Le mystère de la chambre jaune, le parfum de la dame en noir, ont définitivement perdu beaucoup de leur charme, de leur mystère, de leurs parfums. Les petites cellules grises d'outre-Quiévrain qu'Agatha aimait tant faire travailler dans le chef d'Hercule aussi. C'est que notre époque s'est mise à la transparence et la police judiciaire comme les détectives privés ont pris la mesure de la révolution multiforme induite par les développements de la technique des empreintes génétiques ; révolution scientifique et policière, éthique et sociale, politique et sécuritaire. Dernier exemple international en date : l'affaire Dickinson, récemment conclue au terme de cinq ans d'investigations incessantes qui auront vu les enquêteurs parvenir à identifier, à confondre et à appréhender le meurtrier présumé de Caroline Dickinson, anglaise violée et assassinée en juillet 1996 dans une auberge de jeunesse française de Pleine-Fougères, près de Saint-Malo.Les dépêches des agences de presse crépitent : Francisco Arce Montes, citoyen espagnol âgé de 56 ans, arrêté par la police de Miami pour agression sexuelle, vient de passer du statut de possible suspect à celui de meurtrier présumé, les examens pratiqués ayant permis de conclure que son profil génétique était similaire à celui du meurtrier. En cinq ans, il aura fallu compter avec la mise en examen d'un premier suspect, innocenté par son empreinte génétique ; trois magistrats instructeurs ; le maintien d'une cellule spéciale de la gendarmerie, qui a compté jusqu'à vingt-cinq enquêteurs, et des milliers de tests génétiques négatifs, pour parvenir à conclure. Un contrôle génétique systématique sur l'ensemble de la population mâle de 15 à 35 ans de Pleine-Fougères fut ensuite mis en uvre qui vit, pour la première fois en France, tous les hommes de 15 à 60 ans d'un même village soumis sur la base du volontariat à un tel test. Les analyses devaient se révéler toutes négatives. Ce fut également le cas pour les comparaisons systématiquement ordonnées dans tous les cas de délit à caractère sexuel relevés en France.Mais le métier de détective, comme celui de journaliste, ne réussit pas sans un minimum d'obstination couplée à un soupçon de chance. Dans l'affaire Dickinson, la lumière vint d'un officier des services d'immigration américain en vacances en Europe qui, amateur de lectures journalistiques, a relevé le nom de Francisco Arce Montes, cité par un journal britannique, dans la liste des 48 personnes recherchées par les autorités françaises dans le cadre de l'affaire Dickinson. Merci, officier ! Les enquêteurs apprirent grâce à lui qu'un Espagnol de 56 ans, portant le même nom, avait été arrêté par la police de Miami pour agression à caractère sexuel et qu'il était détenu dans le comté de Dade (Floride). A dire vrai, les enquêteurs français souhaitaient l'interroger depuis 1997 puisque l'homme avait été signalé par le directeur d'une auberge de jeunesse proche de Chenonceaux (Indre-et-Loire) où il avait commis une tentative d'agression trois ans auparavant. Or, ces mêmes enquêteurs, faute d'une véritable collaboration avec les autorités espagnoles, ignoraient où il se trouvait. Un mandat d'amener international a été transmis aux autorités américaines dès que la comparaison des empreintes génétiques s'est révélée positive, et les enquêteurs n'attendent plus que l'issue de la procédure d'extradition pour boucler leur dossier.Justice sera enfin rendue, donc. Sans doute. Comme elle vient de l'être dans le cas de Guy Georges, le tueur en série de l'Est parisien, devenu l'ennemi public numéro 1, une fois que des analyses génétiques permirent de le confondre avec certitude pour trois meurtres de jeunes femmes et une tentative entre 1994 et 1997. Les mêmes analyses ont aussi permis d'innocenter ou d'identifier une série de plus en plus longue de suspects, voire de personnes injustement condamnées. Personne ne conteste la richesse de cette actualité où le recours à la génétique est sans cesse cité en référence, l'ADN prenant le visage moderne de l'infaillibilité juridico-policière. Mais l'un des prolongements naturels de cette application de la génétique les «fichiers nationaux d'empreintes» constitue une question particulièrement controversée. Pourquoi ? Sans doute parce que, comme le souligne le Pr Jean-Paul Moisan, chef du service de génétique médicale au CHU de Nantes, le concept de «fichier national d'empreintes génétiques» associe les deux «sujets sulfureux» que sont les caractéristiques génétiques de l'individu et les fichiers informatiques. Faut-il rappeler que les fameux «profils» sont obtenus sur des zones non fonctionnelles du patrimoine génétique ? Faut-il expliquer que nul ne pourra extrapoler de ce fichier des informations sur d'éventuelles anomalies génétiques dont seraient porteuses les personnes fichées ?Le Pr Moisan nous explique encore que les éléments contenus dans un fichier d'empreintes génétiques ne peuvent pas être utilisés à des fins «inavouables et antidémocratiques.» L'intérêt de ces fichiers ? Il rejoint, à un siècle de distance, les fichiers des empreintes digitales, qui ne reposent que sur des comparaisons entre des individus suspects (ou condamnés) à des stigmates biologiques retrouvés sur des lieux de crimes, de viols, de hold-up ou d'autres agressions. Certaines démocraties en disposent ; d'autres hésitent ; certaines opinions plus politiquement correctes que bien pensantes seraient, par réflexe, plutôt formellement contre en dépit du fait que ce système a démontré qu'il offrait, entre autres avantages, celui de neutraliser plus rapidement certains individus particulièrement dangereux et de sauver ainsi nombre de victimes potentielles. Pour le Pr Moisan, la France, «freinée par une classe politique frileuse et mal informée, met timidement en place un fichier limité aux seuls délinquants sexuels et dont l'utilisation est tellement entravée qu'elle rend ce fichier quasi inefficace». «Il serait urgent dit-il, dans l'intérêt du citoyen et non pour en limiter la liberté, que ce fichier soit étendu au grand banditisme, aux trafiquants de drogue, etc., et que l'utilisation de ce fichier soit facilitée pour enquêteurs et magistrats instructeurs.» Ce généticien sera-t-il entendu ? Et quand ? W