Résumons : la cour d'appel du Tribunal d'Amsterdam vient de demander l'ouverture d'une nouvelle enquête au sujet d'un cas d'euthanasie controversé dans lequel un médecin avait «aidé à mourir» l'un de ses patients, ancien sénateur, qui se plaignait d'être «fatigué de vivre» en 1998. Le Dr Philip Sutorius, est accusé par la justice néerlandaise de ne pas avoir respecté les règles en vigueur aux Pays-Bas quant à la pratique de l'euthanasie en administrant un cocktail mortel à l'ancien sénateur Edward Brongersma. «Les Pays-Bas, qui ont été le premier pays au monde à adopter une loi légalisant l'euthanasie en avril, tolèrent en effet cette pratique sous certaines conditions depuis 1997, nous rappelle le bureau d'Amsterdam de l'Agence France-Presse. Ces conditions ou «critères de minutie» stipulent que le patient doit notamment en faire la demande claire et être atteint de souffrances insupportables et sans perspectives d'amélioration». Or M. Brongersma, âgé de 86 ans, ne souffrait d'aucune pathologie grave médicalement diagnostiquée lorsqu'il a demandé au Dr Sutorius de pratiquer une euthanasie en mars 1998.L'affaire Brongersma, on ne le comprend que trop bien, pourrait faire jurisprudence et conduire à élargir les «critères de minutie». Pour le dire autrement, concrètement, voilà les Pays-Bas aux prises avec une nouvelle et passionnante question, celle de savoir si le fait d'être «fatigué de vivre» peut ou non être assimilé à une souffrance insupportable donnant ipso facto le droit de «bénéficier» d'une «aide à mourir». La lecture du dossier hollandais n'est pas, de ce point de vue, sans intérêt. En première instance, les juges du tribunal de Haarlem avaient acquitté le Dr Sutorius, ouvrant de facto la porte à un élargissement des situations permettant à un médecin de tuer son patient. Cette décision avait été vivement critiquée par le ministre de la justice néerlandais ainsi que par de nombreux hommes politiques. Le ministère public avait alors fait appel.Dans son réquisitoire, le procureur général Egbert Myjer avait notamment estimé que la souffrance devait pouvoir être «médicalement diagnostiquée» pour autoriser la pratique de l'euthanasie. Il avait aussi souhaité que cette affaire permette de «fixer les limites» en matière d'euthanasie en demandant que le médecin soit reconnu coupable. Pour autant, il n'avait pas demandé de peine de prison en jugeant que ce dernier avait pratiqué «consciencieusement» l'euthanasie en demandant notamment l'avis d'un deuxième confrère. La cour d'appel d'Amsterdam, qui devait rendre son verdict il y a quelques jours a jugé indispensable d'ordonner une nouvelle enquête afin, avant de se prononcer, de prendre connaissance de l'avis de deux spécialistes sur une question à ce point essentielle.Demander la mort au motif que l'on est «fatigué de vivre» ? La question n'est pas de savoir si la demande est légitime mais bien s'il est légitime d'y répondre favorablement. «Je n'ai personne avec qui partager le vide : tous mes parents, mes amis proches et mes connaissances sont morts. Après avoir bien réfléchi, je vous demande donc une euthanasie» avait écrit M. Brongersma à son médecin qui avait alors accepté de lui confectionner un cocktail létal. Etrange pays dans lequel la ministre néerlandaise de la Santé Els Bors vient de se prononcer «à titre personnel» en faveur de la mise à la disposition d'une pilule létale pour les personnes âgées «qui en ont assez de vivre» avant que le premier ministre ne déclare que «ce genre de question n'avait pas le droit d'être à l'ordre du jour». Etrange pays sans doute ; étrange époque aussi qui voit, nous apprend le quotidien français Libération, des «candidats à la mort se rencontrer sur le Web». «Cherche partenaire pour suicide». On ne trouvera pas ce genre d'annonce dans un journal français (la provocation au suicide est réprimée par la loi depuis 1987). Mais on la trouve, sur le Net, peut-on lire dans le quotidien à la rubrique Internet. Depuis deux ans, des pactes de suicide se nouent sur le réseau entre inconnus qui veulent en finir. Combien ? Nul ne le sait. Quelques-uns ont eu ces derniers mois un fort écho médiatique privilège de la nouveauté tel que le suicide de ce couple de Japonais qui s'était rencontré sur un site consacré au suicide. Même émoi en décembre dernier lors de l'arrestation d'un Sud-coréen de 19 ans, qui avait «aidé» un suicidaire à passer de vie à trépas. Internet, ultime gouffre des désespérés» ?S'émouvoir ? S'indigner ? Laisser faire faute de savoir comment agir ? «De nombreux sites et forums sont consacrés au suicide. Ouvert en 1988 aux Etats-Unis, à l'origine pour s'interroger sur les vagues de suicides pendant les vacances, le forum Ash (alt.suicide.holiday) a peu à peu fédéré une communauté importante. Un site (ash.xanthia.com) est né depuis, qui reçoit plus de 50 000 visites par mois, de tous les coins du monde, nous apprend encore Libération. Le webmestre d'Ash se défend de promouvoir le suicide. «La communauté des «ashers» partage des valeurs différentes du reste de la société. La majorité des gens considère que la vie humaine est ce qu'il y a de plus précieux. Nous, nous pensons que c'est la liberté individuelle. Nous pensons que les gens ont le droit de se suicider. Attention, nous ne sommes pas là pour les persuader de le faire, mais nous ne les en dissuadons pas non plus». La belle, la formidable époque qui propose tout, permet tout, et n'inciterait à rien tout en campant sur les frontières d'une mort d'ores et déjà digérée. Société fatiguée qui croit pouvoir présenter comme la forme moderne du libre-arbitre ce qui n'est, au fond, que démission, banalisation et effacement de ses interdits.