Dans un genou normal, le ménisque transmet les charges, absorbe les chocs et répartit les tensions. Ce rôle important peut être perturbé lorsque le tissu méniscal est déchiré et qu'il doit être enlevé. La perte d'une partie de l'amortisseur méniscal conduit au développement d'une arthrose fémoro-tibiale.Les déchirures du ménisque peuvent survenir dans plusieurs variétés d'accidents du genou. Selon la région du ménisque touchée, le pronostic de guérison sera différent : une déchirure en zone périphérique vascularisée, dite zone rouge, a un potentiel de cicatrisation important et doit être suturée dans la mesure du possible. En zone intermédiaire, une suture méniscale a encore une chance de guérir alors que les déchirures internes en zone blanche doivent être réséquées.
La chirurgie méniscale par arthrotomie a été lancée en Europe dans les années 20 et la Suisse y a joué un rôle important grâce, en particulier, aux Drs Bircher et Hoffmann. Plus de 600 publications avaient été consacrées à ce sujet avant 1948 quand Fairbank1 tira la sonnette d'alarme : l'ablation du ménisque n'était pas aussi anodine qu'il avait paru jusque-là. Sa publication décrivait les modifications radiologiques du genou après méniscectomie soit : l'aplatissement du condyle fémoral, la perte de hauteur de l'interligne articulaire et la formation d'ostéophytes marginaux (fig. 1). L'arthrose après méniscectomie faisait désormais partie du tableau des suites chirurgicales du genou.
L'avènement de l'arthroscopie moderne, après les travaux de Watanabe en 1957, donna une nouvelle impulsion à la chirurgie méniscale. Le concept de méniscectomie partielle laissait espérer une diminution, voire le contrôle du risque arthrosique. Si la conservation du ménisque reste aujourd'hui une préoccupation dans tous les milieux s'intéressant à la pathologie du genou, son remplacement par allogreffe ou xénogreffe n'est plus un sujet tabou.
Selon sa localisation, une déchirure méniscale peut être traitée de plusieurs manières. Le ménisque est divisé en trois zones, de l'extérieur du genou vers l'intérieur (fig. 2) :
I La zone rouge périphérique est la plus épaisse et la mieux vascularisée. Une lésion à cet endroit a donc un potentiel de cicatrisation non négligeable. Les déchirures en zone rouge surviennent le plus souvent lors de mouvements d'entorse associant des lésions ligamentaires.
I La zone rouge-blanche de transition est plus mince et moins bien vascularisée que la zone rouge. Les déchirures de cette zone ont encore un potentiel de cicatrisation mais dépendant de la communication de la lésion avec la zone rouge. Une suture peut donc encore être tentée à ce niveau.
I La zone blanche, à l'intérieur de l'articulation, est la plus vulnérable. La vascularisation de cette zone est négligeable si ce n'est l'existence de canalicules microscopiques où circule le liquide synovial. Les déchirures dans cette zone ne peuvent pas cicatriser et doivent donc être réséquées.
Les principales fonctions du ménisque sont la transmission de la charge et l'absorption des chocs. La résection ou la sauvegarde du ménisque joue donc un rôle important selon l'endroit où se situe la déchirure.
Les lésions méniscales survenant en zone blanche n'ont pas de potentiel de cicatrisation. Elles doivent donc être réséquées car le tissu méniscal déchiré, anormalement mobile, crée une gêne fonctionnelle et, de surcroît, peut abîmer le cartilage. Le concept de méniscectomie partielle a encore gagné de l'importance avec le développement de l'arthroscopie qui permet des gestes plus précis et moins invasifs. Un certain nombre de séries ont montré qu'un geste économe de résection méniscale était bénéfique en termes d'apparition d'arthrose secondaire. Ainsi Burks,2 Chatain3 et Kruger-Franke4 ont publié des séries avec plus de dix ans de recul où plus de 90% des patients ont un excellent résultat clinique après méniscectomie partielle arthroscopique. Toutefois, des modifications radiologiques du compartiment concerné apparaissent dans un tiers des cas. L'arthrose n'a donc pas disparu dans l'évolution de ces cas de chirurgie méniscale partielle. Higuchi5a contrôlé soixante-sept patients avec 12,2 ans de recul, après méniscectomie interne partielle, et constaté que près de la moitié présentaient des signes d'arthrose. Les facteurs aggravants sont le volume de tissu méniscal excisé et l'état du cartilage au moment de l'intervention.
A la fin du siècle dernier, Annandale avait déjà démontré qu'une suture du ménisque en périphérie pouvait cicatriser. C'est De Haven6 qui a montré les premiers résultats de suture méniscale par arthrotomie avec une série de patients revus après cinq ans puis dix ans.
Mais c'est l'arthroscopie qui a popularisé la suture méniscale en permettant d'accomplir plusieurs gestes techniques de dedans en dehors, de dehors en dedans et tout à l'intérieur (all inside) avec différents matériaux. La déchirure peut donc être visualisée et palpée au crochet avant d'être éventuellement débridée et suturée sous contrôle arthroscopique. Le tissu méniscal écrasé ne se présente pas favorablement pour une suture méniscale. Par contre, les désinsertions périphériques, les lésions par traction, comme par exemple lors d'un mécanisme d'entorse, laissent un tissu méniscal intact qui peut être suturé.
Les indications à la suture méniscale sont les suivantes :
I Présence d'une déchirure longitudinale, transfixiante, périphérique, en zone vascularisée.
I La substance centrale du ménisque doit être intacte.
Les techniques arthroscopiques utilisées actuellement sont au nombre de trois :
I Suture de dedans en dehors (inside-out) utilisant des canules guidant une longue aiguille et un fil qui sont récupérés à l'extérieur de l'articulation par une courte incision. Les fils sont noués dans le plan sous-cutané.
I Suture de dehors en dedans (outside-in) où un fil de suture est introduit de l'extérieur à travers la déchirure méniscale. Là, il peut être noué sur place et c'est le nud qui servira d'amarre sur la déchirure, le fil périphérique pouvant être noué avec un autre semblable voisin en sous-cutané. Le fil peut aussi être repassé par une canule vers l'extérieur avant d'être noué dans le plan sous-cutané.
I Différents implants résorbables peuvent être mis en place dans l'articulation grâce à des instruments ancillaires permettant d'accéder à toutes les zones de déchirures méniscales. Ces implants ont diverses formes : ancre, agrafe, vis, flèche ou clou.
La résistance à la traction de ces différentes techniques de fixation méniscale a montré que ce sont les sutures qui réalisent les montages les plus solides actuellement.
Les complications des sutures méniscales sont surtout des lésions du nerf saphène interne en cas de lésion du ménisque interne : jusqu'à 43% dans certaines séries dont 8% de séquelles durables. Des infections peuvent survenir. Le taux d'échec va de 5 à 10%.
Les descriptions de techniques et de nouveaux implants sont pour l'instant plus nombreuses dans la littérature que les résultats de patients opérés et contrôlés. Johnson7 a revu trente-huit patients, dont il avait suturé une déchirure isolée de ménisque plus de dix ans auparavant, et constaté d'excellents résultats. Seuls 8% des patients montraient des modifications arthrosiques sur les radiographies.
Noyes8a montré un haut taux de cicatrisation de suture méniscale (26 succès sur 29 patients) dans une série prospective de patients de plus de 40 ans. L'âge ne semble donc pas être un handicap lorsqu'on envisage une suture méniscale.
Le remplacement du ménisque est une idée relativement récente. La première allogreffe a été réalisée en 1984 et depuis plusieurs séries ont été publiées avec des résultats assez encourageants. La plus importante est celle de Cameron9 avec soixante-sept patients souffrant d'arthrose débutante. Revus avec trente et un mois de recul, cinquante-huit patients montrent une bonne incorporation de la greffe alors que chez six patients la greffe s'est déchirée.
D'autres séries, avec des reculs plus courts, font état des mêmes constatations : l'allogreffe méniscale est possible mais les résultats à long terme et, en particulier, son influence sur la survenue d'une arthrose font encore défaut. Il faut donc actuellement considérer cette technique comme expérimentale.
Une autre technique de remplacement méniscal a été imaginée plus récemment par Steadman et Stone.10 Il s'agit du Collagen Meniscus Implant(CMI) qui est un moule de collagène résorbable d'origine bovine, reconstruit en forme de ménisque, qui se réhabite par des cellules du mur méniscal restant auquel il a été suturé. La régénération tissulaire remplace le collagène résorbable et semble pouvoir fonctionner comme du tissu méniscal selon les auteurs. Cette technique est également expérimentale et différents groupes sont aujourd'hui en train de la tester. Le CMI est en vente sur le marché depuis le début de cette année.
La chirurgie méniscale a beaucoup évolué avec l'arrivée des techniques arthroscopiques. La méniscectomie partielle a montré d'excellents résultats même si la survenue d'arthrose reste d'actualité. Le volume de tissu méniscal excisé, l'état du cartilage et la stabilité du genou (intégrité du ligament croisé antérieur surtout) jouent un rôle prépondérant dans le développement de la gonarthrose secondaire. Pour éviter cette éventualité, la conservation du tissu méniscal doit être tentée chaque fois que cela paraît possible : les déchirures méniscales périphériques peuvent être suturées car elles ont un potentiel de cicatrisation important. Le taux de succès est encore plus grand lorsqu'une reconstruction du ligament croisé antérieur est réalisée en même temps.
En cas de méniscectomie totale, le remplacement méniscal par allogreffe ou xénogreffe est actuellement à l'étude. Le recul n'est pas encore suffisant pour permettre d'affirmer que ces techniques joueront un jour un rôle décisif dans la préservation de la fonction du genou.