L'incidence de la diarrhée des voyageurs n'a pas diminué durant ces 25 dernières années et varie de 20% au Brésil jusqu'à 66% au Kenya. Le facteur de risque déterminant pour l'apparition d'une diarrhée du voyageur est non pas la catégorie d'hôtel, mais l'hôtel lui-même avec des taux d'attaque très différents suivant l'établissement. De nombreux voyageurs sont gênés dans les activités qu'ils avaient prévues pour le voyage avec des taux d'incapacité qui excèdent souvent 10% de la durée totale du séjour. Plusieurs études ont montré que les recommandations habituelles pour éviter la diarrhée des voyageurs ne sont suivies que par une minorité de voyageurs. La prévention doit donc passer par des messages succincts et clairs tels que : 1) éviter l'eau du robinet, 2) éviter les aliments qui ont mauvais goût. La chimioprophylaxie n'est pas indiquée pour des voyageurs habituels et ne doit être considérée que pour certaines personnes avec des comorbidités ou des activités qu'ils ne peuvent manquer.
La diarrhée des voyageurs classique est définie par trois ou plus de selles non formées par 24 heures, accompagnées d'au moins un symptôme (nausées, vomissements, crampes abdominales, fièvre, sang dans les selles). La diarrhée des voyageurs modérée est le passage d'une ou deux selles non formées avec au moins un symptôme accompagnant, ou plus de selles non formées sans autres symptômes. La diarrhée des voyageurs légère a été définie comme une ou deux selles non formées sans autres symptômes. Les trois degrés de sévérité ne démontrent aucune différence significative tant chronologique qu'étiologique ; il est donc vraisemblable qu'ils soient de la même origine. Les agents pathogènes sont retrouvés plus fréquemment dans les formes sévères ; l'hypothèse a été ainsi formulée que la taille de l'inoculum ou des mécanismes immunologiques indéterminés appartenant à l'hôte sont responsables de la sévérité de la maladie.1 Toute une série de facteurs de risque ont été identifiés. L'un des plus importants est l'hôtel. En Jamaïque par exemple, dans les hôtels choisis par plus de cent voyageurs, le taux d'attaque variait entre 9 et 43%, c'est-à-dire une différence d'un facteur de 4,8. Pour des raisons inconnues, les ressortissants anglais ont des taux de diarrhée nettement plus élevés que les autres Européens ou les Américains. Dans cette étude rétrospective, il a été impossible d'identifier des aliments particuliers ou des boissons entraînant des taux de diarrhée significativement plus élevés, à l'inverse d'une ancienne étude prospective où certains mets avaient été associés à des troubles plus fréquents.2
Parmi les 67 231 voyageurs qui ont complété un questionnaire, la diarrhée a eu un impact considérable pour leur bien-être. Entre 12% (Brésil) et 46% (Inde) de patients ont été gênés dans leurs activités durant le voyage pendant une durée moyenne de 9 à 21 heures. Une incapacité n'a pas seulement été détectée dans les cas de diarrhée des voyageurs classique, mais aussi chez des patients avec des formes légères. Si nous considérons que la durée du séjour est d'une ou deux semaines, l'incapacité due à la diarrhée excède souvent 10% de la durée du séjour. Heureusement, uniquement 0,1 à 0,2% de malades ont dû être hospitalisés (fig. 1).
Comme dans les études antérieures, le pathogène le plus fréquemment détecté a été l'Escherichia coli entérotoxigène (ETEC). Si l'on utilise une combinaison de détection classique et d'amplification génique (PCR), jusqu'à 50% de toutes les infections peuvent être expliquées par ces ETEC. Toute une gamme d'autres bactéries, d'agents viraux et moins fréquemment de protozoaires a été trouvée lors d'une évaluation détaillée des selles des patients.
Théoriquement, plusieurs options pour la prévention existent. La première serait de déconseiller un voyage. Ceci, sans doute, va rester une prévention exceptionnelle, mais elle pourrait être indiquée pour les nourrissons et les petits enfants, non seulement vu le taux d'incidence de diarrhées élevées, mais aussi en considérant les hospitalisations prolongées dans cette population.3 La même recommandation pourrait s'appliquer aux personnes avec une immunodéficience sévère.
Comme démontré dans le cadre d'une étude prospective, il est non seulement logique, mais aussi bénéfique d'essayer de s'abstenir de nourriture et de boissons potentiellement contaminées par des selles (fig. 2). Cependant, il a été démontré dans deux études que seulement une petite minorité de voyageurs suivent méticuleusement les conseils des médecins,2,4-6 tandis que plus de 95% de tous les voyageurs ne peuvent résister aux tentations gastronomiques, par exemple des buffets froids, déjà dans les trois premiers jours de leur séjour en milieu tropical.
Toute une gamme de médicaments a été recommandée pour la prévention de la diarrhée. Dans la classe des probiotiques, les Lactobacilli n'ont démontré aucune protection7 en dehors des Lactobacilli GG qui ne sont disponibles qu'en Suisse (efficacité modeste entre 0 et 50%).8 Saccharomyces boulardii a conféré une protection de 60% en Afrique du Nord et en Turquie, tandis qu'aucune efficacité significative n'a été démontrée dans toutes les autres destinations. Le subsalicylate de bismuth offre une protection modérée de 40 à 65%, mais cette formule n'est pas commercialisée en Suisse ; les autres types de bismuth sont inefficaces.9 Les antibiotiques, surtout les quinolones restent ainsi les meilleurs agents protecteurs avec une efficacité qui varie entre 80 et 100%.10 Quoique de bons résultats aient été obtenus avec le cotrimoxazole et la doxycycline, ces médicaments sont obsolètes car les résistances apparaissent partout dans le monde.11 Nous ne voudrions certainement pas recommander à tous les voyageurs une prophylaxie médicamenteuse contre la diarrhée. Celle-ci doit être réservée à des personnes présentant des risques spécifiques (tableau 1) ; pour ceux-ci une quinolone (par exemple, ciprofloxacine 2 x 250 à 500 mg/jour) est probablement le premier choix sauf contre-indication.
Malheureusement, il n'y a pas encore de vaccin qui pourrait protéger contre la diarrhée des voyageurs. Toutes les options préventives proposées sont peu réalistes, inefficaces ou trop coûteuses. Il peut être bénéfique de conseiller aux voyageurs de prendre une trousse médicale dans laquelle il aurait un autotraitement. Pour une guérison rapide, la combinaison de lopéramide (Imodium®) et d'une quinolone a prouvé qu'elle était la solution la plus efficace.12
Il est bien préférable d'insister sur la nécessité de ne boire que de l'eau en bouteille et de manger des aliments qui ont bon goût. Ces deux recommandations sont simples à exécuter et la compliance devrait être meilleure plutôt que de donner des indications peu réalistes comme de supprimer toute salade, buffet froid, etc.