C'est une controverse passionnante et à haute valeur pédagogique qui vient de s'ouvrir en France autour du médicament, de son prix et de son usage, de son efficacité thérapeutique et de son utilité sociale. Tout a commencé avec la publication (initialement dans les colonnes du Monde en 1999 puis, ces derniers jours, dans celles des quotidiens Le Parisien et Libération ainsi, enfin, que via Internet) de la liste des 825 spécialités pharmaceutiques dont le «service médical rendu» est, aux yeux des experts français, suffisamment «faible» pour que l'on accepte de poser, simplement, la question de la nécessité de leur prise en charge par la collectivité au travers du système des caisses de sécurité sociale, voire des mutuelles complémentaires. Ces publications ont précédé de quelques jours l'annonce d'un nouveau «plan gouvernemental» du médicament, somme de mesures visant, une nouvelle fois, à tenter de réduire ce poste des dépenses de la Sécurité sociale sans pour autant nuire à la qualité de la prise en charge des malades.Question-clé : faut-il procéder au déremboursement des médicaments dont l'efficacité est loin, bien loin, d'être scientifiquement démontrée, ces médicaments qui sont dorénavant qualifiés d'«inutiles», les guillemets ne parvenant pas en l'occurrence à calmer l'ire des industriels concernés ? On confie, de bonne source, que les différents ministères en charge de ce dossier (emploi et solidarité, économie et finances, budget et industrie) ont, sur cette question, des positions très divergentes. Les étonnantes difficultés auxquelles se trouve confronté le gouvernement français trouvent leur origine dans une action fondamentale de rationalisation engagée en 1999 par Martine Aubry, alors ministre de l'Emploi et de la Solidarité. Il s'agissait alors d'en finir avec l'incohérence de la prise en charge des médicaments par la Sécurité sociale puisque, dans une même classe thérapeutique, certaines spécialités sont remboursées à 65%, d'autres à 35% tandis que d'autres ne le sont pas du tout. Comment s'opposer, disait-on alors, à une logique cherchant à faire que les taux de remboursement des médicaments soient une fois pour toutes fondés sur la qualité de leur «service médical rendu» (SMR) ?S'intéresser à un tel sujet c'est, immanquablement, chercher à comprendre pourquoi, en France, le prix de chaque médicament est le fruit complexe de différents facteurs prenant en compte la gravité de la maladie traitée mais aussi la résultante d'obscurs marchandages entre pouvoirs publics et industriels. Ainsi donc dans l'Hexagone tout allait pour le mieux ou presque dans le meilleur des mondes pharmaceutiques teinté de raison raisonnante. Le gouvernement avait demandé aux experts de la commission de transparence de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) de procéder à un «toilettage» progressif de l'ensemble de la pharmacopée française. Les experts de l'Afssaps ont depuis plusieurs mois achevé leur travaux. Ils ont aussi transmis aux pouvoirs publics une liste d'un peu plus de 800 spécialités à SMR hautement discutable et donc, corollaire, à remboursement problématique.On en était là de la problématique quand le gouvernement rendit publics ses arbitrages et le détail de mesures devant permettre d'obtenir, d'emblée, des économies annuelles comprises entre 2,2 et 2,5 milliards de francs pour un secteur correspondant à des remboursements de 95 milliards par les régimes d'assurance maladie. On découvrit alors bien vite que ce même gouvernement avait, en définitive, renoncé à prendre toute forme de mesures drastiques et spectaculaires concernant les fameux médicaments «inutiles» qui génèrent un chiffre d'affaires de l'ordre de 10 milliards de francs. Ces spécialités ne devraient faire l'objet que de mesures de baisse de prix qui devraient conduire à une économie globale, en année pleine, entre 800 millions et 1 milliard de francs. Chantage à l'emploi exercé auprès du gouvernement par les laboratoires directement concernés (souvent de petite taille et indépendants des multinationales pharmaceutiques) ? Impact politiquement négatif d'une mesure radicale de déremboursement de ces 835 spécialités ? Les responsables gouvernementaux français n'ont pas répondu. Pourquoi ?«Bienvenue aux demi-médicaments «insuffisants, toujours remboursés et, en plus, moins chers», créant un incroyable paradoxe thérapeutique qui incite à prescrire le moins efficace aux dépens des produits apportant un réel SMR ! s'étonne, avec virulence, dans les colonnes du Monde, le Pr Jean-François Bergmann, (service de médecine interne, Hôpital Lariboisière, Paris). Si l'on prend, par exemple, la classe des traitements de la diarrhée aiguë, on constate que les experts ont très légitimement considéré qu'aucun médicament n'apportait un SMR important car dans cette affection la seule décision importante est de prévenir et de traiter la déshydratation en maintenant des apports hydriques suffisants. Quelques médicaments apportent un SMR modéré puisqu'ils réduisent indiscutablement la durée de la période diarrhéique. En revanche, toute une série de probiotiques, levures, pansements digestifs, désinfectants intestinaux, enzymes et autres extraits microbiens n'ont jamais réussi à démontrer clairement leur efficacité clinique. Leur SMR est à l'évidence insuffisant mais les voilà pourtant remis en selle et remboursés à 35%. Fallait-il des dizaines d'experts et des milliers d'heures de travail pour en arriver là ?»Pour le Pr Bergmann, «l'enterrement des déremboursements» et la naissance des «démicaments» inefficaces mais remboursés ont des raisons politiques, économiques et de santé publique». «Politiquement, il ne faut pas choquer le consommateur bientôt électeur, écrit-il. Qu'il continue sa placebothérapie aux frais de la Sécurité sociale mais, s'il se réjouit des économies faites en diminuant certains remboursements de 65 à 35%, qu'il n'oublie pas que les mutuelles (donc lui) devront payer la différence». Pour l'auteur, l'avenir est, d'une part, à des médicaments innovants, coûteux, efficaces et bien remboursés et, d'autre part, à une automédication responsable avec des médicaments adaptés au traitement des affections aiguës bénignes. «Vouloir maintenir en survie artificielle les médicaments sans service médical rendu, c'est préférer le passé, dit-il. Combien d'années faudra-t-il encore attendre pour qu'ils comprennent ?» La question est posée.