Edito: Vaccinations : choix personnel ou responsabilité communautaire ?
B. Genton et L. Loutan
Rev Med Suisse
2001; volume -3.
21417
Résumé
«La rougeole n'est pas grave», «mon enfant a peu de risque d'attraper la rubéole», «les vaccins ne sont pas efficaces», «les vaccins ne sont pas sûrs», «il y a d'autres méthodes pour se protéger des maladies», «c'est trop d'agression pour le corps de mon enfant»... telles sont quelques-unes des objections parentales aux vaccinations de la petite enfance. Si la majorité de ces remarques sont raisonnables et correctes, elles reflètent une vision restreinte et limitée au champ individuel de la vaccinologie. Malgré le succès des programmes de vaccination de routine, de nombreux parents refusent de vacciner leurs enfants, notamment avec le vaccin combiné rougeole-oreillons-rubéole (ROR). Si cette attitude part d'un bon sentiment (protecteur), elle laisse cependant leur enfant à risque pour ces maladies ; plus grave encore, elle fait courir un risque pour la population générale car elle diminue l'immunité de groupe. Paradoxalement, c'est probablement grâce aux vaccinations pratiquées à large échelle que ces parents ont raison de dire que leur enfant a peu de risque d'attraper la rougeole. C'est grâce à tous les voisins qui acceptent d'immuniser activement leurs enfants qu'un enfant non vacciné sera indemne d'infection. Les exemples récents de la coqueluche en Angleterre ou de la diphtérie en Europe de l'Est montrent qu'une diminution de la couverture vaccinale, même modérée, entraîne rapidement une recrudescence de la maladie.Pourquoi les parents ont-ils des doutes, et ces hésitations sont-elles justifiées ?Certainement, l'incidence de la rougeole a considérablement diminué dans le courant du siècle dernier. On peut argumenter sur les causes de cette diminution ; ce qui est clair, c'est que le taux d'incidence au niveau mondial est directement proportionnel au taux de couverture vaccinale (et au nombre de doses données par individu). Si d'autres raisons peuvent avoir contribué au succès de la quasi-éradication de la rougeole dans certains pays, la baisse sans précédent des infections à Haemophilus influenzae b suite à l'introduction du vaccin ne laisse planer que peu de doutes sur l'efficacité de l'immunisation active. Il est clair que certains vaccins ont un profil d'efficacité nettement moindre, voire nul dans certaines conditions (BCG). L'inclusion d'une souche particulière d'oreillons dans le vaccin combiné ROR dans les années 90 a d'ailleurs été délétère puisqu'elle n'offrait aucune protection et a donc jeté le discrédit sur les trois composants du vaccin à la fois.La question du risque versus bénéfice est plus délicate. En effet, lorsque le risque de maladie approche de zéro, l'incidence des effets secondaires suite au vaccin devient supérieure à celle de la maladie et la justification de pratiquer une immunisation devient discutable. L'exemple de la poliomyélite dans les Amériques, et plus récemment en Suisse, a mis en exergue cette question et la solution a été de supprimer la vaccination de rappel de routine et de n'utiliser que le vaccin inactivé qui n'entraîne pas de paralysie post-vaccinale.Concernant la sécurité des vaccins, il est parfaitement justifié et louable pour les parents de se poser sérieusement la question. Aucun vaccin n'est sûr à 100%. La meilleure façon de faire passer le message de la vaccination universelle et en même temps du doute quant à la sécurité totale est une question encore non résolue. Jusqu'où peut-on, ou doit-on, informer les parents quant aux effets secondaires rares ? La sécurité des vaccins nécessite une information précise. Le problème est que celle-ci est souvent biaisée tant par les médias ou les groupes anti-vaccination que par les firmes pharmaceutiques qui ne comptabilisent que les effets secondaires qui leur sont rapportés. Il ne reste que le personnel médical pour donner une information objective, mais celle-ci est souvent perçue comme biaisée par les parents. La clé est dans la communication claire des résultats des études épidémiologiques aux dispensateurs de vaccins et au grand public. Si les anecdotes sont cruciales pour mettre la puce à l'oreille du personnel médical quant à la survenue potentielle d'effets secondaires sérieux rares, elles ne devraient pas faire l'objet d'une publicité exagérée ou être suivies de mesures prises à la va-vite par des instances politiques inquiètes de leur prochaine réélection. Ces observations doivent être le point de départ pour conduire des études rigoureuses sur le plan méthodologique avec l'objectif de confirmer ou d'infirmer un lien de causalité.Il est ainsi nécessaire de développer une «culture épidémiologique» au sein de la population médicale et du grand public. Le but de celle-là est : 1) de faire comprendre la notion d'immunité de groupe et l'importance de maintenir une couverture vaccinale minimale pour protéger les groupes à risque d'une mortalité évitable ; 2) de donner les rudiments pour une interprétation éclairée et objective des résultats des études scientifiques rétrospectives et prospectives concernant la tolérance et l'efficacité des vaccins. Cette information devrait permettre de faire comprendre aux gens que l'on est allé suffisamment loin avec les vaccins ac-tuels pour ne plus reculer maintenant. Les conséquences au plan de la morbidité et de la mortalité seraient en effet désastreuses si l'on décidait d'arrêter certaines vaccinations. Pour les mêmes raisons, il est crucial de ne pas introduire de nouvelles vaccinations de routine sans être sûr d'un bénéfice clair en termes de santé publique.Le challenge actuel est d'essayer de rétablir un climat de confiance entre personnel médical et public. La communication ne passe pas forcément uniquement par le langage scientifique mais aussi par une écoute et une compréhension des inquiétudes des parents ; on peut y ajouter un brin de solidarité, notamment avec les pays moins favorisés qui voient encore au jour le jour les méfaits de maladies qui ne sont plus (assez) connues chez nous pour être prises au sérieux...
Contact auteur(s)
B. Genton
Centre de vaccination et de médecine des voyages
Policlinique médicale universitaire
Lausanne
et
Institut tropical suisse
Bâle
L. Loutan
Unité de médecine des voyages et des migrations
Département de médecine communautaire
Hôpitaux universitaires de Genève