A l'heure où nous écrivons ces lignes, les Instituts nationaux américains de la santé (NIH) viennent de publier la liste «officielle» des dix centres de recherche qui, à travers le monde, détiennent un total de 64 lignées de cellules souches embryonnaires pouvant, en cette fin d'été 2001, être utilisées par la recherche américaine financée par des fonds publics. On compte, parmi ces centres, quatre institutions américaines, deux suédoises, deux indiennes, une australienne et une israélienne. Rappelons-nous : la publication de cette liste fait suite à la décision du président George W. Bush, le 9 août, de n'autoriser la recherche publique sur les cellules souches embryonnaires qu'à partir de colonies de cellules existantes, provenant d'embryons déjà morts (Médecine et Hygiène du 30 août 2001). En d'autres termes, soucieux de protéger la vie humaine dès la naissance et nanti d'une bonne dose d'hypocrisie comme seuls les Américains semblent être dotés, M. Bush a interdit tout financement fédéral pour la recherche impliquant la destruction de nouveaux embryons pour en tirer des cellules souches tout en acceptant de tirer profit de ceux déjà détruits.Aux Etats-Unis, les entités qui pourront fournir des cellules souches à la recherche publique sont les suivantes : Wisconsin Alumni Research Foundation à Madison (Wisconsin), Université de Californie à San Francisco, CyThera à San Diego (Californie), BresaGen à Athens (Georgie). Les autres centres de recherche dans le monde reconnus par Washington sont les suivants : Karolinska Institute (Stockholm), Gijteborg University (Gijteborg, Suède), Monash University (Melbourne, Australie), National Center for Biological Sciences (Bangalore, Inde), Reliance Life Sciences (Mumbai, Inde), Technion-Israel Institute of Technology (Haïfa, Israël).Paradoxalement, ce feu vert présidentiel ne suscite guère l'enthousiasme des biologistes américains. «La décision prise par George W. Bush est critiquable à tous les égards et nous place dans une situation impossible, nous expliquait il y a quelques jours à Boston, en marge du colloque Drug Discovery Technology, le Dr George Q. Daley, spécialiste des recherches sur les cellules souches au Whitehead Institute (Massachusetts Institute of Technology). Les travaux que nous menons démontrent que l'on peut de manière spectaculaire régénérer grâce à des cellules souches du tissu hépatique ou pancréatique. D'autres ont montré chez l'animal la régénération de moelle épinière ou, chez l'homme, de muscle cardiaque. Nous savons tous pertinemment que nous sommes aujourd'hui devant un énorme potentiel thérapeutique, que les premiers résultats concrets ne vont guère tarder. Et tout en donnant l'impression de nous permettre d'avancer, le président interdit de passer à la vitesse supérieure. En bloquant les recherches dans le domaine public, il fait que tout se fera à l'étranger ou, aux Etats-Unis, dans le secteur privé.»Outre-Atlantique, le débat est entier et quotidien. Pas un jour sans que les grands quotidiens nationaux traitent du sujet. Pas une semaine sans que les hebdomadaires ne s'emparent de la question et ne dissèquent les différents éléments du dossier. Dans ce concert, quelques voix se sont élevées, comme celle du Pr Harold Varmus (Memorial Sloan-Kettering Cancer Institute, New York), ancien directeur des National Institutes of Health (NIH), pour dire qu'une autorisation, même encadrée comme elle l'est aujourd'hui, valait mieux que le veto définitif que l'on pouvait craindre de la part d'un président texan. Pour sa part, le Pr Roger Peterden a décidé de quitter l'Université de Californie pour gagner le Royaume Uni qui entend devenir le pays qui déchiffrera l'Eldorado des cellules souches et, après les célèbres cliniques suisses du rajeunissement, celui de la future thérapie cellulaire régénératrice. Le cas du Pr Peterden est éloquent. Ce spécialiste américain a pris sa décision au lendemain de l'annonce du président Bush d'autoriser en l'encadrant à l'extrême le financement fédéral de recherches sur les cellules souches.Dès la rentrée, il enseignera et cherchera dans les brumes britanniques de l'Université de Cambridge. C'est le Medical Research Council de ce pays qui financera ses travaux, dont tous les médias disent qu'ils pourraient contribuer à soigner des maladies du pancréas. Peterden en avait assez des attaques des milieux intégristes et des ligues anti-avortement américains et il a accepté une diminution notable de ses rémunérations pour pouvoir travailler dans un pays dont il est sûr qu'il deviendra la référence mondiale de la recherche sur les cellules souches embryonnaires. «Au-delà des interdictions que peut formuler aujourd'hui le président Bush, il est acquis que le XXIe siècle sera, dans l'histoire de la médecine, celui de la thérapie cellulaire, estime, en écho, le Dr Daley. Tout y pousse, les perspectives que nous entrevoyons, la fréquence des maladies dégénératives comme le vieillissement des populations. Nous estimons que plus de cent millions de personnes à travers le monde sont aujourd'hui directement concernées. Il nous faudra donc bien, d'une manière ou d'une autre, régler la question de l'accès aux cellules souches. Mais il nous faudra aussi résoudre celles inhérentes au statut des embryons et au clonage thérapeutique.» Attendons-nous donc, au nom de la médecine, à de nouvelles et passionnantes passes d'armes éthiques et scientifiques.