Le contrôle glycémique postprandial a pris beaucoup d'importance dans la gestion du diabète de type 2, en raison de la relation existant entre l'hyperglycémie postprandiale et la morbi-mortalité cardiovasculaire. Les glinides répaglinide (NovoNorm®) et natéglinide (Starlix®) représentent une nouvelle classe d'agents insulinotropes dont l'effet est particulièrement adapté au contrôle de l'excursion glycémique postprandiale. Ces substances exercent une stimulation rapide, puissante et de courte durée de l'insulinosécrétion, qui est par ailleurs gluco-dépendante : en l'absence de repas ou en normoglycémie, la stimulation de l'insulinosécrétion reste faible. Ainsi, le risque d'hypoglycémie est fortement diminué. Les glinides doivent être pris juste avant chaque repas, et leur tolérance est excellente. Ils sont indiqués dans le traitement du diabète de type 2 en monothérapie ou en association avec des antidiabétiques oraux d'action complémentaire, en particulier avec la metformine ou une glitazone, ou encore en association avec l'insulinothérapie nocturne. Les glinides peuvent être utilisés sans risque chez les patients âgés, et chez les patients avec atteinte hépatique ou rénale modérée, ou avec des complications cardiovasculaires.
Dans le diabète de type 2, les études Kumamoto1 et UKPDS2 ont clairement démontré le lien existant entre le contrôle glycémique reflété par l'hémoglobine A1c et le développement des complications tardives du diabète. Or, l'hémoglobine A1c représente l'intégration du profil glycémique pendant une période de deux à trois mois précédant le dosage : la part respective du contrôle glycémique à jeun et postprandial aux complications cardiovasculaires a été revue et analysée ces dernières années au travers de plusieurs études épidémiologiques. Parmi celles-là, l'étude DECODE3 a mis l'accent sur l'importance du lien entre le contrôle glycémique postprandial et la morbi-mortalité cardiovasculaire, indépendamment de la glycémie à jeun. Une conclusion de cette étude est que le contrôle de l'excursion glycémique postprandiale devrait être une composante majeure de la gestion du diabète de type 2.
Le repas est un grand défi pour la cellule ß-pancréatique : la sécrétion d'insuline doit augmenter très rapidement, atteindre un maximum dans les premières 10 à 30 minutes après le début du repas, et diminuer rapidement par la suite pour revenir à l'état basal bien avant le repas suivant. La régulation du glucose prandial est un concept nouveau qui vise à rétablir l'insulino-sécrétion postprandiale chez les patients diabétiques de type 2. Jusqu'à récemment, les seuls sécrétagogues de l'insuline étaient représentés par les sulfonylurées, substances qui n'ont pas particulièrement pour cible la sécrétion prandiale d'insuline.
Une nouvelle classe d'antidiabétiques oraux, ayant un impact spécifique sur la sécrétion prandiale d'insuline, vient compléter nos options thérapeutiques : les glinides, représentés par le répaglinide (NovoNorm®) et le natéglinide (Starlix®). Le premier est disponible depuis deux ans alors que le deuxième vient d'être commercialisé en Suisse. Ces deux agents oraux sont des régulateurs du glucose prandial.
Le répaglinide est un membre de la famille du «carbamoylmethyl benzoic acid» (CMBA), molécule proche, mais distincte, des sulfonylurées.
Le répaglinide stimule la sécrétion d'insuline des cellules ß du pancréas en fermant les canaux potassiques de la membrane cellulaire. Cela inhibe les flux des ions potassiques et dépolarise la membrane cellulaire, provoquant un influx des ions calciques extracellulaires : l'augmentation du calcium intracellulaire stimule la sécrétion d'insuline. Le répaglinide se lie à un site récepteur distinct des sulfonylurées, et ne pénètre pas à l'intérieur de la cellule.
L'activité insulinotrope du répaglinide est cinq fois plus puissante que celle du glibenclamide (Daonil®) pour stimuler la sécrétion d'insuline d'îlots isolés et périfusés de souris.5Cependant, le répaglinide n'induit une libération significative d'insuline qu'en présence de glucose dans le milieu, ce qui n'est pas le cas du glibenclamide (et des autres sulfonylurées) qui stimule la sécrétion d'insuline indépendamment de la concentration ambiante du glucose.
Le répaglinide est rapidement absorbé et métabolisé après administration orale. L'effet maximal et la demi-vie sont approximativement d'une heure chez les volontaires sains et chez les diabétiques de type 2. L'effet sur la sécrétion d'insuline est donc rapide et de brève durée, n'entraînant pas de stimulation inutile de la cellule ß à distance des repas.
La substance est métabolisée dans le foie par le cytochrome P450 et est excrétée principalement dans la bile ; seulement 8% de la dose sont excrétés dans les urines. Aucun métabolite du répaglinide n'a d'effet hypoglycémiant significatif.
Les études doses-réponses ont montré que des doses comprises entre 0,5 et 4 mg, prises avant un repas, sont efficaces pour le contrôle glycémique postprandial. Le répaglinide ne s'accumule pas dans les tissus même lors de surdosage pendant six jours d'affilée.
Le natéglinide est un dérivé d'un acide aminé, la D-phénylalanine ; sa structure chimique et pharmacologique est ainsi tout à fait différente de celle des autres antidiabétiques oraux, y compris de celle du répaglinide.
La sécrétion d'insuline postprandiale est aussi stimulée par les acides aminés absorbés lors d'un repas : cette notion a évoqué la possibilité d'un nouveau mécanisme d'action antidiabétique, et a débouché sur un programme de recherche extensif visant à synthétiser un grand nombre d'analogues d'acides aminés, et à investiguer leurs propriétés antidiabétiques. En fonction de la puissance insulinotrope relative des différents acides aminés, la recherche s'est focalisée sur les analogues de la phénylalanine dans le but d'identifier une substance rapidement absorbée, et bien sûr stimulant fortement la sécrétion insulinique. Le natéglinide en est le premier représentant : son effet insulinotrope est 50 fois plus puissant que celui de la phénylalanine.
Le mécanisme d'action du natéglinide est similaire à celui du répaglinide sur les canaux potassiques de la membrane de la cellule ß, de même que l'effet glucodépendant. Cependant, le natéglinide induit une sécrétion plus rapide d'insuline, a une durée d'action plus courte que le répaglinide, et l'effet glucodépendant est plus marqué. La cinétique de la sécrétion insulinique est ainsi régulée selon la glycémie ambiante et la prise d'hydrates de carbone. Le natéglinide induit une insulinosécrétion 5 à 10 minutes après la prise au début du repas, rétablissant ainsi la première phase de la sécrétion d'insuline, et ramène le taux préprandial d'insuline en 3-4 heures après le repas, évitant une hyperinsulinémie à distance du repas. Cela diminue le risque d'hypoglycémie tardive et limite éventuellement la prise pondérale.
Le natéglinide est rapidement absorbé (concentration plasmatique maximale entre 15 et 60 minutes après la prise) et est métabolisé par le cytochrome P450 : moins de 8% de la substance sont excrétés inchangés dans les urines. Il existe de nombreux métabolites dont les principaux gardent une action antidiabétique 3 à 6 fois moins puissante que le composé parent. Le natéglinide et ses métabolites sont complètement éliminés par voie rénale avec une demi-vie d'environ 1,4 heure. Comme le répaglinide, le natéglinide ne s'accumule pas dans les tissus après administration répétée.
La dose optimale est de 120 mg à prendre juste avant le repas.
Pour les deux composés décrits, les études de phase II et III4,6 ont montré une amélioration significative du contrôle glycémique postprandial en monothérapie, avec diminution plus importante des glycémies 2 h postprandiales et de l'HbA1c que des glycémies à jeun. Dans ces études, la réduction plus modeste de la glycémie à jeun est le reflet de l'amélioration globale du contrôle glycémique.
Les études comparatives avec les sulfonylurées et la metformine ont aussi montré un meilleur effet des glinides sur l'excursion glycémique postprandiale. Cependant, le contrôle de la glycémie à jeun étant supérieur avec la metformine en monothérapie, l'association metformine-glinides semble logique dans le but d'assurer un contrôle glycémique global. La metformine, agissant sur la résistance à l'insuline, diminue avant tout la glycémie à jeun, et les glinides contrôlent les pics postprandiaux du glucose. Cette association entraîne un effet synergique, avec abaissement plus important des glycémies à jeun et des glycémies postprandiales qu'avec l'une ou l'autre substance en monothérapie (fig. 1).7
Les glinides ont un profil de sécurité comparable à celui des sulfonylurées existantes. Leur tolérance est excellente. Comme pour tout composé qui stimule la sécrétion d'insuline, l'effet indésirable le plus constant est l'hypoglycémie. Cependant, si ce risque existe avec l'utilisation des glinides, il est plus faible comparativement à celui des sulfonylurées, particulièrement en ce qui concerne les hypoglycémies sévères et prolongées. L'avantage des glinides est leur effet dépendant du glucose (glycémie ambiante et prise d'hydrates de carbone au repas) qui offre une plus grande sécurité à propos du risque d'hypoglycémie. En effet, la prise de natéglinide ou de répaglinide sans repas concomitant n'exerce qu'un effet minimal sur l'insulinosécrétion, diminuant de ce fait le risque d'hypoglycémie induite (fig. 2).8
Les glinides ont un faible potentiel d'interactions médicamenteuses, et les traitements couramment utilisés chez les diabétiques de type 2 (glitazone, metformine, sulfonylurée, anticoagulant, propanolol, digoxine, diclofénac, pravastatine, nicardipine, captopril, acide acétylsalicylique, furosémide) ne nécessitent pas d'ajustement de posologie. Attention toutefois aux substances qui peuvent augmenter l'effet hypoglycémiant des glinides (inhibiteurs MAO, bêtabloquants non sélectifs, inhibiteurs de l'ECA, salicylés, anti-inflammatoires non stéroïdiens, alcool) ou qui peuvent réduire leur effet hypoglycémiant (contraceptifs oraux, thiazides, stéroïdes, hormones thyroïdiennes, sympathicomimétiques).
Les glinides sont des agents insulinotropes spécifiquement adaptés pour la régulation des pics glycémiques postprandiaux. Ils sont indiqués chez les patients diabétiques de type 2 dont l'hyperglycémie postprandiale ne peut pas être contrôlée par un régime alimentaire et un programme d'activité physique seuls. Les glinides peuvent être utilisés en monothérapie, en combinaison avec des antidiabétiques oraux ayant un mode d'action complémentaire, ou en combinaison avec une insulinothérapie (essentiellement une insulinothérapie nocturne). Les agents oraux les mieux appropriés en combinaison avec un glinide, sont la metformine ou une glitazone (rosiglitazone ou pioglitazone), qui ont l'effet complémentaire d'abaisser la résistance à l'insuline. Les glinides peuvent être utilisés sans risque particulier chez les patients plus âgés, chez les patients présentant une atteinte hépatique ou rénale modérée, et en cas de complications cardiovasculaires. Les patients présentant une surcharge pondérale peuvent également bénéficier d'un traitement de glinides, dont l'effet n'est pas atténué dans cette situation.
Le natéglinide et le répaglinide doivent être pris avant chaque repas : la dose du répaglinide doit être titrée en commençant par 0,5 mg (ou 1 mg chez les patients préalablement sous sulfonylurée) jusqu'à une dose préprandiale de 4 mg (jusqu'à 4 x 4 mg/j). La dose du natéglinide est de 120 mg préprandiale, dose pouvant être réduite à 60 mg en cas d'association avec la metformine avec un taux d'HbA1c
L'inconvénient de ce type de traitement, il faut le mentionner, est représenté par la nécessité de plusieurs prises médicamenteuses quotidiennes (3 à 4 fois), ce qui peut être mal perçu par le patient nouvellement diagnostiqué, et qui peut diminuer la compliance au traitement à plus long terme.
En conclusion, ces nouveaux médicaments permettent de mieux moduler le traitement du diabète de type 2, en ciblant spécifiquement l'excursion glycémique postprandiale à l'instar des analogues rapides de l'insuline.