Je ne sais pas exactement ce qui me pousse à écrire après ce colloque de dermatologie. Il y a certainement «l'apoptose», c'est-à-dire le suicide, et puis «ce qui uni les cellules d'un même épithelium», donc la question de la séparation et puis la vie, la mort... tout est très imbriqué.Voilà de quoi il s'agit : lors d'un colloque hebdomadaire présenté par la Division de dermatologie de l'hôpital de Genève, le Pr Jean-Hilaire Saurat et son équipe évoquaient les réactions cutanées graves suite à la prise de médicaments. En particulier, les manifestations dermatologiques de la nécrolyse épidermique toxique. Celles-ci consistent en un décollement cutanéo-muqueux avec formation de bulles comme si le patient avait été brûlé en dehors comme en dedans. Le médicament déclencheur incriminé aurait induit, par je ne sais quel mécanisme, l'expression à la surface du kératinocyte d'une protéine habituellement purement intracellulaire (le Fas ligand). Cette protéine devenue membranaire permettrait le lien avec un récepteur de membrane (récepteur Fas) d'un autre kératinocyte. Le drame de cette nouvelle liaison est qu'elle entraîne les kératinocytes vers une mort subite par apoptose, et que l'on assiste à une kératinocytolyse responsable des décollements bulleux observés. Alors que le récepteur Fas, appelé «récepteur de mort», est un récepteur normalement présent sur la membrane du kératinocyte, le Fas ligand, qui lui, n'a pas de surnom est habituellement caché dedans et invisible dehors. C'est cette étreinte fatale entre le récepteur Fas et son ligand qui m'épate. Entre ce qui est apparent et ce qui aurait dû rester caché, entre l'extérieur et l'intérieur, entre l'exprimé et le retenu et pourquoi pas, entre le civilisé et le primitif.L'apoptose des kératinocytes m'évoque un suicide collectif. Une stupéfiante agressivité retournée contre soi. Bizarrement, cela m'évoque aussi une séparation impensable, une haine de la différence, une grande difficulté d'être seul. L'intérêt du colloque résidait cependant en la possibilité de bloquer ce sinistre emballement par l'utilisation d'immunoglobulines à hautes doses. Comme si les anticorps, empêchant la fusion entre le ligand et son récepteur, donnaient au kératinocyte un peu plus d'espace, un peu plus de peau, la sensation d'exister.Dans une consultation normale, il peut arriver que médecin et patient, chacun de leur côté s'agrippent au symptôme et que l'on ne sache plus comment s'en éloigner. Plutôt que de prescrire examens et traitements médicamenteux qui sont aussi une façon de prendre du recul, je pense à une certaine rêverie du médecin, à ce que Freud appelait «gleichschwebende Aufmerksamkeit», une attention flottante, qui est une autre façon de redonner de l'espace, de détendre les liens, d'empêcher la liaison fatale «récepteur Fas-Fas ligand».Entre la micro- et la macroscopie, il y a de quoi rêver. L'agressivité contre soi, le lien fusionnel à l'autre, l'émergence du primitif, la vie, la mort, il peut y avoir tout ça dans la rencontre entre deux kératinocytes comme entre le médecin et son patient.