L'affaire était ces derniers mois cantonnée à quelques milieux de la dermatologie hospitalo-universitaire parisienne. «Nous savons qu'il existe dans la capitale quelques grands contaminateurs syphilitiques et nous sommes hautement inquiets de l'évolution de la situation épidémiologique, nous confiaient ainsi plusieurs amis spécialistes de dermato-vénérologie. Comment lancer l'alerte ? La presse ne pourrait-elle pas nous aider». La vérité impose de dire qu'il n'ont guère été entendus par des médias occupés sur tant d'autres fronts. Mais l'alerte est désormais officielle. «La syphilis réapparaît en France dans un contexte de recrudescence des maladies sexuellement transmissibles (MST) aiguës, telles que la gonococcie. Une enquête coordonnée par l'Institut national de Veille Sanitaire (InVS), fait état d'une augmentation préoccupante du nombre de cas de syphilis» vient ainsi de faire savoir l'InVS.En pratique, c'est à la fin du mois de novembre 2000 que le dispensaire antivénérien de l'Hôpital Tarnier (Paris) a alerté l'InVS de la survenue d'un nombre inhabituel de cas de syphilis en l'espace de six semaines. Une enquête épidémiologique a alors été conduite pour confirmer les cas diagnostiqués et pour mettre en évidence une éventuelle recrudescence de cette maladie dans l'Hexagone. En France, où la syphilis était devenue exceptionnelle depuis une douzaine d'années, l'opinion comme les plus jeunes vont devoir réapprendre qu'il s'agit là d'une MST due au tréponème pâle dont les symptômes varient selon le stade de l'infection. Après le sida, il va falloir redire que la syphilis primaire se manifeste généralement par le célèbre chancre (ulcération de la peau et des muqueuses) souvent indolore qui apparaît en moyenne trois semaines après la contamination. Redire également qu'en l'absence de traitement, d'autres symptômes (éruptions cutanées, fièvre, douleurs articulaires) peuvent survenir (syphilis secondaire), que l'affection peut évoluer de façon silencieuse pendant plusieurs années et entraîner, à long terme, des complications sévères neurologiques et cardiovasculaires et que la syphilis est contagieuse à tous les stades de son évolution.En France, pendant la période comprise entre le 1er janvier 2000 et le 31 mai 2001, 78 cas (dont 77 masculins) de syphilis ont été déclarés (32 en 2000 et 46 au 31 mai 2001) à l'InVS par des cliniciens. Près de 87% des cas recensés ont été diagnostiqués à Paris. L'âge moyen était de 36,4 ans. Parmi les cas répertoriés chez des hommes, 75% concernaient des homosexuels. Au total, 27% des cas n'avaient aucun antécédent de MST et 53% étaient infectés par le VIH. Sept personnes ont découvert leur status vis-à-vis du VIH au décours du diagnostic de syphilis. Le stade de syphilis secondaire a été établi chez 49 personnes (63%).«Une recrudescence similaire de la syphilis a été observée dans d'autres pays d'Europe (Belgique, Irlande, Pays-Bas, Royaume-Uni ?). L'émergence actuelle de la syphilis en France est cohérente avec la recrudescence d'autres MST déjà mises en évidence (gonococcies) et la tendance au relâchement de la prévention, notamment chez les homosexuels» souligne-t-on auprès de l'InVS où l'on précise que ce constat préoccupant a entraîné la mise en place d'un réseau national de surveillance épidémiologique de la syphilis. Ainsi donc, vingt ans après l'émergence du sida, tout se passe comme s'il fallait repartir au combat, exposer les risques et les dangers, parler de sexualité, de contamination, de nécessaire protection, de plaisir encadré. Qui le fait ? Qui le fera ?«Les chiffres sont alarmants. Le relapse (relâchement des pratiques sans risque) est devenu une réalité incontournable, écrivait en juillet dernier des militants d'Act Up dans une tribune délibérément provocatrice publiée dans les colonnes du Monde et intitulée «Vingt ans de sida, ça suffit !». Aujourd'hui, des centaines de gays s'exposent au virus du sida dans l'indifférence générale. Un représentant de la direction générale de la santé (DGS) n'hésite d'ailleurs pas à nous annoncer froidement que la courbe des contaminations aura retrouvé d'ici cinq ans le même niveau qu'au début des années 1980». Lucides, les auteurs ajoutaient que le plus grave était sans doute la situation des jeunes. «La plus forte hausse des pratiques à risque se situe chez les jeunes de moins de vingt-cinq ans qui n'ont pas connu l'épidémie sous son angle le plus dur. Pour la première fois depuis le début du sida, le pourcentage de jeunes qui ont eu des rapports non protégés est en augmentation, écrivaient-ils. Nous ne pouvons l'accepter, d'autant moins que se développe actuellement le discours bareback, qui incite à l'abandon de la capote sous couvert de liberté sexuelle. Vingt ans d'épidémie, ça suffit. Nous ne voulons pas mourir. Nous ne voulons pas souffrir. Nous avons vingt ans. Nous avons envie de vivre».Ne pas mourir ? Ne pas souffrir ? Envie de vivre ? Un programme exemplaire auquel on adhère volontiers et pas seulement à l'âge de vingt ans. Mais le fameux relâchement des pratiques sexuelles sans risque peut-il être combattu sans être assimilé, air connu, à la lutte éternelle contre le relâchement des murs ?