Mercredi 6 juin. Au vu des dernières informations en provenance de Grande-Bretagne, on a, brutalement, le sentiment de régresser sinon dans la prise de conscience du moins dans la mise en uvre d'une réelle politique de santé publique. Alors que le premier ministre Tony Blair s'apprête à une royale réélection, des scientifiques britanniques viennent de réclamer «un examen urgent» des risques de contamination, par l'agent de la maladie de la vache folle, de viandes saines vendues à la population après que les bêtes ont été tuées dans certains abattoirs du pays. Dans un rapport cité aujourd'hui en page 2 par The Times et The Independant, des experts de la Royal Society et de l'Academy of Medical Sciences ne cachent pas leurs inquiétudes. Selon eux, le risque émanerait de pratiques mises en uvre dans les abattoirs chargés d'abattre des bovins apparemment sains âgés de moins de trente mois dont la viande est ensuite commercialisée mais aussi des bêtes âgées de plus de 30 mois et, à ce titre, interdites à la consommation depuis l'été 1996.L'Agence britannique pour la sécurité alimentaire (Food Standards Agency, FSA) a immédiatement annoncé qu'elle allait lancer une enquête à la suite de ce rapport. A Londres comme ailleurs, mieux qu'ailleurs peut-être, on sait que pour prévenir tout risque de contamination des viandes saines, ces deux types d'opération doivent impérativement être séparés. Les règles européennes en vigueur précisent d'ailleurs les conditions de cette étanchéité. Les experts britanniques jugent aujourd'hui que les conditions d'hygiène ne sont pas suffisantes. «Quand l'abattage concerne des bêtes de plus de 30 mois pouvant être infectées par l'ESB, il faudrait établir de façon formelle que les plans de travail et le matériel des abattoirs ne restent pas contaminés après les procédures habituelles de nettoyage et de stérilisation, a expliqué Brian Heap, vice-président de la Royal Society. Pour l'instant, ce n'est pas le cas». Il a de ce fait réclamé «un examen urgent» de la situation.Faut-il, une nouvelle fois, s'inquiéter ? La FSA, indépendante mais rassurante, précise que sur les 394 abattoirs que compte le Royaume-Uni, il n'y en a que huit qui «traitent» à la fois des animaux destinés à la consommation humaine et des bêtes de plus de 30 mois susceptibles d'être porteuses de l'ESB. De plus, souligne la FSA, ces huit abattoirs «mixtes» sont fermés depuis le 23 février dans le cadre des restrictions liées à l'épizootie de fièvre aphteuse. «Il existe des règles strictes pour éviter une contamination croisée mais celles-ci doivent maintenant être réexaminées à la lumière de ce nouveau rapport» déclare toutefois John Krebs, le président de la FSA. C'est la seule façon d'évaluer l'ampleur du risque potentiel. La Royal Society dit clairement qu'à son avis il s'agit d'un risque théorique, mais nous devons le prendre au sérieux. Nous voulons mener à bien notre examen avant que ces abattoirs mixtes reprennent leurs activités». Le rapport des experts britanniques met également en garde contre les quelque 430 000 tonnes de viande potentiellement infectées, actuellement stockées dans des hangars britanniques dans l'attente d'être brûlées : «il existe toujours un danger d'extension dans l'environnement à travers les petits rongeurs».L'histoire de la vache folle, en Grande-Bretagne comme ailleurs, cela aura été aussi celle des abattoirs, ces espaces interdits au citoyen, ces concentrés industriels de morts bovines, ces zones carcassières de découpe productiviste dans lesquelles, bien tardivement, les mesures de prévention dictées par les experts des maladies à prions ont pu commencer à être mises en uvre. Abattoirs qui ont dû apprendre à tuer autrement, à identifier et à exclure une liste croissante d'abats potentiellement contaminés et à adresser une fraction animale jadis consommée vers l'industrie des transformateurs en farines, ces derniers devant à leur tour, au lieu de recycler, se tourner vers des cimentiers destructeurs de farines.Tout cela ne pouvait sans doute se faire en un jour. Mais comment comprendre qu'aux marches de l'été 2001 la Grande-Bretagne n'ait pas encore pu faire la lumière dans ses propres abattoirs ? Comment accepter qu'outre-Manche, on en soit toujours, cinq ans après l'annonce de la transmission à l'homme, à des atermoiements d'un autre âge ?Tout se passe comme si la Grande-Bretagne se refusait encore à prendre la mesure du risque. Ou, plus exactement, comme si de puissants mécanismes de refoulement étaient en action pour faire l'économie de l'angoisse de la catastrophe annoncée. Mais tout cela doit-il conduire à ne pas mettre en uvre une véritable politique de précaution afin, précisément, de réduire fusse à la marge la taille de cette catastrophe ?A Prague, les autorités tchèques viennent de confirmer l'existence du premier cas d'encéphalopathie spongiforme bovine en République tchèque. Il s'agit aussi du premier cas hors d'Europe occidentale. A Hong Kong, une femme ayant vécu en Grande-Bretagne pendant plusieurs années est, dit-on, probablement atteinte de la forme humaine de la maladie. Cette femme âgée de 34 ans, qui se trouve dans un état grave, présente les mêmes symptômes du variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob que ceux déjà répertoriés en Grande-Bretagne, vient d'affirmer le Dr Donald Lyon de l'hôpital Prince of Wales de Hong Kong. Si ce diagnostic devait être confirmé, ce serait probablement le premier cas de cette maladie en Asie, a ajouté ce médecin, précisant qu'elle était rentrée malade du Royaume-Uni. Toujours selon le Dr Lyon, la jeune femme a probablement contracté la maladie en mangeant du buf contaminé lors de son séjour en Grande-Bretagne. Cette Hongkongaise a vécu en Grande-Bretagne entre 1985 et 1992, puis de 1997 à avril 2001, avant d'être admise à l'hôpital en raison de dépression et de perte de mémoire. A Paris, une conférence internationale sur la maladie de la vache folle va s'ouvrir dans quelques jours sous la triple égide de l'Office international des épizooties, de la FAO et de l'OMS.