L'efficacité médicale est incontestablement très grande dans le diagnostic et le traitement des situations aiguës ou subaiguës, il n'en est pas de même au niveau de la qualité des soins dans la chronicité. C'est la gestion de la monotonie, issue de la chronicité qui nécessite une nouvelle approche et le développement de nouveaux savoir-faire, que les médecins doivent acquérir pour améliorer la qualité des soins.Deux grands secteurs sont apparus : l'éducation thérapeutique des malades et les stratégies de suivi à long terme. L'Organisation mondiale de la santé, consciente de cette situation, a chargé différents groupes d'experts de rédiger un rapport. Les points qui sont présentés dans cet article font état des problèmes rencontrés et des solutions proposées dans le but de rendre la formation médicale plus pertinente et mieux adaptée aux problèmes des maladies chroniques et des besoins des patients.
En question : la qualité de la prise en charge des malades chroniques
Dans les pays industrialisés, l'efficacité de la médecine diagnostique et de la médecine aiguë, est reconnue et encouragée. Dans le même temps, la prise en charge à long terme des malades chroniques laisse souvent à désirer, car elle reste le parent pauvre de la médecine.
De nombreuses études sur la compliance montrent que l'adhésion thérapeutique des malades est loin d'être optimale alors que pour soigner, le médecin dispose d'un arsenal médicamenteux impressionnant. Selon les études, entre 30 et 70% des patients prennent mal, voire arrêtent leur traitement.1,2
L'Organisation mondiale de la santé (OMS), consciente de cette situation, a chargé différents experts d'en analyser les causes.3 L'une d'entre elles est le manque d'information du malade, cause qui peut sembler paradoxale à une période de sur-information médiatique sur la maladie et la santé.
Or le malade a plus besoin d'apprendre à gérer son traitement que de recevoir des informations données sur la maladie qui ne garantissent pas que patient a appris à se traiter et qu'il va suivre son traitement.
La prise en charge des malades chroniques a été caractérisée par quelques étapes qui ont toutes permis l'amélioration du rapport entre le patient et son médecin. Dans les années 50, c'est l'espace «médecin-malade-maladie» qu'a analysé Michael Balint.4
Puis c'est l'espace de la psychologie du malade avec sa maladie avec les travaux de Kubler-Ross.5 Dans les année 70, l'éducation du patient a été démontrée dans le diabète sucré et a permis d'améliorer l'efficacité thérapeutique d'une manière impressionnante (diminution de 80% des comas, de 75% des amputations, etc.).6,7 Bien qu'un rapport optimal soignants-soignés et une formation du malade soient déterminants, une troisième dimension apparaît de plus en plus fondamentale dans le domaine de la qualité des soins : c'est l'organisation du suivi du malade chronique.8
Ces différentes dimensions thérapeutiques se sont complétées au cours de ces cinquante dernières années. Dans un ordre chronologique, la prise en charge optimale des malades centrée au niveau bioclinique s'est ouverte aux dimensions psychosociales, puis s'est élargie aux dimensions pédagogiques. Plus récemment s'est rajouté l'organisation, le concept du management du suivi médical.
Les domaines psychosociaux, pédagogiques et de management sont complexes et ne peuvent être abordés avec efficacité que par une formation spécifique complémentaire des médecins.
La qualité des soins dans les maladies chroniques dépend directement de la capacité des patients à gérer quotidiennement leurs maladies. Peu de soignants ont été formés à l'éducation thérapeutique du patient et à l'organisation des soins de longue durée.
Pourtant les patients reconnaissent que les soignants formés à ces compétences pédagogiques contribuent ainsi à :
I l'amélioration de leur qualité de vie et à un meilleur contrôle de la maladie dans la durée ;
I l'amélioration de la qualité des soins en période de crise aiguë.
Selon l'OMS,3 l'éducation thérapeutique du patient se caractérise par quatre axes :
1. Acquérir et conserver des compétences qui aident les malades à vivre de manière optimale leur vie quotidienne avec leur maladie.
2. L'éducation thérapeutique est un processus continu intégré tout au long des soins. Il est centré sur le porteur de la maladie.
3. L'éducation thérapeutique implique des activités de sensibilisation, d'information, d'apprentissage de l'autogestion et de soutien psychologique, concernant la maladie et le traitement.
4. L'éducation thérapeutique vise à aider les patients et leurs familles à coopérer avec les soignants afin de vivre plus sainement et à maintenir ou à améliorer leur qualité de vie.
L'éducation thérapeutique du patient est un processus d'apprentissage systémique, centré sur le patient, le porteur de la maladie. Elle prend en considération notamment :
1. Les processus d'adaptation du patient avec sa maladie (coping).
2. Ses croyances et ses représentations concernant sa maladie et son traitement.
3. Les besoins subjectifs et objectifs des patients et de leurs familles, qu'ils soient ou non exprimés.
Il s'agit d'un processus de soins permanent qui doit être adapté à l'évolution de la maladie et au mode de vie du patient. Elle fait partie de la prise en charge à long terme. L'éducation thérapeutique doit être structurée, organisée, et bénéficier de moyens éducatifs appropriés. Elle est multiprofessionnelle, interdisciplinaire et intersectorielle. Elle inclut le travail en réseau.
L'OMS a défini une liste de soixante maladies chroniques ou état du malade, où l'efficacité du traitement est déterminée par le degré de formation thérapeutique du malade. En voici quelques exemples à travers de grandes pathologies :
I affections gynécologiques ;
I affections liées au cycle de vie (par exemple : grossesse, pédiatrie, gériatrie) ;
I comportement addictif (par exemple : alcool, tabac) ;
I conséquences d'interventions chirurgicales (par exemple : stomies, amputations) ;
I maladies cardiovasculaires ;
I maladies infectieuses (par exemple : sida) ;
I maladies métaboliques (par exemple : diabète, obésité) ;
I maladies neurologiques (par exemple : épilepsie ou maladie de Parkinson) ;
I maladies oncologiques (par exemple : cancer) ;
I maladies ophtalmologiques et ORL (par exemple : cécité, surdité) ;
I maladies osseuses (par exemple : ostéoporose) ;
I maladies psychiatriques (par exemple : dépression, schizophrénie) ;
I maladies pulmonaires (par exemple : asthme bronchique, BPCO) ;
I maladies rhumatismales (par exemple : maux de dos, PCE).
Des programmes de formation de malades existent ça et là. Malheureusement, la plupart d'entre eux sont issus d'initiatives locales, développées d'une manière intuitive, liées à des soignants charismatiques, et cessent souvent avec leur départ. Afin de remédier à cet état de chose, la Faculté de médecine de Genève, en collaboration avec les facultés de médecine de Paris 13 et de Bruxelles, a développé des programmes de formation de personnels soignants dans le domaine de l'éducation thérapeutique des malades. Un total de près de trois cents médecins et autres personnels soignants ont déjà été diplômés dans le cadre de ces formations.
En ce qui concerne la formation médicale helvétique, différents certificats de capacité sont développés par la FMH, d'autres sont en voie de développement. L'éducation thérapeutique du malade devrait également suivre cette mouvance.
Bien que l'éducation thérapeutique ait pris racine principalement dans le diabète sucré,9 le traitement de l'asthme en a aussi bénéficié (fig. 1).10
La notion de continuité à travers la durée de la maladie est le fil conducteur des soins. Afin de mieux prendre conscience de cette notion de durée, on assiste actuellement en médecine à de nombreux travaux qui cherchent à cerner les caractéristiques du suivi à long terme. Une attention particulière est apportée aux difficultés rencontrées par les soignants qui doivent s'astreindre à ce mode de prise en charge des malades.
L'OMS a mandaté un groupe de vingt-cinq médecins et autres soignants venant de douze pays européens, tous impliqués dans le suivi à long terme de patients chroniques avec pour mission d'élaborer un document sur le long terme. Ils ont défini, à partir de leur expérience, un éventail des difficultés rencontrées et ont formulé des recommandations pour les aborder. Les plus importantes de ces difficultés sont les suivantes :
1. Les systèmes de santé non adaptés au suivi de patients atteints de maladies chroniques.
2. Comment motiver les malades à adhérer à leur traitement ?
3. Comment motiver les soignants à adapter leurs compétences aux besoins des malades ?
4. Comment promouvoir la pluridisciplinarité et fonctionner dans un réseau de soins ?
5. Quelles sont les caractéristiques du suivi à long terme ?
6. Comment former un malade à mieux gérer sa maladie ?
7. Quelle formation donner dans le domaine de l'approche psychosociale ?
8. Quelle formation assurer pour les stratégies de suivi à long terme ?
De ces différents points, nous allons brièvement traiter les thèmes 1, 5 et 8.
Même pour les maladies de longue durée, l'approche traditionnelle de la médecine est toujours basée sur le modèle de prise en charge aigu qui gère une seule entité médicale.11Dans les affections chroniques cette démarche ne peut pas être prise comme référence. De plus, les décideurs de santé doivent accepter qu'il y ait un nombre croissant de patients qui souffrent d'affections qui ne peuvent pas être guéries et qui obligent les soignants à réorganiser les priorités et les moyens dans ce secteur. Par exemple, le diabète, l'obésité, la gériatrie, sont toutes des situations qui présentent de nombreuses comorbidités tant au niveau biologique que social. Une réorganisation des priorités et des ressources, au niveau formation, prestations médicales et recherche psychosociale, doit absolument être développée sans délai.
La formation médicale actuelle ne tient pas suffisamment compte de ces impératifs démographiques nouveaux. Il est donc indispensable que les soignants acquièrent connaissances, savoir-faire et attitudes nécessaires à ce type de suivi.12 Les dimensions psychosociales du patient sont la clé de voûte de la qualité du suivi à long terme. Différentes connaissances et savoir-faire doivent absolument être maîtrisés par les soignants tels que les croyances de santé, les valeurs attribuées par le patient à sa maladie et à son traitement, le degré d'acceptation de la maladie et le grand secteur de la résilience, c'est-à-dire les capacités que chaque individu a de se développer malgré son handicap et la capacité que le soignant a d'incorporer la famille au processus de suivi.
Pour arriver à développer ce changement, il est important que les soignants puissent démontrer les bénéfices de cette nouvelle démarche thérapeutique et qu'en même temps ils aient les capacités de promouvoir cette démarche de soins.
Repenser le suivi à long terme, signifie :
I analyser la pratique médicale actuelle, grâce à des recherches sur le terrain ;
I traduire les résultats de cette recherche en une action de formation et de changement qu'il faut à nouveau analyser ;
I faire connaître les résultats d'une part auprès des décideurs, d'autre part auprès des patients ;
I impliquer ces décideurs afin qu'ils redistribuent les ressources ;
I développer des programmes de formation pour les équipes soignantes et pour les malades afin que le suivi soit réellement centré sur les besoins de la personne malade.
Afin de respecter les dimensions biocliniques et psychosociales liées à chaque patient,11 il apparaît indispensable de développer des activités qui satisfassent les différents secteurs impliqués dans la prise en charge globale du malade. Elles peuvent être divisées en différents sous-systèmes qui sont énumérés plus loin. L'individu peut être considéré comme l'élément le plus complexe du sous-système bioclinique et comme l'unité élémentaire du système psychosocial. Ces différents sous-systèmes peuvent fort bien être abordés progressivement tout au long du suivi à long terme d'un patient. Au cours des différentes consultations, une série d'interventions du médecin permet d'ouvrir un dialogue avec le malade. En un à deux ans, le médecin peut aborder d'une manière globale un patient, en consacrant un peu de temps (5 à 10 minutes par consultation) à chaque sous-système. Le patient doit absolument être considéré comme l'expert principal de son suivi à long terme et de sa maladie.
Dans l'idée de favoriser les soins intégrés de patients atteints de maladies chroniques, une réorganisation des visites médicales doit être mise en place.
Un suivi à long terme actif, centré sur le patient (et pas seulement centré sur la maladie) doit prendre en compte les objectifs psychosociaux, culturels, sociaux et éducationnels.
Le défi réside dans le fait de les inclure simultanément avec les objectifs biomédicaux. Alors que l'activité médicale quotidienne est en permanence désorganisée par mille et uns petits événements, il est cependant possible de gérer chez un malade donné l'ensemble de ces objectifs au cours d'un suivi sur plusieurs mois.
Pratiquement, ces objectifs disséminés dans les sous-systèmes des mondes biologique et psychosocial, peuvent être décrits comme suit :
1. Etablir le bilan médical.
2. Expliquer les raisons des examens.
3. Effectuer les analyses de laboratoire, radios, ECG, etc.
4. Expliquer leurs résultats au patient.
5. Discuter les raisons du traitement avec le patient.
6. Expliquer la posologie et les modalités de prise du médicament.
7. Expliquer au patient comment le médecin évaluera les effets du traitement.
8. Expliquer au patient ce qu'il peut évaluer lui-même.
9. Evaluer les effets du traitement avec le patient.
10. Demander au patient s'il rencontre des difficultés pour suivre son traitement.
11. Discuter avec lui de solutions possibles pour améliorer l'adhésion au traitement.
12. Evaluer les effets de ces nouvelles solutions.
1. Comment le patient a-t-il réagi à l'annonce de son diagnostic ?
2. Vivre avec sa maladie : discuter avec le patient pour savoir comment il s'y prend (coping).
3. Comment le patient trouve-t-il l'énergie nécessaire pour suivre son traitement jour après jour (motivation/empowerment) ?
4. Quels sont les espoirs et les craintes du patient ?
5. Comment le patient a-t-il réagi devant le type de traitement qu'il a reçu ? A-t-il d'autres propositions à faire (croyances de santé) ?
6. Comment le patient définit son rôle et celui de l'équipe médicale (locus of control) dans la gestion de son traitement ?
1. Comment la famille ou la plus proche autre personne importante, réagit-elle à la maladie ?
2. Ces personnes ont-elles reçu des informations ou un cours sur la gestion de la maladie de leur proche ?
3. Comment contribuent-elles à l'amélioration de la qualité de vie de leur proche ?
1. Comment la maladie interfère avec l'activité professionnelle ?
2. Qui est au courant de la maladie du patient à son travail ?
3. Dans ce cas, quels arrangements ont été pris avec l'employeur ?
1. Comment la maladie et son traitement interfèrent avec la vie sociale ?
2. Quelle est l'attitude de la société par rapport à sa maladie (croyance de santé sociale) ?
1. A t-il été formé pour la gestion de sa maladie ?
2. Comment gère-t-il les crises aiguës de sa maladie (hypoglycémies, crise d'asthme, etc.) ?
3. Quelles solutions choisit-il pour mieux gérer son traitement ?
C. Quelles formations pour le suivi à long terme ?
Les médecins doivent garantir l'excellence des dimensions biocliniques. Mais leur rôle dans la gestion du suivi à long terme doit absolument se centrer sur des aspects psychosociaux liés au vécu du malade avec sa maladie et également au savoir-faire qu'il doit développer pour gérer son traitement. Au niveau de la formation prégraduée, une sensibilisation à ces domaines est indispensable, mais c'est principalement au niveau de la formation post-graduée et continue qu'il faut agir.
Les thèmes à enseigner peuvent être classés selon quatre axes qui sont tous liés :
1. Les systèmes de santé
I le suivi à long terme est une démarche totalement différente de celle du traitement médical des crises ;
I comment promouvoir et fonctionner dans un système pluridisciplinaire ?
I informer et faire prendre conscience au public en général de la problématique des maladies chroniques ;
I comment modifier les systèmes de santé actuels pour les adapter aux problèmes des patients atteints de maladies chroniques ?
2. La gestion du long terme
I promouvoir l'éducation thérapeutique du malade ;
I ne pas banaliser le début de la prise en charge d'un patient chronique ;
I structurer le long terme pour que les différentes composantes de l'approche globale y soient respectées ;
I soutenir le malade dans sa motivation à se soigner ;
I motiver l'équipe soignante à rester attentive tout au long du suivi ;
I quelles recherches développer dans l'évaluation du long terme ?
3. Un suivi centré sur le patient
I considérer le patient comme «expert» dans l'organisation du suivi ;
I tenir compte des représentations et des croyances du patient sur sa maladie et son traitement ;
I tenir compte de la vie quotidienne du patient dans les stratégies de traitement ;
I tenir compte de l'expérience du patient sur sa maladie et son traitement ;
I renforcer la collaboration entre le patient, sa famille et les soignants ;
I tenir compte des liens existant entre la maladie, la famille et l'activité du patient.
4. L'approche globale
I que veut-on dire par évaluation de l'approche globale des soignants ?
I organiser la formation des soignants dans le domaine bio-psychosocial du patient chronique ;
I la formation des soignants dans la gestion du long terme ;
I comment aborder le problème du burn-out des soignants ?
Dans le suivi à long terme, il est significatif que ces quatre grands axes soient tous interdépendants et que chacune de leurs caractéristiques soit liée aux autres dans un fondu-enchaîné. Cette observation rend la recherche, aussi bien que la formation des soignants et l'organisation du suivi du patient extrêmement difficile à aborder d'une manière segmentaire et spécifique. En effet à quel moment le soignant fait-il uniquement de la pédagogie, ou agit-il au niveau de la psychologie du patient ? Le contrôle biologique de la maladie chronique ne peut être isolé de ces deux pôles, comme il peut l'être à l'inverse, lors d'une intervention de crise médicale aiguë.
Complexité, interdépendance, difficultés d'analyse sectorielle spécifique liées à cette interdépendance, sont les points cardinaux du suivi à long terme. De plus, les rôles des intervenants, qu'ils soient médecins, infirmières ou patients, prennent des dimensions toutes différentes que lors des situations aiguës. Comme hélas l'acquisition des savoir-faire médicaux se fait encore principalement dans les structures hospitalières, on comprend l'importance de restructurer la formation des médecins autour des stratégies de suivi à long terme des patients atteints de maladies chroniques. Quatre-vingt pour cent des consultations médicales ambulatoires sont concernés par des affections de ce type. La maladie chronique n'est pas une banalisation des crises aiguës, elle nécessite une grande expertise, et même un savoir-faire beaucoup plus étendu pour les soignants qui s'occupent de ce secteur des soins. Il est significatif que l'Organisation mondiale de la santé investisse dans cette dimension des soins qui est encore trop négligée par les organes de formation médicale, les politiciens de la santé, et les assureurs.