Résumé
Il paraît que l'effet placebo n'est qu'un leurre, et que les médecins, victimes de leur esprit grégaire, se font tranquillement blouser depuis une petite cinquantaine d'années. Vous vous rendez compte, une chose pareille ? Et si encore c'était une affirmation publiée dans une revue de province, mais non : elle a trouvé place au cur du New England Journal of Medicine lui-même ! On croyait la médecine figée : on se trompait. Elle bouge dans ses mythes les plus centraux. Celui de l'effet placebo est d'ailleurs tellement central qu'on peut le considérer comme un fondement de l'édifice....Venons-en à l'article du New England de la semaine passée. Si son sujet représente du poil à gratter pour médecine assoupie, sa forme est tout à fait classique : il s'agit d'une méta-analyse. Spécialistes de la chose, puisqu'ils appartiennent tous deux au Nordic Cochran Center, ses auteurs, Asbjorn Hrobjartsson et Peter Gotzsche, ont analysé 114 études publiées ayant inclut 7500 patients atteints de 40 pathologies différentes.1 Et ce qu'ils ont trouvé apparaît plutôt simple : l'effet placebo n'existe pas. Les 114 études choisies pour leur analyse avaient ceci de particulier qu'elles comparaient l'efficacité des traitements non seulement à celle du placebo, mais aussi à l'évolution sans traitement du tout. Or les patients sans aucun traitement montraient une amélioration dans les mêmes taux que ceux ayant reçu un placebo. Sauf en ce qui concerne le traitement de la douleur, où l'effet placebo s'avère un peu mais significativement plus élevé que l'absence de traitement....Elle est bien ennuyeuse, cette méta-analyse.Elle nous lance une interrogation abrupte : comment se fait-il que nous ayons pu croire si longtemps à un effet placebo inexistant ? Les auteurs avancent une théorie : si les patients semblent améliorer leur état grâce au placebo, c'est parce que la plupart des maladies évoluent avec des hauts et des bas. On aurait donc oublié de prendre en compte cette fluctuation naturelle des maladies qui fait qu'entre deux mesures une partie des patients semble toujours se porter mieux. Commentaire de Hrobjartsson : «C'est une erreur tout à fait banale, mais parfois des erreurs banales sont malgré tout faites». C'est vrai. Reste qu'on s'étonne que la communauté médicale ait à ce point manqué à une si élémentaire réflexion. Et qu'on s'étonne aussi, à l'adresse des auteurs de cette analyse cette fois, qu'ils n'aient pas vérifié leur thèse en démontrant que sous placebo autant de patients voient leur état s'aggraver que s'améliorer....Peut-être faut-il d'abord se demander : comment s'est construite la croyance en l'effet placebo que les journaux médicaux, les professeurs et les texbooks ne cessent d'invoquer ? D'où vient le chiffre si précis lié à cet effet, gravé dans le marbre de la profession (vous pouvez le demander à n'importe quel étudiant en médecine, il le connaîtra) : ces 35% de patients supposés aller mieux grâce à l'effet placebo ?Conscients du caractère iconoclaste de leur étude, les auteurs se sont intéressés à l'histoire de cet effet : ils ont pelé l'oignon des publications se citant les unes les autres et sont finalement tombés sur l'article original, celui qu'ils estiment être la source cachée mais encore active du mythe. Ecrit en 1955 par un anesthésiste bostonien, Henry Beecher, et publié dans le JAMA, il avait le titre bien affirmé de : «The Powerful of Placebo». Beecher y faisait la revue d'une douzaine d'études qui comparent les placebos à des traitements actifs et concluait que les placebos ont un effet médical. A la fin de cet article, il avançait le fameux chiffre de 35% qui dès lors entrait «dans la mythologie du placebo» selon les termes de Hrobjartsson. L'acte de fondation mythologique est d'autant plus clair, selon lui, que depuis l'étude de Beecher personne ne se risque plus à critiquer ses 35% ou à mettre en question son affirmation que 35% d'amélioration signifie ipso facto effet thérapeutique....Le même New England publie un édito commentant l'étude de Hrobjartsson et Gotzsche. Evidemment. On ne laisse pas exploser une bombe pareille sans rassurer un peu la population. Excellent, d'ailleurs, cet édito, du meilleur genre dont sont capables les Américains. Il est signé John Bailar, de Chicago. Lequel commence par critiquer l'étude : son efficacité statistique, malgré la grande taille de l'échantillon, reste faible. Par ailleurs, ses résultats sont très hétérogènes, ce qui peut signifier qu'un réel effet placebo existe malgré tout. Bref : le compte de l'effet placebo ne se trouve pas définitivement réglé. Le cadavre bouge encore....Bailar, ensuite, se demande si, tout compte fait, le phénomène placebo ne représente pas une variante de l'histoire du magicien d'Oz, «qui avait du pouvoir parce que les autres pensaient qu'il en avait jusqu'à ce qu'ils découvrent que le rideau cachait un homme ordinaire». Autrement dit, il se pourrait que l'effet placebo soit lui-même un phénomène placebo : il n'a existé que parce que les chercheurs et les médecins ont cru qu'il existait. Les placebos s'emboîteraient comme des poupées russes, et c'est le tout qui se trouverait au cur de la pratique médicale.Qu'une méta-analyse ne parvienne pas à le mesurer ne veut pas dire que l'effet placebo n'a pas de réalité scientifique, rappelle cependant Bailar. Peut-être le problème est-il que les études randomisées, avec leurs méthodes particulières, «masquent un effet placebo réel qui pourrait être évident dans un autre cadre». Sa place dans la médecine est trop importante pour qu'on laisse le placebo dans un statut de doute. N'est-il qu'une illusion ? Et, si oui, quelle en est la signification ? Pour le comprendre, d'autres études sont nécessaires, écrit Bailar. Mais jusqu'où sortir des modèles actuels ?...S'il est vrai (comme l'écrit Patrick Lemoine dans «Le mystère du placebo»), que «le médicament est comme un fragment du langage médical», qu'il «est aussi une partie du corps du médecin, dégluti et incorporé par le malade». S'il est vrai, d'autre part, que le placebo demande une «séduction du patient» par le médecin, qu'il faut croire pour guérir par placebo, qu'il faut «avaler» ce que dit le médecin selon le mécanisme de «médicament médecin» décrit par Balint alors on comprend bien que tout dépende de la mise en scène et de la personne du médecin, et que l'effet se dissolve une fois immergé dans de grandes études randomisées et en aveugle, où patients et médecins sont interchangeables. Le placebo est affaire de relation, donc de regard. Pas le genre de choses faciles à évaluer en aveugle.N'empêche : nous voilà probablement condamnés à réviser notre vision du placebo. Tout cela à cause de la curiosité de deux Danois aux noms imprononçables...