viennent de publier les éditions de La Martinière (348 pages). Etrange ouvrage qui met en scène des représentants des espèces bovines, ovines, porcines et caprines ainsi que leur propriétaire humain. Photographies léchées, posters en puissance, sentiment mitigé devant ces couples qui ont définitivement quitté les uns leur ferme les autres leur étable et leur soue pour la pose avantageuse destinée au citadin, ce citadin soucieux des droits de la bête et d'une alimentation plus proche de la fibre végétale, de la richesse des racines et de l'écorce que du persillé bovin ou du râble parsemé de graines de moutarde. «Heures de gloire et malheurs de la viande» ose pour sa part le mensuel Historia (www.historia.presse.fr).«La viande joue dans notre imaginaire un rôle déterminant, parfois sans commune mesure avec sa réelle importance nutritionnelle, écrit Michel Faucheux, directeur du Centre des humanités de l'INSA de Lyon. Cela est si vrai, que les préhistoriens ont pu donner l'impression que les premiers hominidés ne se nourrissaient que de bêtes chassées alors que leur alimentation était aussi largement fondée sur le végétal. La viande acquiert un rôle nutritionnel plus important lorsque, il y a plus d'un million d'années, Homo erectus s'installe dans nos régions tempérées où les contrastes saisonniers plus accentués occasionnent une diminution des ressources végétales. C'est au cours de la révolution néolithique que se met en place, au Proche et au Moyen-Orient, puis en Europe, l'élevage du porc, du mouton et du buf dont la viande constitue toujours la base de notre alimentation carnée. Notre culture y est fortement liée. Ainsi aleph, le A, première lettre des alphabets phénicien, crétois, grec ou latin, représente une tête de buf qui s'est progressivement retournée à 180°». Fulgurance ou un miroir ? Pour savoir il faudra, bientôt, pousser M. Faucheux sur son grill.