Le développement de l'éducation du patient constitue, depuis une vingtaine d'années, une évolution marquante dans le domaine des soins aux personnes atteintes de maladies chroniques. Elle offre une véritable valeur ajoutée aux traitements. Les médecins sont obligés d'apprendre cette nouvelle forme de prise en charge par la pratique clinique directe avec les patients atteints de maladies chroniques. Or, la prise en charge de ces malades reste insatisfaisante. L'OMS souligne la nécessité de former les praticiens à l'enseignement thérapeutique du patient. Le Diplôme de formation continue en éducation thérapeutique du patient de la Faculté de médecine de Genève s'adresse aux soignants des différentes spécialités médicales. Il tente de répondre, autant thématiquement que pédagogiquement, au défi de l'accompagnement du patient sur le long terme.
Le développement de l'éducation thérapeutique du patient constitue, depuis une vingtaine d'années, une évolution marquante dans le domaine des soins puisqu'elle sonne le glas d'une approche exclusivement biomédicale de la santé et de la maladie. A ce titre, elle a permis d'enrichir considérablement la prise en charge des patients atteints de maladie chronique et constitue indéniablement la valeur ajoutée aux traitements.1 La nécessité d'éduquer les patients à la prise en charge de leur traitement place cependant le médecin dans une position inhabituelle, différente de celle qu'il occupe dans une pratique aiguë et pour laquelle il n'a pas été préparé au cours de ses études. Il est en conséquence obligé d'apprendre cette nouvelle forme de prise en charge par la pratique clinique directe avec les patients atteints de maladies chroniques.Les pratiques de formation continue des médecins doivent s'inspirer de cette difficulté, autant dans le contenu qu'elles abordent que dans la forme qu'elles donnent à leurs programmes. Cet article a pour objectifs de décrire les enjeux auxquels les médecins sont confrontés dans la prise en charge des patients atteints de maladies chroniques et de montrer comment ces enjeux sont intégrés dans un programme de formation continue.
L'apprentissage que le patient atteint de maladie chronique doit accomplir ne porte pas sur un domaine qui lui est extérieur mais qui le concerne au plus près, qui touche à son corps, à son intégrité, à son existence même. Pour apprendre à se soigner lui-même, à assurer sa surveillance et à ajuster son traitement à sa vie quotidienne, le patient doit devenir sujet de son processus d'apprentissage.2 Former les patients à la gestion de leur traitement requiert donc des médecins qu'ils établissent une relation de partenariat avec les patients dans le but de favoriser le développement de l'autonomie de ces derniers. L'observation montre que l'éducation des patients est souvent perçue par les médecins comme un plus venant enrichir leur pratique médicale. Les fondements de leur pratique restent pourtant souvent inchangés. La façon qu'ont les médecins de concevoir et de s'approprier l'éducation du patient relève du cadre de référence biomédical auquel ils ont été formés pendant leurs études. Ce cadre de référence ne favorise pas le développement d'un rapport d'adulte à adulte indispensable pour encourager le processus d'autonomisation des patients.
Les responsables de programmes de formation continue doivent s'interroger sur la façon dont les médecins ont appris à prendre soin des patients chroniques de manière à les accompagner de façon adéquate. Puisque le médecin développe ses compétences quasi exclusivement par la pratique clinique directe avec les patients, il nous a semblé important d'explorer cette modalité d'apprentissage par l'expérience pour l'intégrer dans notre programme de formation continue.3
Les médecins qui entreprennent le Diplôme de formation continue en éducation thérapeutique du patient (DIFEP) arrivent avec un questionnement. Ils ont déjà fait des expériences, ont été confrontés au patient atteint de maladie chronique. Ils cherchent des ressources professionnelles ; ils cherchent également à être légitimés dans une démarche qu'ils sont en train de faire dans leur cheminement professionnel. Cette démarche sous-entend trois types de ruptures avec leur cadre de référence biomédical initial : une rupture identitaire, une rupture dans la façon de concevoir sa mission professionnelle et une rupture dans la façon de concevoir la formation et l'apprentissage. Ces médecins ont déjà «bougé» : ils ont accepté l'idée, non pas de délaisser le champ de la chronicité, mais au contraire de s'en saisir. S'il n'est évidemment pas question de quitter l'approche biomédicale pour aller vers les sciences humaines, le médecin qui suit des patients chroniques va devoir accepter l'idée de désapprendre des réflexes conditionnés et des attitudes spontanées. Enjeu identitaire donc, mais enjeu social aussi puisqu'en se décalant de la pratique médicale classique et valorisée, le médecin prend le risque de ne plus se reconnaître et de ne plus être reconnu par ses pairs.4
Face à un patient atteint d'une maladie chronique, les médecins se rendent compte rapidement qu'il n'ont pas les outils, pas l'attitude, pas le bagage expérientiel qui leur permettent d'accompagner les patients. Ils se posent des questions de fond sur leur mission thérapeutique et sur leurs compétences. Ils revendiquent leur identité de médecin mais dans le même temps, l'exploration qu'ils mènent dans des champs disciplinaires différents et complémentaires les questionne sur leur rôle professionnel. Sont-ils encore des médecins ou deviennent-ils des formateurs de patients ?
Le rôle d'un médecin dans le champ des maladies chroniques n'est plus de guérir mais de suivre le patient à long terme pour favoriser son adhésion au traitement. Les données à recueillir auprès du patient sont donc forcément de nature différente.5 Dans le paradigme de la médecine telle qu'elle est enseignée dans les facultés de médecine ou lors de la formation post-graduée en milieu hospitalier, les données requises pour établir un diagnostic et appliquer un traitement sont principalement issues des examens et des analyses biomédicales. Ces données sont donc axées sur les signes et les symptômes de la maladie et rarement élargies à l'environnement social et psychologique du patient. Dans la maladie chronique, le patient a un rôle à jouer non seulement lorsqu'il doit appliquer son traitement mais également lorsqu'il échange et confronte avec son médecin les informations et les expériences qui sont signifiantes pour lui. Le médecin et le patient sont donc en situation de partenariat ; le médecin est avant tout subordonné à l'expérience et aux décisions du patient et doit obligatoirement négocier avec lui. Il doit accepter que le patient puisse avoir des idées différentes que les siennes, voire même d'être manipulé. Il doit accepter aussi que le patient soit toujours celui qui, en dernier recours, décide s'il prend ou non son traitement. Les choix du patient peuvent être soit discutés avec le médecin si ce dernier accepte de clarifier les besoins du patient et de négocier soit effectués de manière contrebandière lorsqu'il adapte seul son traitement. En conséquence, la prise de pouvoir du patient met forcément le médecin en difficulté et l'amène ainsi à se questionner sur sa façon d'être en relation thérapeutique.6
Evoquer une rupture quant à la façon de concevoir la formation et l'apprentissage, c'est partir du constat que la Faculté de médecine et la formation post-graduée transmettent beaucoup de connaissances et de savoirs théoriques en sous-entendant qu'à l'application de ce savoir, il y a acquisition de compétences. Or, les médecins se rendent compte progressivement que la pratique clinique principalement dans le domaine ambulatoire implique plutôt de gérer un suivi du malade et d'agir dans des situations d'une complexité différente que dans les cas aigus. L'expérience du médecin dans la prise en charge des patients chroniques l'amène souvent à reconnaître les limites de sa maîtrise et à gérer l'incertitude : il n'y a pas de recettes simples dans la relation médecin-malade. Le médecin qui relève ce défi reconnaît que c'est la pratique qui lui permet de progresser. Or, cette attention particulière portée à la façon de prendre en charge les patients est très exigeante. Elle oblige à sortir d'une pratique routinière et à cultiver un constant regard critique sur sa pratique.
Les médecins réalisent que suivre un patient à long terme ne se résume pas à l'acquisition d'une connaissance mais à la transformation de toute une série de comportements. Ces transformations sont effectuées de manière intuitive, isolée et tâtonnante. Les essais qu'ils tentent tous les jours pour améliorer leur pratique participent à la construction intuitive de leurs compétences. Les soignants qui pratiquent dans le champ de la chronicité et de l'éducation des patients ont développé un regard réflexif sur leur façon de modifier leur pratique clinique. C'est ainsi qu'ils peuvent tolérer les tâtonnements de leurs patients.
La prise en charge des patients atteints de maladies chroniques n'est pas satisfaisante. L'OMS le souligne et insiste sur la nécessité de former les praticiens à l'enseignement thérapeutique des patients.7 Dans cette perspective, la Faculté de médecine de Genève a développé un programme de formation continue qui s'appuie sur les constats évoqués précédemment.
Le DIFEP...
I Un programme de formation continue de l'Université de Genève
I S'adressant aux professionnels de la santé
I Constitué de neuf modules sur deux ans et d'une 3e année de mise en uvre d'une activité clinique améliorant la prise en charge et l'autonomisation du patient
I Modules thématiques : psychologie du malade, pédagogie thérapeutique, adhésion au traitement et planification d'une activité éducative sur le lieu de travail
I Ce programme existe depuis trois ans
I Il accueille quinze participants par volée
I Leur expérience clinique est en moyenne de 12 à 15 ans
I Ils sont issus des différentes spécialités médicales
La clinique du patient souffrant de maladie chronique s'apparente à un écheveau de multiples fils : la prise en compte du vécu psychologique du patient avec sa maladie, la nécessité de l'aider à apprendre son traitement et à contrôler sa maladie ne sont que quelques exemples de la complexité à laquelle les médecins sont confrontés.8 Ces problématiques sont intriquées les unes dans les autres, elles sont difficiles à cerner car liées en fondu-enchaîné. Un travail important a été effectué pour préciser les compétences-clés que le médecin doit développer pour améliorer le suivi des patients chroniques. Ainsi, cette approche, centrée sur les compétences, relève d'une approche systémique visant à relier ce qui est traditionnellement séparé : la thérapeutique, l'organisation des soins, la psychologie du malade, la pédagogie thérapeutique et plus récemment les stratégies de suivi à long terme. La difficulté immense de cette approche mise en uvre par le DIFEP consiste à travailler sur les interactions entre ces différentes disciplines plutôt que de les aborder séparément. Les médecins qui se forment au DIFEP ne deviennent pas des experts en psychologie ou en pédagogie : ils enrichissent le point de vue qu'ils ont sur leur pratique à l'aide d'outils venant des sciences humaines. Ils posent des hypothèses sur la base d'un problème précis lié au suivi d'un patient chronique et cherchent ensuite des outils pour résoudre le problème. Ces outils constituent des repères sur lesquels ils peuvent s'appuyer pour gérer avec justesse le suivi à long terme et l'éducation thérapeutique du patient.
De quelles compétences s'agit-il :
I Observer et décrire sa pratique professionnelle
I Comprendre le patient pour adapter le projet thérapeutique
I Etablir un objectif thérapeutique et aider le patient à le suivre
I Elaborer et mettre en uvre un dispositif éducatif pour le patient
I Planifier un projet d'éducation thérapeutique
I Renforcer la motivation du patient pour faciliter l'adhésion au traitement
I Pratiquer et évaluer l'enseignement thérapeutique du patient
I Suivre le patient et accompagner le changement
L'élaboration du programme du DIFEP découle d'une démarche inductive. Les difficultés concrètes rencontrées par les soignants dans la pratique clinique et leur analyse, la recherche de pistes de compréhension et la traduction dans la pratique clinique des différents apports disciplinaires des sciences humaines ont permis de formuler une série de compétences à acquérir par le soignant pour améliorer la prise en charge de patients atteints de maladies chroniques. Cette démarche inductive demande à être reconstruite par chaque participant dans le cadre de sa formation. Elle doit partir de l'expérience des participants, des contextes cliniques qui sont les leurs et des questions spécifiques qui les amènent en formation. L'enjeu de l'apprentissage par l'expérience réside en effet davantage dans la capacité d'analyser sa pratique, de se poser les bonnes questions et de chercher les outils qui permettront de transformer sa pratique, que dans la transmission d'éléments théoriques d'ores et déjà élaborés. Un des enjeux essentiels du DIFEP est d'aider les participants à identifier leurs compétences acquises par l'expérience, de les circonscrire et de les renforcer. La structure modulaire permet à chacun de tâtonner dans la pratique et de revenir ensuite en groupe sur ces expériences afin d'en tirer des enseignements.
Une logique d'apprentissage centrée sur l'expérience, c'est :
I Faire décrire aux participants ce qu'ils font
I Partir des questions précises et des difficultés concrètes que les participants rencontrent dans leur pratique clinique afin d'iden-
tifier des besoins de formation
I Formuler un objectif d'apprentissage avec le groupe des participants
I Offrir des apports théoriques ciblés
I Elaborer des stratégies pédagogiques propices à l'apprentissage
I Revenir sur les expériences du terrain pour en tirer des conclusions intermédiaires
L'option prise d'emblée dans la planification pédagogique du DIFEP est la suivante : la formation doit amener les participants à faire évoluer les pratiques cliniques sur leur lieu de travail (mise en place d'une structure d'enseignement thérapeutique des patients, restructuration et amélioration d'une structure d'enseignement existante, élaboration de documents favorisant le suivi à long terme à l'intention de l'équipe soignante, etc.). Dès le début de la formation, chaque participant doit formuler et planifier la mise en uvre d'une activité clinique. Cette démarche de projet met le soignant au centre du processus d'apprentissage et de formation. La formation est donc personnalisée et implique une individualisation dans l'acquisition des connaissances et des compétences. La démarche de projet a une fonction «mobilisatrice» qui renouvelle l'intérêt des participants pour la formation et une fonction «didactique» où les éléments de connaissances sont intégrés et mis en uvre dans une démarche plus globale, significative pour le participant.9
L'éducation du patient est une attitude, une posture professionnelle qui favorise la création d'un rapport d'adulte à adulte. Il ne s'agit pas pour les médecins d'acquérir des techniques mais de réaliser que la prise en charge des patients chroniques entraîne des répercussions sur leur identité professionnelle, sur les modèles intégrés au cours de leur formation initiale et sur les conceptions des rôles réciproques dans la relation soignant-soigné. Dans un rapport d'adulte à adulte, celui qui sait n'est pas toujours celui qu'on croit. La capacité du médecin à se mettre au service des besoins du patient témoigne de cette posture professionnelle propre à la chronicité.
Or, la demande principale des médecins est une demande d'outils, de stratégies et de solutions directes et applicables. La question qui se pose aux formateurs est de savoir comment répondre à une telle demande. La fonction principale de la formation continue n'est pas de réguler les manques de la formation initiale, mais de saisir l'opportunité des difficultés et des questions qui émergent de la pratique pour soutenir les médecins dans leur questionnement sur leur façon de concevoir et de mettre en uvre leur rôle professionnel. Il faut donc légitimer la formation continue comme un espace consacré à l'analyse de la pratique et développer des stratégies de formation qui tiennent compte de l'expérience acquise par les participants, de manière à valider et renforcer le processus d'acquisition de compétences. C'est le défi que tente de relever le Diplôme de formation continue en éducation thérapeutique du patient de la Faculté de médecine de l'Université de Genève.