Pourquoi ce titre réminiscent d'un ouvrage de Xavier de Maistre, écrivain (justement ?) méconnu du début du XIXe siècle ? La relation n'apparaîtra pas directe mais, vous le comprendrez plus loin, elle résulte des données rapportées par Scurr et coll.1 dans leur étude sur la fréquence des thromboses veineuses profondes (TVP) consécutives à un voyage en avion de longue durée. Il s'agit là de la première étude prospective de ce problème, alimenté précédemment par des rapports de cas, certes dramatiques, mais dépourvus de toute légitimité statistique, ce qui en diminuait la pertinence, ou par des études cas-contrôles contradictoires. Elle comportait, de plus, deux groupes de 115 et 116 sujets, l'un sans traitement particulier, l'autre à qui une prescription de bas de contention élastiques avait été faite. Chez ces voyageurs, qui avaient passé en moyenne 24 heures assis en classe économique, dont au minimum deux tranches de 8 heures, douze développèrent une TVP, tous dans le groupe sans traitement, ce qui fait une prévalence de 10% (95% limites de confiance comprises entre 4,8 et 16%).Certes, ces TVP étaient asymptomatiques, n'étant détectées qu'à l'aide de l'examen écho-doppler. Le taux de d-dimères était apparemment dans les limites normales ; la méthode utilisée différant de celle couramment utilisée à Genève, l'honneur est sauf pour ceux qui ont érigé en catéchisme que des valeurs normales de d-dimères permettent d'exclure un phénomène thrombo-embolique. Ou, dans la mesure où il s'agit de TVP débutantes (les sujets de l'étude étant investigués dans les 48 heures suivant leur retour), il est aussi possible d'invoquer les limites de la détection de la méthode.Pour satisfaire les esprits chagrins, l'honnêteté oblige à concéder qu'il y eut quatre thromboses veineuses superficielles dans le groupe qui portait des bas élastiques, mais aucune dans l'autre groupe, sans traitement préventif. Sinon, les causes connues de thrombophilie, les prises de médicaments qui auraient pu favoriser un phénomène thrombotique, pour ne pas parler des données démographiques ou médicales générales, étaient également distribuées dans les deux groupes.Les deux conclusions majeures semblent donc apparemment inattaquables : 1) lors de longs trajets en classe économique en avion, il peut y avoir 10% de TVP asymptomatiques ; 2) le port de bas élastiques prévient de façon efficace ce problème.Quelles pourraient être les conséquences de ces résultats ?Si vous êtes de nébuleuse Evidence- Based Medicine (le terme de nébuleuse n'étant utilisé que pour son potentiel d'évocation céleste), vous demanderez que de nouveaux essais randomisés soient accomplis, afin de pouvoir procéder à une méta-analyse en bonne et due forme, vous soumettrez plus tard ces données à la Cochrane Collaboration qui, si elle ratifie vos conclusions, vous assurera une bénédiction éternelle.Si vous êtes d'une veine mao-trotskyste, vous élèverez une protestation véhémente contre la discrimination sociale et la stigmatisation de la classe économique et exigerez que des groupes contrôles soient impliqués dans un protocole semblable, ne différant de ceux de l'étude initiale que par le billet en classe business ou première classe. Votre succès auprès de ceux qui se portent volontaires dans de telles conditions de voyage est garanti, il vous restera simplement à trouver une institution assurant le financement d'une telle recherche.Si vous êtes opportuniste et disposez de fonds, vous demanderez à un certain nombre d'aéroports, ciblés en fonction de leurs liaisons intercontinentales (vous pouvez rayer Cointrin de votre liste), une concession pour poser votre échoppe et faire une réclame avantageuse pour le port de bas de contention élastiques que vous vendrez à un prix qui ne dépasserait pas celui des magasins spécialisés de plus de 200%.Si vous avez l'âme juridique, vous placerez dans le hall d'arrivée un homme-sandwich, porteur de vos coordonnées professionnelles, en assurant que quiconque aura développé un phénomène thrombotique dans les jours qui suivent son retour saura trouver auprès de vous, non seulement le réconfort attendu et une empathie toute désintéressée, mais aussi une très grande disponibilité pour attaquer en justice les compagnies aériennes qui n'ont rien fait pour vous éviter ce malencontreux désagrément.Enfin, si vous n'appartenez à aucune de ces catégories et n'êtes qu'un honnête praticien, vous serez dans l'embarras. Que répondre face aux demandes de vos patients et patientes quant à l'indication de port de bas élastiques ? Cet achat, effectué à titre préventif, sera-t-il remboursé par les caisses-maladie ? Une injection d'héparine à bas poids moléculaire est-elle une alternative pour ceux et surtout celles qui ne veulent pas arborer une telle pièce vestimentaire ? Idem pour le remboursement de ce traitement ? Les assurances doivent-elles couvrir une telle complication quand le voyage est de nature purement touristique ? N'y a-t-il pas une responsabilité individuelle à assumer ?C'est la raison pour laquelle je vous propose la prescription suivante :Rp : voyage autour de votre chambre, qui permet d'éviter ces douloureux états d'âme, mais je dénie toute responsabilité si vos patients vous désertent.1 Scurr JH, Machin SJ, Bailey-King S, Mackie IJ, McDonald S, Coleridge Smith PD. Frequency and prevention of symptomless deep-vein thrombosis in long-haul flights : A randomised trial. Lancet 2001 ; 357 : 1492-3. W