Nous achevons ici l'analyse du rapport des conclusions de la conférence de consensus que l'Agence nationale française d'accréditation et d'évaluation en santé (Anaes) vient de consacrer aux modalités de l'accompagnement du sujet alcoolodépendant après un sevrage (Médecine et Hygiène des 25 avril, 2 et 9 mai). Ce rapport s'achève sur une question essentielle, originale et pourtant rarement soulevée : comment évaluer l'accompagnement du sujet alcoolo-dépendant sevré ?On a vu que de nombreux moyens d'accompagnement peuvent être proposés aux sujets alcoolo-dépendants sevrés, que ces moyens ont été peu évalués et que, quand ils le sont, l'évaluation s'est souvent limitée à une mesure d'activité et n'a guère porté sur l'efficacité. «Les publications réalisées sont très hétérogènes, sans similitudes des procédures, sans protocole commun. De rares publications françaises de la Société française d'alcoologie ont essayé de dégager des facteurs prédictifs de l'obtention d'une abstinence ou d'une consommation contrôlée occasionnelle» écrivent les auteurs du rapport. Selon eux, l'évaluation du résultat doit porter sur «le malade pris dans sa globalité». «Si le maintien de l'abstinence est un élément incontournable dans l'aide thérapeutique apportée au malade, il ne peut être considéré comme une fin en soi. Le mieux-être du sujet est la priorité des soins, au-delà du problème de l'alcool», rappellent fort opportunément les auteurs.Des études contrôlées sur l'efficacité des moyens proposés sont aujourd'hui devenues indispensables pour permettre «une véritable sortie de la situation actuelle de marasme où se pérennisent des pratiques empiriques». Ces études devraient porter sur l'ensemble des malades à qui est proposée une méthode d'accompagnement. Dans cette optique, il faudrait parvenir à limiter le nombre des «perdus de vue» en expliquant aux malades la nécessité de l'évaluation dès le début de l'accompagnement. Il conviendrait de les dénombrer dans les statistiques et de tenter de les retrouver étant bien entendu que la signification de leur «perte de vue» n'est pas univoque. De la même manière, la recherche de facteurs prédictifs de réponse devrait être encouragée. Sur ce point, les auteurs citent l'étude «Match». Cette étude avait inclus 1726 alcoolo-dépendants durant cinq ans. La comparaison de trois groupes, l'un soumis à des séances de psychothérapie cognitive et comportementale, un autre à un cycle de vingt réunions organisées sur la base théorique des mouvements d'anciens buveurs et un dernier recevant une intervention minimale dénommée motivationnelle, n'a pas démontré de différences significatives entre chaque groupe. Les critères principaux d'évaluation à 18 mois étaient une amélioration sur des critères alcoologiques primaires (consommation) et secondaires (qualité de vie, fonctionnement). «L'ajustement de l'efficacité sur le coût est en faveur de la thérapeutique la moins chère (thérapie motivationnelle» soulignent les auteurs).Les indicateurs proposés sont destinés à évaluer les résultats des méthodes d'accompagnement et doivent à ce titre pouvoir s'appliquer à tous les moyens d'accompagnement proposés tant pour la réalisation d'essais comparatifs que pour le suivi des patients dans le quotidien. Le jury souhaite que l'état du sujet soit apprécié dans « toute sa globalité médico-psychosociale». Les indicateurs suivants devraient être pris en compte :I Indicateurs de qualité de vie. Il existe peu d'échelles de qualité de vie adaptées à la France, pour mesurer de manière prospective l'évolution du sujet alcoolo-dépendant. Cela justifie qu'un effort important soit fait dans ce domaine.I Indicateurs de bien-être et de l'état psychologique. Il existe de nombreuses grilles d'appréciation qui peuvent être utilisées pour évaluer le résultat d'une méthode d'accompagnement (échelle de Beck pour la dépression, échelle d'Hamilta pour l'anxiété).I Indicateurs de santé physique : morbidité-mortalité-appréciation des facultés cognitives-comorbidités. Certains questionnaires standardisés comportent des critères d'amélioration somatique. Ils sont peu utilisés dans les publications françaises.I Indicateurs d'état social et familial. Les instruments de mesure d'accompagnement sont nombreux ; quelques-uns semblent de qualité, ainsi l'ASI, d'usage complexe et plutôt réservé à des protocoles de recherche. Il a cependant des avantages : portant sur l'ensemble des dépendances, il mesure notamment le fonctionnement familial, social, professionnel et juridique.I Indicateurs de consommation d'alcool (et d'appétence). La mesure de la consommation d'alcool doit comporter d'une part des éléments déclaratifs fournis par le sujet, basés : a) sur des données quantitatives, comme la consommation (en quantité par jour, en journées d'alcoolisation par semaine, en pourcentage de jours d'abstinence sur toute la période considérée, ou en pourcentage de patients abstinents) ; b) sur des données qualitatives comme la pulsion brutale d'appétence à l'alcool (phénomène de craving). La mesure de la consommation d'alcool devra bien évidemment comporter par ailleurs des dosages biologiques, afin de disposer des données objectives sur la consommation. On sait que le marqueur le plus utilisé et le plus disponible est la combinaison de la mesure du volume globulaire moyen (VGM) et de l'activité de la gamma-glutamyl-transpeptidase (Gamma-GT). L'utilisation de l'activité de la carboxy-désoxy-transferrine (CDT) ne fait pas actuellement l'objet de consensus.«En cas de reprise de l'alcoolisation, le jury propose que l'amélioration soit évaluée sur d'autres critères que l'abstinence et la rechute, comme la longueur des périodes d'abstinence naturellement corrélée à la qualité de vie, en termes de fréquence des conduites pulsionnelles, durée des périodes d'abstinence, réinsertion sociale, familiale et professionnelle» peut-on lire dans le rapport. En raison de la fréquence des rechutes précoces, une première évaluation après un délai de trois ou six mois à un an paraît pertinente. Au-delà de son plaidoyer pour l'évaluation, le jury conclut que l'importance des objectifs de l'accompagnement de l'alcoolo-dépendant en termes de santé publique met en lumière la faiblesse actuelle des moyens disponibles. Pour les experts, «l'extrême indifférence à la question de l'alcoolo-dépendance observée jusqu'à présent dans notre société politique, civile, culturelle et professionnelle (en dehors du milieu alcoologique) ne peut servir de paravent à un renoncement irresponsable, et si lourd de conséquences pour l'avenir». W