De Platon à Spinoza et aux philosophes modernes, l'éthique est manifestement au centre des préoccupations humaines. Mais qu'est-ce que l'éthique ? L'éthique a-t-elle aujourd'hui le même sens que par le passé ? Existe-t-il une éthique différente en fonction des catégories de malades que nous avons à traiter ? Nous tenterons de donner une définition de l'éthique et rechercherons les bases historiques qui, en Europe et aux Etats-Unis, déterminent nos comportements dans ce domaine.Aujourd'hui, dans le monde occidental, l'intérêt de l'individu dépasse celui de la science et même celui de la société. L'éthique implique respect et attention pour les malades. L'obtention de leur consentement informé constitue la base éthique de toute action médicale. Cette approche est fragile. A tous les stades de la maladie, mais surtout dans les situations de fin de vie, chaque personne impliquée dans les soins aux malades doit être vigilante et résister aux dérives utilitaristes vers lesquelles nous poussent les contraintes économiques.Le concept d'éthique nous paraît à tous familier. Le mot est couramment utilisé dans des situations variées, on parlera d'éthique de la science, de la recherche, de la politique, des affaires, etc. Définir son contenu est plus difficile. Intuitivement, l'éthique est perçue comme un ensemble de règles qui permettent aux hommes de gérer harmonieusement leurs relations. Quelques phrases synthétiques de philosophes importants nous permettront de mieux cerner le problème. Le fondement de l'éthique est le contrôle des pulsions.1 C'est une attitude qui implique que l'homme a l'obligation d'agir d'une manière autonome et libre, et ne peut se définir par référence à une autorité suprême.2 Finalement, l'éthique c'est être responsable de l'Autre et ce n'est qu'au travers de cette responsabilité que l'homme accède à son humanité.3 Dans son essence, l'éthique est différente de la morale. L'éthique est ouverture sur soi-même et sur les autres, recherche sur soi-même. La morale apparaît plus liée à des règles sociales appelant à l'obéissance.Nos conceptions de l'éthique en médecine et dans la recherche clinique ont été fortement marquées par deux courants : celui des événements qui se sont passés en Allemagne sous le régime National Socialiste (Nazi) à partir de 1933 et pendant la Seconde Guerre mondiale, et l'évolution de la législation américaine en matière d'information au patient.De l'eugénisme au consentement informé en passant par la Déclaration d'HelsinkiAu début du vingtième siècle, les mouvements eugéniques fleurissaient en Europe et aux Etats-Unis. L'eugénisme plongeait ses racines dans la théorie de la sélection naturelle élaborée par Charles Darwin et appliquée à la société humaine. Cette théorie conduisit le régime Nazi à commettre, dès 1933, les pires exactions. Un programme d'hygiène raciale comportait la stérilisation de toute personne souffrant de troubles suspects d'être génétiquement déterminés comme l'alcoolisme, la cécité et la surdité congénitale, la chorée de Huntington, l'épilepsie, les troubles maniaco-dépressifs, la schizophrénie, la débilité mentale. Des tribunaux eugéniques ont été créés où les requêtes pour stérilisation étaient déposées. Au total, 1% de la population a été stérilisée. C'est en 1939 que Hitler, trouvant que la stérilisation n'était pas suffisamment expéditive, ordonna que certains médecins soient chargés d'administrer une mort «charitable» aux patients considérés comme incurables sur la base d'un simple examen clinique. Ce programme a commencé par des enfants que l'on a laissé mourir de faim ou de froid ou à qui l'on a administré divers agents chimiques. Plus de 5000 enfants ont été tués au cours de cette première phase. Le programme T-4 (pour Tiergarten Strasse 4) s'adressait aux adultes listés plus haut auxquels s'étaient ajoutées les personnes atteintes de sénilité, celles qui n'avaient plus d'emploi depuis plus de cinq ans et les homosexuels. La sélection des personnes était faite par un consultant psychiatre sur la base d'un questionnaire, sans voir la personne concernée. Il devait ainsi se prononcer sur environ 1500 dossiers par quinzaine. Au milieu des années 40, l'euthanasie faisait partie de la routine normale d'un hôpital. Plus tard, dans les camps de concentration, des expérimentations ont été menées au profit de l'armée : essais sur des prisonniers délibérément infectés par Rickettsia typhi, décompression rapide dans des simulateurs de haute altitude, immersion dans de l'eau glacée, ingestion d'eau salée, transplantation d'os, de muscles, d'articulations, traitement de brûlures causées par des bombes incendiaires, stérilité après irradiation.4,5,6Après la révélation de ces crimes, en 1945, au cours du procès de Nuremberg, le Code de Nuremberg a été établi. Ce code régulait pour la première fois l'expérimentation humaine. Il exigeait que l'expérimentation soit conçue de manière à générer des résultats utiles pour la société et non disponibles par d'autres moyens. Toute personne participant à une recherche clinique devait être dans la position d'exercer librement son choix. C'est en 1964 que l'Association médicale mondiale établit la première Déclaration d'Helsinki qui fait suite au code de Nuremberg et qui constitue actuellement la base des règles régissant la recherche biomédicale utilisant des êtres humains.7Aux Etats-Unis, les malades se sont trouvés protégés par une législation élaborée à la suite de procès pour négligence de la part de médecins. En 1957, l'affaire Salgo versus l'Université de Standford a été la base pour l'élaboration des premières directives relatives à l'information au malade : Salgo est devenu paraplégique à la suite d'une aortographie. Il n'avait pas été prévenu du risque encouru lors de cet examen pourtant de pratique courante. A la suite de ce procès, les médecins se sont trouvés obligés de révéler aux patients, soumis à des tests et des traitements relevant de la pratique journalière, toute l'information nécessaire à l'obtention de leur consentement informé.8Ce n'est qu'en 1966, à la suite d'un article publié par Henry Beecher dans le New England Journal of Medicine, rapportant 22 exemples d'études cliniques où la santé ou la vie des sujets a été mise en danger sans que ceux-ci aient été informés des risques encourus ou sans obtenir leur consentement, que l'obligation d'obtenir le consentement informé des patients pour toute étude clinique a été imposée par le législateur.9Un nouveau regard sur l'individuCes événements traduisent les changements profonds dans le regard que l'on a porté sur l'individu, en Occident, dans la seconde moitié du vingtième siècle. On est passé d'une situation où l'intérêt de la société domine, à une situation où l'intérêt de l'individu dépasse celui de la société et celui de la science. Nous ne pouvons que nous réjouir d'une telle situation en nous rappelant néanmoins qu'elle peut être fragile et qu'il existe de nombreux endroits dans le monde où l'intérêt des états prédomine et les droits de l'homme ne sont toujours pas respectés.Cette culture du respect de la personne trouve son expression la plus forte dans le consentement informé. Le consentement informé n'est pas simplement une obligation légale, n'est pas une simple signature qu'il faut obtenir au bas d'un document pour se protéger de poursuites judiciaires éventuelles. C'est une véritable tentative de générer chez le patient une réelle compréhension de la situation lui permettant de décider effectivement s'il accepte ou rejette ce qui lui est proposé. Cela implique que l'information est suffisante, qu'il la comprend et qu'il donne volontairement son consentement. La compréhension est liée tout autant aux capacités intellectuelles du patient, qu'à son état émotionnel et à la qualité de l'information fournie.10 Les enquêtes relatives aux capacités du patient à retenir l'information suggèrent que même après une information adéquate, standardisée, 20% des patients ne se souviennent pas de leur diagnostic et 40% ne peuvent donner une description correcte du traitement qui leur a été proposé.11 La façon dont l'information est rédigée joue un rôle crucial dans sa compréhension. La complexité des mots, la longueur du document vont avoir un impact inversement proportionnel sur sa compréhension.12,13Nous considérerons qu'un cancer avancé correspond à un stade de la maladie où la guérison n'est plus possible. Nous envisagerons successivement la situation où des traitements palliatifs peuvent encore être administrés y compris une chimiothérapie dans le cadre d'une recherche clinique et une période de fin de vie.Principes de la Déclaration d'HelsinkiQuelle que soit l'option thérapeutique, la Déclaration d'Helsinki (Edimbourg, octobre 2000) doit rester le fondement de notre attitude vis-à-vis du patient. Les textes sont sans ambiguïté et permettent de guider notre attitude par rapport au malade, aux protocoles et aux procédures.Pour le malade, la Déclaration d'Helsinki considère que la santé du patient doit être le souci premier de l'investigateur (article A,3), que la santé du patient ne doit pas être mise en danger (article A,2), que le bénéfice du traitement doit dépasser le risque (article B,6), que le patient doit être protégé (article A, 8).Le protocole doit être soumis à un comité d'éthique indépendant (article B,13). Une nouvelle méthode doit toujours être testée par rapport à la meilleure méthode prophylactique, diagnostique ou thérapeutique connue (article C,29). Dans les études où aucune méthode n'est prouvée efficace, l'emploi du placebo est autorisé (article C,29) et à la conclusion de l'étude, chaque patient doit être assuré de recevoir la meilleure méthode identifiée (article C,30).Finalement, en ce qui concerne les procédures, la personne se prêtant à la recherche doit être informée de manière appropriée (article B,22) et la confidentialité de ses données personnelles doit être respectée (article B,21).4Difficultés de la mise en pratiqueCes principes sont-ils effectivement respectés ? Oui en ce qui concerne les études cliniques destinées à l'enregistrement des nouveaux médicaments. Les implications financières sont considérables, les études destinées à l'enregistrement sont auditées par des organismes indépendants, voire par les autorités d'enregistrement et les règlements sont le plus souvent appliqués avec une extrême minutie. L'information au patient, essentielle dans cette approche respectueuse de la personne reste difficile. Les documents sont complexes, l'information tend surtout à être complète, ce qui en soi est un bien, mais seuls des experts peuvent en comprendre le contenu. La compréhension réelle des malades est mal évaluée et leur réelle liberté de choisir invérifiable. Si l'information écrite est une obligation légale, l'information orale apparaît comme essentielle à une meilleure compréhension.10Lors des travaux préparatoires aux derniers amendements de la Déclaration d'Helsinki (Edimbourg 2000), on a vu apparaître des propositions de modification dont les bases étaient plus utilitaristes qu'éthiques. Ces propositions de changement ont fait l'objet de controverses animées sur l'internet et dans les journaux médicaux14 conduisant finalement à leur rejet.L'éthique, cette relation que l'on tente d'établir dans le respect du malade se joue à plusieurs : la société qui définit la place de l'individu, la structure médicale qui se doit de veiller au maintien des règles fondamentales qui régissent l'éthique, les médecins qui doivent apprendre à laisser, à tout moment, une place permettant au patient d'intervenir dans les décisions, le patient lui-même qui doit apprendre à identifier ses besoins, à les exprimer et à exiger leur respect. Cette situation peut basculer lorsqu'on se trouve dans la situation du malade en phase terminale. Des malades terminaux peuvent nécessiter des soins supportifs d'une intensité qui peut rivaliser avec les efforts fournis dans une situation curative (intubation endotrachéale prolongée, ventilation mécanique, dialyse, etc.). A ce stade, néanmoins, les malades peuvent être moins attentifs à revendiquer le droit de participer aux décisions qui les concernent. Ils peuvent perdre leur capacité de décision en raison de l'évolution de la maladie, de l'effet des médicaments ou pour des raisons psychologiques (dépression, relations familiales complexes). Pourtant plus que jamais, le patient à ce stade doit avoir le droit de faire ses propres choix et être protégé contre des traitements médicaux invasifs, non souhaités. Paradoxalement, c'est aussi dans ces situations que les médecins peuvent avoir des difficultés à maintenir une approche éthique. Ils peuvent même avoir des difficultés à arrêter les examens et les traitements quand la situation du malade est sans espoir. Ne rien faire peut paraître insupportable. Le patient ayant plus de difficulté à s'exprimer, le médecin en arrive à mal interpréter ses désirs et à avoir tendance à revenir vers une attitude plus paternaliste, décidant seul sans l'intervention du patient.15L'euthanasie : un sujet controverséL'euthanasie reste un sujet très controversé. L'euthanasie n'est pas en soi un problème éthique. Elle soulève la question du quand et du comment mourir. La mort, elle, est un problème de société. C'est la société qui décide comment gérer la mort, c'est elle qui au travers des rituels qu'elle s'est choisis donne un sens à l'événement et par là, le réintroduit dans la vie. L'euthanasie telle que le monde occidental la propose sort des normes sociales traditionnelles. On retrouve l'idée d'une prééminence de l'individu qui non seulement s'arroge le droit de décider ce qu'il doit faire de sa vie mais veut aussi décider quand et comment il va mourir. C'est l'étape ultime sur le chemin de la liberté individuelle. La société devra décider si elle peut l'accepter. Si oui, ce sera à nous, médecins, d'intégrer cette attitude dans notre vie professionnelle et apprendre à la gérer. Les demandes d'euthanasie sont accompagnées d'une forte prévalence de troubles dépressifs, de fatigue, de détresse physique. Les exemples sont nombreux où une intervention médicale adéquate calmant la douleur, corrigeant l'anémie et la fatigue qui en résulte, luttant contre la dépression a permis de post-poser ce désir d'une mort accélérée. Nous avons peur des dérives, peur de provoquer la mort chez un patient qui ne la souhaite pas vraiment, qui pourrait revenir sur sa décision ou dont la situation qui motive sa demande d'euthanasie est réversible. Il n'y a pas de recette, il n'y a pas de guide des bonnes pratiques. En toute connaissance de ce que nous pouvons faire pour soulager les symptômes, nous devrons apprendre pour chaque malade à reconnaître, dans le respect, l'attention, l'écoute, le dialogue, le moment où il souhaite que sa route se termine.ConclusionL'éthique implique le respect et l'attention pour les autres. L'éthique est fragile, elle requiert que chaque médecin et chaque personne impliquée dans les soins aux malades soient vigilants et résistent aux dérives utilitaristes auxquelles nous incitent les pressions économiques. A tous les stades de la maladie, nous devons essayer d'augmenter le poids éthique de nos attitudes. W