Le traitement par polythérapie d'antiépileptiques des épilepsies «rebelles» évoluant depuis plusieurs années est illustré au moyen d'une enquête rétrospective chez 44 patients adultes ayant souffert d'épilepsies graves, actuellement équilibrées. Compte tenu des mécanismes d'action des antiépileptiques, la notion de polythérapie, dite «rationnelle», est abordée et brièvement discutée. En général, les nouveaux antiépileptiques sont mieux tolérés et aussi efficaces que les médicaments classiques. Ils permettent l'utilisation de traitement combinant jusqu'à quatre substances différentes avec, dans les cas présents, contrôle complet des crises et amélioration de la qualité de vie des patients malgré la polythérapie.
Répondre à l'attente des patients souffrant d'épilepsie signifie prévoir, prévenir si possible toute nouvelle crise épileptique.1 Malgré un premier traitement par un seul médicament adéquat et bien suivi, les épilepsies partielles cryptogéniques de l'adulte se montrent résistantes dans la moitié des cas environ. Cela est particulièrement vrai pour les épilepsies partielles symptomatiques d'une sclérose temporale. D'autre part, dans environ un tiers des cas, les patients souffrant d'épilepsies idiopathiques généralisées, ne répondent pas au premier traitement de manière adéquate.2
Dès lors, dans le cadre des épilepsies partielles, d'autres traitements sont proposés, sans oublier l'option chirurgicale qui devrait être discutée dans les premiers deux ans de suivi. En effet, aujourd'hui encore, la chirurgie ablative reste le meilleur traitement des épilepsies partielles pharmaco-résistantes. Le traitement pharmacologique est la seule ressource pour tout patient refusant l'approche chirurgicale, pour les patients chez lesquels le traitement par chirurgie ablative ne peut être appliqué. C'est le cas par exemple pour un bon nombre de patients souffrant d'épilepsies partielles dans le cadre du handicap mental, pour lesquels une approche chirurgicale, qui nécessite bien souvent la collaboration pleine du malade et sa compréhension, ne peut être proposée. Il n'y a enfin pas de véritable alternative à la pharmacothérapie des épilepsies généralisées
L'enquête rétrospective présentée est censée illustrer les possibilités offertes par les polythérapies par les nouveaux et anciens médicaments antiépileptiques chez des patients souffrant d'épilepsies qui se sont démontrées rebelles à tout traitement pendant de nombreuses années.
En janvier 2001, les dossiers de patients adultes suivis ambulatoirement dans le cadre d'une consultation d'épileptologie ont été revus par l'auteur.
Il s'agit de dossiers de patients souffrant d'épilepsies partielles cryptogéniques ou symptomatiques d'affections non évolutives ou encore d'épilepsies généralisées idiopathiques (un cas symptomatique). Ont été retenus les dossiers de patients ne présentant plus de crise depuis au moins une année et soumis à un traitement pharmacologique stabilisé.
De cette observation rétrospective ont été exclus :
I Les dossiers des patients pour lesquels la stabilisation est la conséquence de la révision du diagnostic.
I Les dossiers de patients pour lesquels l'anamnèse n'est pas fiable.
I Les dossiers des patients chez lesquels la pharmaco-résistance est la conséquence d'une mauvaise observance médicamenteuse.
I Les dossiers des patients chez lesquels l'épilepsie était aggravée par des crises occasionnelles, par exemple déclenchées par l'excès d'alcool.
I Les dossiers des patients chez lesquels la comitialité a été contrôlée lorsqu'ils se trouvaient encore en phase évolutive (avant l'âge de 20 ans).
I Et les dossiers des patients qui ne sont pas suivis régulièrement par l'auteur.
Ont été retenus quarante-quatre dossiers de patients adultes.
I Trente patients souffrent d'une épilepsie partielle cryptogénique ou symptomatique d'affections non évolutives.
I Treize patients souffrent d'une épilepsie idiopathique généralisée.
I Un patient d'un syndrome myoclonique sévère (syndrome de Unverricht-Lundborg).
I Vingt-deux hommes (moyenne d'âge 42 ans, (limite 28-75).
I Dix femmes (moyenne d'âge 48 ans (limite 24-82).
Epilepsies idiopathiques généralisées
I Onze femmes (moyenne d'âge 34 ans (limite 20-67).
I Trois hommes (moyenne d'âge 52 ans (limite 23-76).
I Une femme souffrant du syndrome de Unverricht-Lundborg âgée de 30 ans.
Données cliniques concernant la comitialité et l'évolution de la fréquence des crises
I Age à la première crise : 14 ans (moyenne et médiane), (limite de 1 à 47 ans).
I Age à la dernière crise : 36 ans (moyenne médiane), (limite de 19 à 62 ans).
I Durée de rémission : en moyenne 5,9 ans, (limites de 1 à 18 ans).
I Durée de l'épilepsie active : en moyenne 22 ans (au minimum 3,5 ans).
I Age à la première crise : 11,7 ans en moyenne (médiane 14), (1 à 20 ans).
I Age à la dernière crise : 27 ans (moyenne et médiane 35).
I Durée moyenne de la rémission 6,6 ans (médiane 6).
I Epilepsie active en moyenne 18 ans (moyenne), (au minimum 4 ans).
I Carbamazépine : posologie : 400 mg/j à 1600 mg/j (taux plasmatique entre 19 et 63 µmol/l).
I Oxcarbazépine : de 600 mg/j à 1800 mg/j (taux plasmatique entre 37 à 121 µmol/l).
I Lamotrigine : 100 mg/j, 600 mg/j (taux plasmatique de 8 à 51 µmol/l).
Autres médicaments
I Clobazam de 10 à 40 mg/j et clonazépan de 1 à 1,5 mg/j.
I Valproate de sodium : entre 150 mg/j et 2000 mg/j (taux plasmatique entre 102-671 µmol/l).
I Lamotrigine entre 100 mg/j et 900 mg/j, (taux plasmatique de 11 à 48 µmol/l.
Une rémission spontanée par évolution naturelle de la maladie comitiale3 est très peu probable parmi ces malades adultes dont l'épilepsie a été active pendant des périodes souvent supérieures à dix ans. D'ailleurs tout essai de réduction de la médication antiépileptique au début de la phase de stabilisation a entraîné des récidives à l'exception des deux premiers.
La plupart des essais de réduction ou de simplification du traitement sont d'ailleurs refusés par le patient, compte tenu de la meilleure qualité de vie actuelle.
Le succès du traitement pharmacologique reste premièrement basé sur la distinction entre syndromes épileptiques généralisés et épilepsies partielles, dichotomie basée d'ailleurs sur des mécanismes neurophysiologiques et neurochimiques différents.
Dans un tiers des cas des épilepsies partielles le succès thérapeutique a été obtenu en additionnant un médicament agissant de façon prépondérante sur les canaux sodiques (LTG, CBZ, Oxcbz ou PHT) avec un médicament à large spectre (VPA, TPM, PB) ; un autre tiers des patients voit ses épilepsies contrôlées par un médicament agissant sur les canaux sodiques avec un gabergique (TIA, CLB, CZP GVG). Remarquons dans ce cadre qu'un traitement par benzodiazépines ne s'accompagne pas d'une tachyphylaxie.
Les autres stratégies qui semblent couronnées par le succès renforcent un mécanisme d'action prédominant (par exemple : gabergique).
Dans les épilepsies généralisées la médication qui aboutit le plus souvent au succès associe le valproate de sodium à la lamotrigine : ce dernier médicament, par son efficacité contre les absences, se démontre porteur d'un mécanisme d'action additionnel encore inconnu aujourd'hui. Quelques patients sont satisfaits par une médication associant valproate de sodium à un gabergique, (par exemple : benzodiazépines) ou encore à un médicament agissant sur les canaux calciques voltage dépendant (ESM).
Enfin le cas n° 7 parmi les patients avec épilepsie généralisée, souffrant d'un syndrome de Unverricht-Lundborg illustre d'une façon anecdotique l'espoir lié à l'utilisation de nouveaux médicaments, (dans ce cas le lévétiracétam) dans le traitement des épilepsies généralisées sévères symptomatiques.
Aucune étude contrôlée permet d'étayer ces propositions thérapeutiques : des observations analogues,4 parfois publiées,5 soutiennent cependant ces vues.
Ces combinaisons, dites «rationnelles»6 dans la terminologie anglo-saxone, ne s'appuient pas seulement sur les mécanismes d'actions7 des antiépileptiques qui ne sont d'ailleurs qu'imparfaitement connus pour de nombreux nouveaux médicaments. Cette approche est aussi censée8 tenir compte des effets secondaires potentiels et d'essayer d'éviter de les additionner ; de plus on évite de prescrire des médicaments potentiellement tératogènes à une femme qui souhaiterait avoir des enfants. Enfin, dans quelques situations l'étiologie de la comitialité est un élément important dans le choix du médicament (comme par exemple dans la maladie de Bourneville).
Chez tout patient, l'ajustement thérapeutique est essentiellement pratiqué par une approche clinique. Cependant, lorsqu'on est confronté à des polythérapies et lorsque les interactions médicamenteuses deviennent difficilement prévisibles, l'utilisation des taux plasmatiques des médicaments peut être utile,9 comme d'ailleurs lorsqu'on est confronté à des supposés effets secondaires peu spécifiques.
D'ailleurs, dans cette brève présentation il n'a pas été fait mention des effets secondaires. Les polythérapies sont certainement des situations à risque ; cependant le suivi des patients montre bien que la qualité de vie est meilleure malgré la présence de problèmes mineurs bien tolérés, par exemple un tremblement discret attitudinal sous valproate de sodium.
Cette observation rétrospective permet d'illustrer une attitude largement répandue parmi les cliniciens qui utilisent en tout temps des polythérapies antiépileptiques pour traiter les patients d'épilepsies sévères. Le terme de «thérapie rationnelle» semble recouvrir l'attitude qui amène à associer des médicaments avec des mécanismes d'actions différents selon qu'il s'agisse d'épilepsies idiopathiques généralisées ou d'épilepsies partielles. Cette dichotomie reste valable, d'autant plus qu'il y a lieu de rappeler que certains médicaments d'utilisation courante peuvent aggraver les épilepsies généralisées.
Il convient de conclure en affirmant que, face à une épilepsie sévère, chaque patient nous pose un défit thérapeutique et singulier ; «aucune recette» remplacera une approche clinique attentive et perspicace.