L'apparition du phénomène trottinette au cours de l'année 2000 a entraîné une pathologie propre à ce type d'activité. Notre étude analyse 156 cas d'accidents de trottinette pris en charge par notre service de chirurgie pédiatrique en un an.Ils concernent une majorité de garçons (M : F ratio = 2 : 1) essentiellement dans la tranche d'âge 10 à 13 ans (48% des cas). Nous avons constaté 63% de lésions simples, 31% de fractures dont un tiers ont nécessité une prise en charge chirurgicale. Les atteintes prédominent à la tête, plus particulièrement au visage, ainsi qu'à la cheville et au poignet. Au moins 45% des accidents sont survenus sur la voie publique, avec un mécanisme de collision dans un tiers des cas, dont plus de la moitié avec un véhicule. Les chutes en descente, suite à un problème de freinage ou une perte d'équilibre représentent 33% du collectif, et 15% sont liés à des problèmes mécaniques ou de manipulation liés à la structure de l'engin.Dès à présent, on peut dire que la gravité des traumatismes peut être atténuée par le port de protections à la tête (visage), aux chevilles et aux poignets. La pratique de la trottinette dans la circulation doit être évitée, puisqu'elle met en danger la vie et entraîne des lésions graves.
Les premières trottinettes sont apparues vers 1900. Pendant presque un siècle, elles ont peu évolué, disposant en général de roues gonflables ou pleines et souvent de frein(s). Des modèles démontables existaient déjà au début du siècle. L'évolution des techniques a relégué les trottinettes à roues au rang d'antiquité. Les mini-trottinettes apparues en 1999 ont innové dans l'emploi d'une structure légère et pliable pour être aisément transportables, et par l'utilisation des roues en matière synthétique empruntées aux patins in-line.
Le nombre de pratiquants est impossible à avancer, et des chiffres fantaisistes circulent. Une des premières marques de trottinettes a lancé son modèle en décembre 1999. Un an plus tard, en décembre 2000, elle vendait environ 1 million de trottinettes par mois dans 49 pays. Les prévisions de cette marque, pour la Suisse pour 2000, étaient de 40 000 exemplaires vendus. Les ventes ont dépassé les 100 000 exemplaires.
Avec l'augmentation spectaculaire des ventes de ces nouvelles trottinettes en 2000, une nouvelle traumatologie propre à ce type d'activité est apparue.1Constatant qu'il n'existait pas encore de statistiques européennes sur ce sujet, nous avons utilisé notre système d'enregistrement des accidents d'enfants pour réaliser une analyse de ce type de traumatologie, afin d'en préciser l'épidémiologie et de proposer des recommandations et des stratégies de prévention.
Le Service de chirurgie pédiatrique du Centre Hospitalier Universitaire Vaudois (CHUV) enregistre de façon prospective tous les accidents d'enfants et d'adolescents de 0 à 16 ans qui se présentent aux urgences depuis le 1.1.90. Nous disposons ainsi d'une bonne évaluation de la traumatologie pédiatrique dans le canton. C'est ainsi que nous connaissons les circonstances de survenue de plus de 28 000 accidents d'enfants ou d'adolescents survenus du 1.1.90 au 31.12.00.2
Notre étude utilise ce système d'enregistrement des accidents d'enfants pour analyser tous les cas d'accidents de trottinette pris en charge en urgence par le Service de chirurgie pédiatrique durant un an, de janvier 2000 à fin février 2001, sur ses deux sites d'activité, à savoir le Centre Hospitalier Universitaire Vaudois (CHUV) et l'Hôpital de l'Enfance (HEL).
Outre les données épidémiologiques, les informations collectées dans les dossiers d'urgence concernent les circonstances, le type, le degré, le mécanisme de lésion et le mode de traitement.
Nous avons dénombré 156 cas d'accidents de trottinette concernant en majorité des garçons (sex ratio m : f = 2 : 1), soit une proportion un peu plus élevée d'accidents chez les garçons que pour l'ensemble des sports. Ils concernent essentiellement la tranche d'âge 10 à 13 ans puisque ce collectif représente 48% des cas, mais on constate déjà des accidents dès l'âge de 2 ans chez les garçons et 4 ans chez les filles (fig. 1).
Nous avons constaté un pic saisonnier en septembre et octobre, mois durant lesquels 50% des accidents sont survenus. Ce pic saisonnier n'est peut-être que le reflet de l'accroissement du nombre d'acquéreurs de mini-trottinettes au cours de l'été 2000, et devrait être validé au cours des prochaines années.
Les trottinettes entraînent une majorité de lésions mineures, puisque nous avons enregistré 63% de lésions simples, et que 85,2% des lésions ont été résolues en moins de quatre semaines. Seuls 16,6% des enfants ont justifié une hospitalisation. Cependant, huit enfants ont nécessité un traitement d'une durée supérieure à deux mois.
Outre ces lésions simples, 31% des enfants présentaient des fractures dont 38% d'entre elles ont nécessité une prise en charge chirurgicale ; 20,5% présentaient une plaie nécessitant une suture et 14,7% de lésions musculaires ou tendineuses. Cependant, nous avons constaté trois traumatismes de l'abdomen et dix-neuf traumatismes crâniens.
La localisation des lésions montre une prédominance d'atteintes à la tête (47,5%, dont 30% au visage et 3,2% de lésions dentaires), puis concerne pratiquement à égalité la cheville (17,9%) et le poignet ou l'avant-bras (17,3%). Viennent ensuite les lésions des genoux, des mains et des coudes (fig. 2 et 3).
Nous disposons d'une anamnèse précise dans 35% des cas. Au moins 45% des accidents sont survenus sur la voie publique. Un mécanisme de collision a été trouvé dans 36% des cas, dont plus de la moitié avec un véhicule (11 collisions avec voitures), mais aussi avec un obstacle (arbres, murs, poteau, bord de trottoirs, grille, trou, vitres). Ces collisions entraînent généralement des lésions multiples et graves. Les chutes en descente, suite à un problème de freinage ou une perte d'équilibre représentent 33% du collectif. Enfin, 15% des accidents sont liés à des problèmes mécaniques, ou sont survenus lors de la manipulation de l'engin (pliage), ou sont liés à sa structure. Quelques accidents anecdotiques résultent d'utilisations originales : utilisation de trottinette sur rampe de skate park, ou à plusieurs sur la trottinette.
Depuis notre première étude sur le sujet, le nombre annuel des accidents de roller/skate a diminué de moitié au cours des cinq dernières années, alors qu'en 2000 apparaît l'explosion de la traumatologie liée à la trottinette.3 Un déplacement de l'intérêt des enfants et adolescents du skate-board puis du roller (quads ou in-line) vers les mini-trottinettes est possible.
Un premier article, issu du système de surveillance NEISS (National Electronic Injury Surveillance System) des Etats-Unis, concernant des adultes et des enfants, a été publié en janvier 2001, faisant état de 27 600 traumatismes liés à la trottinette de janvier à octobre 2000.1 Il montre les mêmes données épidémiologiques que notre étude, dont, entre autres, un pic saisonnier en septembre, probablement pour les mêmes raisons. Déjà deux décès y sont rapportés dont un enfant de six ans lors d'une collision avec une voiture.4
La mini-trottinette est aujourd'hui à la mode. Mis à part le choix dicté par celle-ci, plusieurs éléments concernant la sécurité des engins apparaissent. Du fait des petites roues dures, la conduite n'est pas aisée et les irrégularités du terrain sont fortement ressenties dans le guidon, en particulier avec les roues synthétiques (polyuréthane dur) d'un diamètre de 10 cm. En outre, les petites roues franchissent difficilement les obstacles tels des bouches d'égout, un seuil, un bord de trottoir, ou un sol mou, entraînant un freinage brusque de l'engin et une chute par dessus le guidon. Les roues en gomme gonflables de 15 cm de diamètre semblent donner une meilleure stabilité. La stabilité peut également être améliorée par un plus grand écartement entre les axes des roues.
Avec la vitesse, les vibrations du guidon peuvent devenir difficiles à contrôler, entraînant la rotation de celui-ci à 90° et le blocage de l'engin. Celui-ci étant assez bas, tout blocage de la roue avant fait courir un risque de chute par dessus le guidon, et par là une lésion de la face ou de la tête.
Les systèmes de pliage de la trottinette diffèrent d'un modèle à l'autre. Certains sont simples (pression du pouce) et permettent un verrouillage satisfaisant de l'engin. Par contre, d'autres ont des systèmes trop complexes de verrouillage et peuvent provoquer des lésions (doigts pincés, plaie de 4 cm). Sur certains modèles, le mécanisme de fermeture combiné aux arêtes vives peut potentiellement entraîner une section de doigt, ce que nous n'avons pas (encore) enregistré.
Les systèmes de freinage avec le garde-boue arrière qui fait office de frein posent des problèmes. Les patins arrière qui travaillent en pression usent asymétriquement la roue arrière, en particulier lors d'utilisation de matériaux tendres (polyuréthane mou). Plusieurs accidentés signalent n'avoir pu freiner, car, faute d'un revêtement antidérapant sur le dessus du garde-boue/frein, leur pied a glissé. Des freins à câbles, ou à patin-pression sur la planche d'appui, devraient être plus efficaces. A défaut, il faudrait choisir un frein arrière avec une surface antidérapante sur le dessus.
La qualité de fabrication est parfois insuffisante : des accidents sont en rapport avec des ruptures mécaniques de pièces (rupture d'axe de roues).
Pour toutes ces raisons, certains détails techniques peuvent améliorer la sécurité des trottinettes tout en conservant ce qui fait leur succès, la légèreté et le faible encombrement une fois pliées :
1. Une évolution vers des roues plus larges, de plus grand diamètre.
2. Un écartement plus long entre les axes de roues est souhaitable.
3. Un système de freins plus efficace.
4. Un système de pliage simple et fiable.
5. La suppression d'arêtes vives.
Le nombre d'utilisateurs mentionnant l'usage de leur engin sur la voie publique est certainement sous-estimé. Pour des raisons évidentes, il n'est pas aisé de reconnaître que l'accident a eu lieu sur la voie publique.
Il nous faut insister sur le réel problème que pose l'utilisation de ces engins sur la voie publique, en particulier à Lausanne du fait de sa déclivité attractive. Nos autorités sont parfaitement conscientes de cette situation, mais il est très difficile d'y remédier. Les méthodes répressives sont difficiles à mettre en uvre et inadaptées à la population concernée, attirée par le goût du risque et de l'interdit. Toutefois, l'âge moyen de la majorité des pratiquants est inférieur à celui que nous avions constaté pour les skate/rollers, et de ce fait les rendra probablement plus réceptifs aux campagnes de sensibilisation et de prévention qui s'organisent, comme celles de la brigade de prévention de la Gendarmerie cantonale vaudoise ou du Skate-Park de Lausanne (Skate Cool).
Il n'est pas possible de déférer à nos seules autorités la répression de cette pratique, et les parents doivent assumer leurs responsabilités. Lorsqu'un enfant ou un adolescent quitte son domicile avec sa trottinette, les parents doivent être conscients qu'il va l'utiliser sur la voie publique pour se déplacer. Quel que soit son niveau de compétence, s'il utilise la chaussée, le risque de collision avec une voiture est réel, et dans ce cas le «trottineur» est toujours perdant. De plus, les trottinettes peuvent atteindre des vitesses élevées et sont peu visibles, en particulier la nuit, ce qui ne permet pas aux véhicules de les voir à temps.
La trottinette n'est pas considérée comme moyen de transport. Une réflexion a lieu pour trouver des définitions, un statut et une place aux «nouvelles formes de mobilité sur l'espace routier public» (NFM = roller, skate-board, rollers-in-line, trottinettes, autres concepts à inventer). Mais à ce jour, du point de vue légal, la trottinette entre dans la catégorie des «jeux et sports sur la route» qui ne sont tolérés que sur les routes à faible circulation, et pour autant que les autres usagers ne soient pas gênés.
Par ailleurs, il est probable que l'usage de la trottinette génère un certain nombre de traumatismes dont nous ignorons l'importance, n'ayant pris en compte que la population pédiatrique dont nous nous occupons. Il serait pourtant utile de savoir combien de piétons ont été victimes de collisions, en particulier chez les personnes âgées. Rappelons encore que le «trottineur» est assimilé à un piéton du point de vue responsabilité civile. Les parents devraient se soucier de ce que leurs polices d'assurance couvrent bien les accidents potentiels générés par leurs enfants lors de l'utilisation de leur trottinette sur la voie publique.
Notre étude ne nous permet pas de préciser si les accidents concernent plus les débutants que les «trottineurs» expérimentés. Un nombre important d'accidents résultent de l'incapacité de freiner. Un apprentissage sur une surface protégée, par exemple sur une place de jeu, nous semble souhaitable. Nous avons constaté que beaucoup d'enfants et d'adolescents accidentés avaient connu un problème de freinage arrière. Si au dire des pratiquants, les performances varient beaucoup selon le choix du matériel, celui-ci influence également la solidité et la sécurité.
Quelles conclusions pouvons-nous tirer de cette analyse ? L'émergence de la pratique de la mini-trottinette a induit une
nouvelle traumatologie spécifique à cette activité, différente des lésions constatées par exemple en roller ou en skate-board. Cette traumatologie touche principalement la tête et en particulier la face, les membres supérieurs et en particulier les poignets et l'avant-bras, et dans une moindre mesure les membres inférieurs (entorses de la cheville).
L'efficacité des mesures de protection proposées pour les rollers a été démontrée.3,5 Il n'y a pas de raison qu'il n'en soit pas de même pour la trottinette. Logiquement, on devrait encourager la protection de la tête, mais comment imaginer le port d'un casque à trottinette, et quel casque ? Il devrait en tout cas comporter une protection de la face, peut-être du type casque de football américain ou de hockey. Le nombre de lésions dentaires fait suggérer que l'on pourrait imaginer l'usage de protège-dents, plus légers et plus petits que ceux qui sont utilisés dans la boxe par exemple. Le port de protège-poignets (attelles palmaires) pourrait théoriquement limiter les lésions des poignets, mais il y aurait lieu de vérifier qu'ils ne gênent pas la tenue du guidon, ce qui pourrait engendrer des chutes.
Par contre, le risque accidentel de la pratique de la trottinette sur la voie publique dans la circulation est intolérable, puisque cette pratique met en danger la vie des enfants et des adolescents, ou entraîne des lésions graves pouvant laisser des séquelles.