Depuis mars 1999, nous collectons prospectivement les paramètres cliniques (analyse qualitative et quantitative du déficit neurologique, degré de handicap, tension artérielle, présence de vomissement, etc.) et paracliniques (CT-scan/IRM) de tous les patients avec accident vasculaire cérébral (AVC) hyperaigu ayant bénéficié d'un traitement thrombolytique i.v. (rtPA, Actilyse ®). Nous présentons ici une analyse comparative des données démographiques, cliniques, et étiopathogéniques entre deux groupes distincts de patients (bon pronostic vs mauvais) au sein de cette cohorte. Ainsi, nous tenterons de déterminer d'éventuels nouveaux critères d'exclusions d'un traitement thrombolytique cérébral.
Les critères d'inclusions, comme les échelles de quantification du déficit neurologique et du handicap fonctionnel (NIHSS (National Institute of Health Stroke Scale), Rankin) appliqués sont détaillés ailleurs (voir AVC hyperaigu, M. D. Reichhart et J. Bogousslavsky).1 A la différence des critères NINDS2 (utilisant le CT-scan natif pour exclure l'hématome cérébral), tous nos patients ont été examinés à l'aide d'un protocole pilote de CT de perfusion (Dr Wintermark, Maeder, Pr Meuli, Radiodiagnostic, CHUV, Lausanne) et/ou par IRM (DWI) en phase aiguë. Ainsi, notre cohorte comprend vingt-trois patients avec AVC ischémique hyperaigu (
La figure 1 montre l'accroissement du nombre de patients lysés sur une période de deux ans (vingt-trois patients sur deux ans, moyenne un/mois). On observe ainsi une augmentation du nombre de patients thrombolysés depuis le deuxième trimestre 2000, date où une procédure standardisée pluridisciplinaire (SMUR, urgences de médecine, neurologues, neuroradiologues, CT-scan) de prise en charge de tout AVC hyperaigu fut mise en place.
Délais moyens d'acheminement des patients et de thrombolyse i.v.
La figure 2 démontre qui si le délai d'acheminement moyen des vingt-trois patients est court (75 minutes, ± 51 minutes, ± 1 DS), une perte de temps considérable se constitue au sein de l'hôpital même, avec comme corollaire une fenêtre thérapeutique moyenne trop longue (158 minutes, ± 41 minutes, 1 DS), proche de la limite fatidique des 180 minutes. Une partie seulement de cette perte de temps est imputable à l'obtention des résultats de la formule sanguine et de la crase, et des examens neuroradiologiques (CT-scan et/ou IRM).
En effet, la figure 3 confirme un paradoxe étonnant déjà mis en évidence dans l'étude STARS :3 le délai intrahospitalier jusqu'au traitement thrombolytique est d'autant plus long que le délai d'acheminement du patient est plus bref, et réciproquement. Le facteur principal permettant d'expliquer ce paradoxe est cette limite temporelle «fictive» de 180 minutes pour la thrombolyse i.v., donnant ainsi parfois une fausse impression à l'équipe multidisciplinaire en charge d'un AVC hyperaigu «d'avoir encore un peu de temps», alors que la devise devrait être «time is brain». Ainsi, toutes les ressources humaines et moyens techniques semblent réellement pleinement déployés lorsque l'on se situe près de la troisième heure pour initier la thrombolyse. A l'inverse, le délai intrahospitalier d'un patient avec AVC compliquant une coronarographie (délai d'acheminement 0 minute, extrême gauche du graphique) pour la thrombolyse fut de deux heures.
Notre cohorte comprend quatorze hommes et neuf femmes, âgés en moyenne de 71 ans (± 11 ans), mais dont plus de 50% des sujets sont âgés de 75 ans ou plus. L'âge moyen des patients du groupe «bon pronostic» est sensiblement plus jeune (63 ans, ± 11,1 DS) que celui du groupe «mauvais pronostic» (75 ans, ± 9,1 DS) (fig. 4). Dans ce dernier groupe, un tiers des sujets sont âgés de 80 ans ou plus.
Comparaison des scores NIHSS et de certains autres paramètres cliniques entre les deux groupes
La figure 5 montre l'évolution des scores NIHSS initiaux et à 24 heures post-thrombolyse pour chaque patient, respectivement dans les groupes avec pronostic favorable (rouge) et défavorable (bleu).
Les succès du traitement thrombolytique s'observent donc généralement rapidement (moins de 24 heures). Il faut par contre relever au sein du groupe de patients avec pronostic défavorable une forte dispersion des scores NIHSS à 24 heures (augmentation de l'écart-type), liée simplement à l'évolution naturelle de l'ischémie cérébrale en phase aiguë : certains AVC ne possédaient déjà plus de pénombre ischémique (statut quo), chez d'autres la persistance de l'occlusion artérielle entraîne une progression du noyau ischémique au détriment de la pénombre, alors qu'enfin d'autres ont développé une circulation collatérale lepto-méningée suffisante pour sauver une partie de la pénombre malgré l'absence de reperfusion. D'autre part, le score NIHSS moyen initial du groupe de patients avec pronostic favorable est sensiblement plus faible (près de 5 points de différence) que celui de l'autre groupe. Ceci est lié au fait que le premier groupe représente en l'occurrence des AVC territoriaux de l'artère cérébrale moyenne (ACM) (bons candidats au traitement thrombolytique), par opposition à une forte proportion de syndromes complets de l'ACM dans le deuxième.1 En l'occurrence, la proportion de patients dans le groupe avec pronostic défavorable avec score NIHSS supérieur ou égal à 20 s'élève à près de 50% (contre 12,5% dans l'autre groupe).
D'autres paramètres cliniques méritent un commentaire. Comme déjà mentionné dans le précédent article,1 le syndrome de l'infarctus complet de l'ACM se caractérise par l'association d'une hémiplégie facio-brachiale, d'une atteinte sensitive facio-brachio-crurale, d'une hémianopsie latérale homonyme (valeur prédictive positive, 74-98%), mais aussi par la présence d'un trouble de l'état de conscience et d'une parésie du regard avec déviation conjuguée du regard du côté de la lésion (signe de Vulpian ; valeur prédictive positive, 47-55%). Dans le groupe de patients thrombolysés avec pronostic favorable, les tensions artérielles pré- per- et post-lyse furent normales, un signe de Vulpian ou des vomissements dans la phase hyperaiguë furent constatés dans 12,5% (1/8 patients) des cas. Dans le groupe de patients avec pronostic défavorable, une hypertension systolique supérieure ou égale à 170 mmHg fut enregistrée (mesures répétées sur 30 minutes) en phase pré-thrombolyse dans 50% des cas. Parmi ceux-ci, deux patients développèrent une hypertension systolique supérieure aux valeurs admises pour une thrombolyse (185 mmHg ; valeurs moyennes 195-210 mmHg), mais à chaque fois compensée par un traitement non invasif et autorisé de labétolol (dose unique, 10 mg). Malheureusement, c'est justement chez l'un de ces deux patients que nous déplorons notre seul et unique cas d'hémorragie cérébrale post-thrombolyse symptomatique ; notre patiente, âgée de 81 ans, développa en fait deux hématomes intra-parenchymateux à distance de l'AVC hyperaigu (angiopathie amyloïde sous-jacente). Malgré cela, le taux d'hémorragie cérébrale symptomatique au sein de notre cohorte n'est à ce jour que de 4,3% (1/23 patients), toujours inférieur au «gold standard» de 6,3% (étude NINDS).
Si le groupe de patients avec pronostic favorable évolue rapidement avec un recouvrement rapide du déficit et handicap fonctionnel initial (dans les 24 heures) grâce au traitement thrombolytique, nous nous concentrerons sur l'évolution du groupe avec pronostic défavorable malgré la lyse i.v. Dans ce dernier groupe, à long terme, 46,7% (7/15) des patients sont décédés. Les causes de décès furent : dans la phase précoce ( 1 mois), trois cas de bronchopneumonies (EMS ou hôpital psycho-gériatrique).
Différences étiopathogéniques des AVC thrombolysés entre les deux groupes
Dans le groupe avec pronostic favorable, une origine cardio-embolique de l'AVC fut démontrée dans 75% des cas (FOP, 2 cas ; FA, 2 cas ; infarctus aigu du myocarde, 1 cas ; akinésie antéro-septale, 1 cas). En revanche, une embolie artério-artérielle (sténose carotidienne, 1 cas ; occlusion carotidienne athéro-thrombotique, 1 cas) ne fut responsable que des 25% d'AVC restants. Ceci confirme la plus grande efficacité du rtPA sur les caillots sanguins «récents», riches en fibrine et pauvre en plaquettes sanguines.
En revanche, dans le groupe avec pronostic défavorable, même si une origine cardio-embolique fut démontrée dans 66% des cas (FA ; 10/15 cas), il s'agissait en réalité d'occlusions carotidiennes internes d'origine cardio-embolique dans la moitié des cas (5/10 cas), avec recanalisation artérielle post-thrombolyse dans deux cas. Les autres cas comprenaient une complication de coronarographie (1 cas) et une origine indéterminée (26% des cas).
De la présente analyse de cette cohorte de vingt-quatre patients (à ce jour) avec AVC ischémique hyperaigu thrombolysé (
I Présence de vomissements.
I Tension artérielle supérieure ou égale à 170 mmHg (CAVE : tout traitement anti-hypertenseur est potentiellement dangereux).
I Présence d'une déviation forcée et conjuguée du regard (signe de Vulpian-Prévost).
I Score NIHSS > 19.
I Présence d'une occlusion carotidienne interne complète. W