Edito: Evolution de la psychiatrie : spécialisation sans fragmentation
F. Ferrero et F. Borgeat
Rev Med Suisse
2001; volume -3.
21600
Résumé
Les divers sujets qui constituent ce numéro consacré à la psychiatrie traitent essentiellement de questions cliniques, telles que consultation thérapeutique, difficultés diagnostiques et thérapeutiques des patients souffrant de troubles borderlines, ou encore deux approches thérapeutiques de patients psychotiques chroniques, l'une d'inspiration psychanalytique, l'autre cognitive et comportementale.Enfin, un dernier travail présente quelques résultats d'un sondage d'opinion sur les représentations de la maladie psychique et de la psychiatrie. Si, dans ce domaine, nous manquons de points de comparaison, on ne peut cependant qu'être frappé de constater que les usagers de la psychiatrie ont, en général, une opinion bien plus favorable concernant leur traitement, la qualité de l'information reçue, la continuité des soins par exemple, que les professionnels eux-mêmes.Cette diversité de thèmes fait ressortir un des aspects de la psychiatrie contemporaine qui, à l'évidence, n'est pas monolithique, pas plus dans ses théories que dans ses pratiques. Toujours plus présente à l'hôpital général, elle s'inscrit également fortement dans le champ social à travers des initiatives importantes et structurées, comme en témoignent certains programmes de suivi intensif dans la communauté pour différents groupes de patients. Par ailleurs, la psychiatrie appartient désormais à part entière au champ médical et aux neurosciences.Devant cette expansion et cette diversification, l'identité du psychiatre généraliste qui s'occupe de tous les problèmes devient de plus en plus difficile à tenir, particulièrement dans les institutions. Il est illusoire de s'attendre à ce qu'un médecin s'investisse dans des approches seuil bas avec des toxicomanes le matin, puis devienne thérapeute psychodynamique l'après-midi, pour se retrouver neuroscientiste ou psycho-pharmacologue le lendemain, puis thérapeute de groupe d'orientation cognitivo-comportementale pour les troubles anxieux le surlendemain et finalement psychiatre en milieu pénitentiaire en interaction avec le monde judiciaire à la fin de la semaine. De toute évidence, un certain degré de spécialisation est devenu incontournable. Le champ est trop vaste et il est impossible de tout faire correctement. La psychiatrie est-elle pour autant menacée de fragmentation ? Devra-t-elle se scinder en de nombreuses sous-spécialités dans un mouvement analogue à ce qu'a connu la médecine interne ? Ces questions constituent un débat et une préoccupation importante au sein de la profession. Si une certaine spécialisation s'établit dans les faits, le souci du maintien d'une identité de psychiatre et psychothérapeute et d'une cohésion au sein de la profession est également très présent. Plusieurs solutions sont possibles : l'une d'entre elles pourrait être de combiner le maintien d'activités de clinique générale (par exemple, consultation et psychothérapie) tout en favorisant aussi le développement de secteurs d'intérêts spécifiques pour les psychiatres qui le souhaitent.Nous croyons que de s'opposer à cette évolution vers la spécialisation conduit à de faux débats. Le plus fréquent est d'affirmer que le psychiatre qui aurait un champ d'activités spécialisé deviendrait un technicien incapable de considérer le patient dans sa globalité. Cette position ne correspond en rien à la réalité ; bien au contraire, c'est en approfondissant un domaine, en y maîtrisant le progrès des connaissances et en y cernant mieux les particularités d'une clientèle spécifique que le clinicien saura être attentif à l'ensemble des besoins de celle-ci, au niveau biologique, psychologique ou social, à court ou à long terme. L'expérience montre que la spécialisation d'une équipe favorise la continuité des soins plutôt qu'elle ne s'y oppose.Depuis plus de trois ans, le dispositif de soins psychiatriques mis en place à Lausanne fonctionne en combinant des portes d'entrée et d'intervention brève de type généraliste avec des programmes spécialisés en fonction des grandes catégories diagnostiques pour le plus long terme. Ainsi, des sections spécialisées pour les troubles appartenant au spectre de la schizophrénie, les troubles anxieux et de l'humeur, les troubles de la personnalité et les abus de substances ont été créées. Cette approche a favorisé le développement de champs d'expertises et l'émergence d'approches mieux adaptées aux besoins de ces catégories de patients qui ne peuvent pas être abordées de la même façon. Des méthodes thérapeutiques plus spécifiques et inaccessibles auparavant ont ainsi pu voir le jour. Il nous apparaît regrettable qu'à Genève, où pourtant des programmes spécialisés fonctionnent depuis quelques années en parallèle à des programmes généralistes, un débat politisé se soit installé autour des questions d'organisation de soins de la seule psychiatrie adulte, questions qui devraient, à notre avis, être réglées en priorité en fonction de critères scientifiques et cliniques et non pas d'a priori dogmatiques.
Contact auteur(s)
F. Ferrero
Chef du Département universitaire de psychiatrie
Genève
et
F. Borgeat
Chef du Service de psychiatrie générale et spécialisée
Lausanne