Ainsi, c'est fait. La majorité de la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique (CSSS) du Conseil des Etats a retenu à une large majorité 7 voix contre 1 le principe de l'abandon de l'obligation de contracter.L'obligation de contracter est contenue dans la Loi sur l'assurance maladie (LAMal) actuelle. Elle prévoit que, dès lors qu'un médecin remplit les conditions posées par la LAMal diplôme fédéral, droit de pratique et deux ans de formation post-graduée au minimum il est d'office reconnu comme étant apte à pratiquer à charge des assureurs maladie et les factures qu'il envoie à ses patients se voient ainsi obligatoirement remboursées. C'est la fin de ce principe que la CSSS propose comme future modification partielle de la LAMal.Cette mesure, qui a immédiatement suscité l'opposition du corps médical et des patients assurés, est la concrétisation des trois constats suivants : un transfert massif de pouvoir des autorités politiques vers les assureurs, la négation des buts de solidarité posés par la LAMal et un aveu majeur d'impuissance de la part de nos parlementaires.Transfert de pouvoirDans le système LAMal actuel, la répartition des pouvoirs entre assureurs et autres acteurs du système de santé est relativement équilibrée : les «fournisseurs de soins» ont la possibilité de se récuser et de refuser de soigner les assurés selon la LAMal et les assureurs ont la possibilité, de leur côté, de refuser le remboursement de leurs prestations s'ils estiment que les traitements sont non économiques et non adéquats.Par le biais des dispositions actuelles de la LAMal, possibilité est déjà laissée aux assureurs de choisir les fournisseurs de soins avec lesquels ils désirent traiter. Evidemment, ce choix implique une procédure un peu lourde par-devant les tribunaux arbitraux compétents. Cette procédure n'a d'ailleurs été que peu utilisée depuis l'introduction de la LAMal en 1996. Les assureurs ont souhaité depuis longtemps que le législateur leur laisse la possibilité de rembourser les prestations des fournisseurs de soins qu'ils décideront de choisir selon leurs propres critères.Ces derniers sont connus, ce sont les statistiques du Concordat des assureurs maladie suisses, chiffres bruts qui ne tiennent compte que du volume des prestations et de leur coût, sans considérer ni l'efficacité du traitement ni son adéquation, pas plus que la particularité des patients eux-mêmes (malades chroniques, patients âgés, etc.).Cette concession de la part de nos sénateurs membres de la CSSS va dans le sens d'un transfert massif des pouvoirs et des compétences au profit des assureurs. Cette arrogance et cet esprit de domination se sont déjà manifestés à réitérées fois depuis l'introduction de la LAMal. La dernière manifestation du genre a été la décision du CAMS de s'appeler dorénavant «santésuisse». Cela démontre bien cette volonté d'hégémonie et la négation même de l'existence de tous les autres acteurs du domaine de la santé.Cette prise de pouvoir n'a cependant pas été possible sans la complicité des politiciens : sur les treize membres de la Commission de santé publique et de sécurité sociale, quatre sont directement impliqués auprès d'assureurs. C'est ainsi que siègent en particulier au sein de cette Commission la Présidente du Conseil d'administration de SUPRA, dont on connaît l'agressivité, de même que le Président du Concordat des assureurs maladie suisse. Lorsque l'on sait qu'à l'occasion de cette fameuse séance seuls huit membres étaient présents, on peut imaginer le poids de quatre assureurs au sein de ce gremium.Les objectifs de la LAMalL'objectif le plus louable était de rendre l'assurance obligatoire, ce qui a eu pour conséquence de supprimer les réserves et de permettre aux assurés de changer d'assureur sans être pénalisés, comme c'était le cas avant 1996.L'autre objectif majeur était de maîtriser les coûts de la santé. Objectif louable certes, mais difficile, voire impossible, lorsque même le Conseil fédéral reconnaît dans son message à l'appui du rejet de l'initiative socialiste sur des primes établies en fonction du revenu que le volume global des prestations est manifestement incompressible compte tenu notamment de l'évolution démographique de ce pays et des progrès scientifiques enregistrés en matière de santé.Cela étant, un des grands principes de la LAMal était de favoriser la solidarité : solidarité entre jeunes et vieux et entre hommes et femmes. L'autre solidarité sous-jacente, qui n'est pas des moindres, est également un équilibre entre les bien-portants et les malades, ces derniers n'ayant bien évidemment pas choisi leur état. Ainsi, en pénalisant les médecins qui soignent des pathologies chroniques, longues et lourdes, la Commission du Conseil des Etats provoque une brèche grave et injuste dans le principe de la solidarité.D'autre part, elle provoque un déséquilibre manifeste de pouvoir, nous en avons parlé plus haut, mais également de fonctionnement du système de santé.En formant régulièrement des étudiants en médecine, en autorisant les hôpitaux à engager de plus en plus d'assistants provenant de la région européenne, en étendant le catalogue des prestations et en réduisant le personnel des hôpitaux, les pouvoirs politiques placent les soignants devant une mission impossible : octroyer plus de prestations, améliorer la qualité, et chercher également des économies majeures. C'est la quadrature du cercle car chacun sait que l'on ne peut en principe pas faire plus avec moins.De plus, étonnamment, puisque le Conseil des Etats est généralement de tendance plutôt conservatrice, on péjore la situation des médecins exerçant en ambulatoire privé et ce, en se basant sur des impressions non vérifiées. En effet, n'a-t-on pas entendu Madame Christine Beerli, Présidente de la Commission, affirmer que la fin de l'obligation de contracter était le seul moyen de limiter le nombre de médecins installés en pratique privée et d'abaisser ainsi les coûts puisque ceux-ci en étaient les responsables principaux ?Cette affirmation est tombée deux jours après la conférence de presse de l'OFAS, qui a justement montré que les médecins exerçant en ambulatoire privé ont vu leurs coûts globaux n'augmenter que de 2,6% en moyenne, alors que ceux de l'ambulatoire des hôpitaux publics, des EMS et des soins à domicile accusaient une hausse moyenne de plus de 10 à 15%. Quelle crédibilité accorder ainsi à des politiciens au moment où ils prennent une décision lourde de sens ?Un aveu d'impuissanceDisons-le, la classe politique, comme nous d'ailleurs, est particulièrement perplexe face à la situation de notre système de santé qui connaît un état paradoxal. D'un côté, tout le monde s'en dit satisfait et chacun est heureux de pouvoir bénéficier des dernières techniques médicales pour se soigner. Qui plus est, Madame la Conseillère fédérale Ruth Dreifuss a même reçu un prix d'une fondation bien connue qui marquait ainsi son admiration pour le système LAMal. Plus loin, on constate que bien des pays européens nous envient un système qui réussit à concilier efficacité et coûts somme toute raisonnables par rapport à un catalogue de prestations bien généreux.D'autre part, tant qu'aucun observatoire de la santé n'est mis en place, chacun ignore, où qu'il se trouve d'ailleurs, quelles sont les causes de telle ou telle augmentation. On ne peut que les constater et faire quelques commentaires, mais sans pouvoir en dévoiler l'origine ni le processus.C'est généralement dans ces situations que l'on choisit une solution de facilité. Cédant à la pression des assureurs, et montrant ainsi son impuissance, la Commission du Conseil des Etats a sombré dans la facilité la plus simpliste sans aucun égard pour l'ensemble des assurés.ConclusionEn conclusion, on remarquera deux points :I En écoutant les conversations du café du commerce ainsi que celles des marchés de fin de semaine, on constate que manifestement, la Commission du Conseil des Etats n'est ni comprise ni suivie par l'ensemble de la population, ce qui est de bon augure pour le référendum que ne manquera pas de lancer la FMH en temps voulu.I Ce n'est pas à l'ensemble des fournisseurs de prestations médicales ou paramédicales, spécifiquement aux médecins, d'assumer l'impuissance de nos politiciens face à un problème de société. Le Viagra ne soigne malheureusement pas tout et n'a en tout cas pas pour vocation de rendre les idées plus claires. W