Les activités orofaciales nocturnes et la douleur. Le traitement du syndrome des apnées obstructives du sommeil (SAOS) par orthèse endo-buccaleIntroductionLa médecine du sommeil est un aspect de notre métier qui est encore mal connu et relativement peu enseigné. Pourtant, nous passons un tiers de notre vie endormi. Le sommeil devrait être tranquille et récupérateur, mais il peut aussi être l'hôte d'un certain nombre de perturbations qui le déstructure partiellement, voire totalement et dont le dormeur n'a aucun souvenir. Il se réveille alors fatigué et pour lui, sans raison apparente. C'est souvent le conjoint qui relève les ronflements, s'inquiète des apnées si fréquentes et si longues ou ne supporte plus les grincements de dents, voire les coups de pied. Toutes ces anomalies ayant lieu pendant le sommeil empêchent ce dernier d'être récupérateur et peut provoquer chez le patient une série de symptômes dont le principal est souvent l'hypersomnolence diurne. Cette hypersomnolence peut être à l'origine d'accidents du travail et de la circulation. Dans le cadre du syndrome des apnées du sommeil, les répercussions sur le système cardiovasculaire sont maintenant bien établies et l'association avec l'hypertension artérielle et les accidents vasculaires cérébraux démontrée.Le Centre de médecine du sommeil de Genolier a invité cette année une vingtaine de spécialistes de Suisse, France, Belgique, Canada et Italie pour débattre de deux aspects de ces problèmes, soit les activités orofaciales nocturnes et la douleur et le traitement du syndrome des apnées du sommeil par orthèse endo-buccale. Les conférenciers ont été Gilles Lavigne (Centre d'étude sur le sommeil, Hôpital du Sacré-Cur, Facultés de médecine dentaire et de médecine, Université de Montréal), Paul Pionchon (Consultation douleurs orofaciales et rééducation fonctionnelle de l'appareil manducateur, CHU, Clermont-Ferrand) et Bernard Mantout (attaché hospitalier, Hôpital de la Timone, Marseille).Le bruxismeLe bruxisme «nocturne» est un grincement des dents pendant le sommeil qui est associé à un serrement des dents. Les conséquences en sont l'usure dentaire, des céphalées, des douleurs oro-faciales et de l'articulation temporo-mandibulaire, sans compter la déstructuration fine du sommeil et les inconvénients sur le partenaire incommodé par le bruit. Environ 8% de la population adulte et près de 14% des enfants présentent des épisodes répétés de bruxisme chaque semaine. Le phénomène est plus fréquent dans le jeune âge et décroît avec les années. Le diagnostic se pose aussi bien sur la base de l'anamnèse que de l'observation des conséquences précitées, auxquelles peuvent être ajoutées la fatigue et une hypertrophie des muscles masséters. Dans quelques cas graves et persistants, une polysomnographie avec audio-vidéo peut être utile, permettant le diagnostic différentiel avec d'autres pathologies venant perturber le sommeil (par exemple : myoclonie, tics, ronflement et apnées).Les hypothèses physiopathologiques sont diverses, qu'elles soient psychologique (anxiété), neurophysiologique (déséquilibre du système neurovégétatif) ou neurobiologique (sensibilité aux neurotransmetteurs). On relèvera dans le sens de cette dernière hypothèse que les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (par exemple : Fluctine®, Zoloft®) sont connus pour augmenter le bruxisme. Par contre, le rôle de l'occlusion dentaire semble moins important que ce qui a été imaginé dans le passé.Le traitement peut comporter des approches cognitivo-comportementales et de la relaxation, de la physiothérapie, des gouttières nocturnes, des antalgiques ou des myorelaxants au coucher pour soulager la douleur de contraction musculaire et augmenter d'autant la relaxation. Le manque d'études contrôlées ne permet par contre pas de proposer la toxine botulinique ou le propranolol (un bêta-bloquant) comme traitement.Algie et dysfonctionnement de l'appareil manducateur et acouphènesBien que l'idée que les traitements dentaires pourraient être une solution aux plaintes associées aux acouphènes, la littérature scientifique est peu concluante à cet égard. A ce jour, aucune approche thérapeutique n'a fait l'objet d'études contrôlées. Ainsi, les effets cliniques des approches occlusales (par exemple orthèse) ou manuelles (par exemple physiothérapie) semblent liés à l'interaction patients-dentiste ou à l'action placebo.Divers mécanismes physiopathologiques sont suggérés.Selon la définition contemporaine de la douleur, une composante sensorielle est associée aux émotions. Ainsi, une analogie acouphène-douleur semble séduisante. L'importance des systèmes de régulation centrale plutôt que la recherche d'une cause principalement périphérique (oreille moyenne ou occlusion dentaire) a été soulignée. Suite à diverses théories, partant de l'expression douloureuse, le concept d'arthromyalgies faciales idiopathiques a mis l'accent sur les influences biologique (hormonale), neurophysiologique (sensibilisation trigéminale, phénomènes neuropathiques, plasticité neuronale) et psychosociale. Il existe un même processus sensoriel sous-jacent tel que certaines personnes ont une sensation différente du tonus musculaire qui transforme l'intégration du stimulus proprioceptif en stimulus nociceptif (patients aux douleurs oro-faciales) et tel que certaines personnes ont une sensation différente des bruits (patients acouphéniques). La variable cognitivo-affective est un facteur déclenchant de la demande de traitement pour deux groupes de patients.Il semble qu'il existe un substratum commun physiologique (non identifié) entre certains acouphènes non spécifiques et certaines douleurs oro-faciales (arthromyalgies faciales idiopathiques). Nous avons nommé «inquiétude» le profil commun entre les patients acouphéniques et les patients algiques qui les pousserait à consulter. Il est probable aussi qu'il existe une influence de certains traitements des douleurs oro-faciales sur les acouphènes, sans doute par des mécanismes indirects qui ne sont pas parfaitement identifiés. L'hypothèse d'une action au niveau de la régulation centrale de renforcement des filtres tant du signal auditif que nociceptif devrait être sérieusement envisagée. Orthèses endo-buccales et syndrome des apnées obstructives du sommeil (SAOS)Le SAOS touche de 1 à 5% de la population adulte masculine, avec une moindre prévalence dans la population féminine. C'est un véritable problème de santé publique eu égard à sa fréquence, ses conséquences sur la vigilance, aux morbidités associées (cardiovasculaires et neuro-psychiques) et, corollaire de ces trois propositions, en raison de la surconsommation médicale induite. Le traitement vise à supprimer les événements respiratoires anormaux et à restaurer une structure de sommeil normale. La pression positive continue par masque nasal constitue le traitement de référence. Son efficacité est proche des 100% mais sa compliance est relativement médiocre (29% de désappareillage).Les orthèses endo-buccales constituent sans doute une alternative intéressante dans de nombreux cas, en particulier après échec des autres thérapeutiques. On dispose d'un ensemble de dispositifs visant soit à propulser la mandibule, soit à repositionner la langue ou encore à stabiliser le voile du palais ou à repositionner la luette. Un rapport de l'American Sleep Disorders Association recommande l'usage de tels dispositifs. Apparus au milieu des années 80, ils demeurent peu utilisés en Europe, faute sans doute de collaboration effective entre spécialistes du sommeil et odontologistes.Ce sont les appareils de propulsion mandibulaire qui sont aujourd'hui les plus utilisés en raison de leur efficacité et de leur meilleure tolérance par les patients. De nombreux systèmes sont disponibles du plus simple au plus complexe, certains sont même proposés aux patients sans le moindre contrôle médical contrairement aux recommandations américaines (contrôle polysomnographique avant et après appareillage).Les indications vont de la ronchopathie «simple» au SAS. L'efficacité sur le syndrome de haute résistance des voies aériennes supérieures est moins évidente. Les contre-indications sont les édentements totaux ou sub-totaux (nécessité de fixer l'appareil sur un certain nombre de dents), les parodontopathies et les troubles psychiatriques (collaboration requise du patient). Le traitement du SAS de l'enfant ou de l'adolescent ne relève pas non plus de cette pratique.Les effets secondaires, globalement limités dans leur ampleur et dans le temps, sont, de l'avis des patients, largement compensés par l'efficacité du dispositif.Bibliographie :Bruxisme Bader G, Lavigne GJ. Sleep bruxism : Overview of an oromandibular sleep movement disorders. 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