Cet article souligne les enjeux relationnels dans le champ de l'investigation psychiatrique, en s'appuyant sur les données relatives aux trois procédures d'investigation définies au Centre de consultation psychiatrique et psychothérapique. Le modèle biomédical strict devrait intégrer un travail sur la crise qui accompagne l'apparition d'une pathologie psychiatrique : il s'agit de clarifier et de résoudre les problèmes relationnels de manière à délimiter un véritable champ de traitement, ainsi que de favoriser la construction de l'alliance thérapeutique de manière à potentialiser le traitement à venir. Cette activité clinique d'investigation, qui intègre tant la dimension médicale que les facteurs dynamiques, correspond formellement à une pratique de la consultation thérapeutique.
En 1998, le Département universitaire de psychiatrie adulte (DUPA, Lausanne) s'est réorganisé en créant des sections spécialisées : section Minkowski (troubles du spectre de la schizophrénie), section des troubles anxieux et de l'humeur, section des troubles de la personnalité, section des dépendances, unité d'expertises, unité de réhabilitation et Institut universitaire de psychothérapie. L'accès des patients aux soins est concentré sur quatre portes d'entrée :
I l'Unité d'accueil, d'observation et de crise (AOC) pour les patients ayant besoin d'une hospitalisation d'emblée ;
I le Centre d'interventions thérapeutiques brèves (CITB) pour les patients ayant besoin d'un soutien en raison de leur symptomatologie (risque suicidaire, symptomatologie dépressive ou anxieuse massive, problèmes relationnels aigus, etc.) ;
I le Centre de consultation psychiatrique et psychothérapique (CCPP) pour les patients qui peuvent se satisfaire d'entretiens individuels et échelonnés ;
I la Consultation psychothérapique pour étudiants de l'UNIL et de l'EPFL ouverte aux étudiants du site de Dorigny.
Ces quatre unités ont pour objectifs d'offrir un soutien momentané, de mener une investigation en vue d'un traitement spécialisé, mais aussi de traiter la crise qui accompagne l'apparition d'une pathologie psychiatrique par une prise en charge à court terme qui parfois suffit. L'enjeu est d'adapter le niveau de soutien offert par le cadre de manière à permettre un travail de type psychothérapeutique sur la crise, compte tenu de la symptomatologie et du contexte dans lequel les troubles du patient surviennent.
Cet article est consacré à la manière dont ces objectifs sont abordés au CCPP et à la Consultation pour étudiants. Notre hypothèse est que cette activité clinique correspond formellement à une pratique de la consultation thérapeutique, qui tend à lier les champs psychiatrique et psychothérapique.1
Dans la littérature, la description de l'investigation psychiatrique se réclame de nos jours d'un modèle biomédical. Les différents manuels de psychiatrie francophones2,3 ou américains4 décrivent cette pratique en termes d'entretiens semi-structurés visant à recueillir un ensemble de données anamnestiques, de symptômes et de signes, dans le but de poser un diagnostic et de mettre en place un traitement approprié.
Selon le guide pour l'évaluation psychiatrique des adultes, édité par l'Association américaine de psychiatrie, l'évaluation psychiatrique générale a pour but d'établir un diagnostic psychiatrique, de récolter suffisamment de données pour permettre une formulation de cas, et enfin de développer un plan initial de traitement.5 Les domaines d'évaluation, les méthodes pour obtenir ces informations et la procédure d'évaluation sont décrits en détail. Quand bien même il est précisé que ces divers éléments sont à pondérer en fonction de la situation clinique, ce guide propose une évaluation directive, si possible exhaustive, sur un modèle médical.
Si ce modèle vise à s'intégrer dans une logique qui se veut athéorique, il ne paraît pas intégrer le processus même de l'investigation. Ceci pose problème pour au moins deux raisons :
I D'une part, il est établi que l'alliance thérapeutique est le facteur prédictif le plus puissant de la plupart des méthodes de soin en psychiatrie.6 L'adhérence au traitement en dépend, de même que la prévention des ruptures. Cela donne à la relation qui s'instaure un enjeu important.7
I D'autre part, le DSM-IV spécifie explicitement que de nombreux patients consultent en raison de la survenue de problèmes relationnels dans leur existence.8 Une série de codes diagnostiques leur sont attribués (codes Z). La citation qui suit est explicite :
«Les problèmes relationnels [...] sont retenus parce qu'ils sont souvent à l'origine d'un examen clinique chez les individus consultant des professionnels de la santé. Les problèmes peuvent exacerber ou compliquer la prise en charge d'un trouble mental ou d'une affection médicale générale présentés par un ou plusieurs membres de l'unité relationnelle, peuvent être la conséquence d'un trouble mental ou d'une affection médicale générale, peuvent être indépendants d'autres affections concomitantes ou peuvent survenir en l'absence de toute affection» (p. 795-796).
En résumé, l'investigation doit clarifier et résoudre les problèmes relationnels présentés par le patient de manière à délimiter un véritable champ de traitement, au sens où l'on parle de champ chirurgical. Elle doit aussi développer l'alliance de manière à potentialiser le traitement à venir. Ces deux points reprennent le constat fait depuis toujours que quelques entretiens peuvent avoir un effet thérapeutique.9Le CCPP s'est donc donné pour objectif d'intégrer la dimension médicale et les facteurs dynamiques, construction de l'alliance et résolution de problèmes relationnels, dans sa pratique de l'investigation.
Pour ce faire, trois procédures d'investigation ont été définies :
1. L'investigation psychiatrique semi-structurée (IP) est destinée aux patients dont le tableau clinique nécessite une clarification du diagnostic et l'instauration rapide de mesures thérapeutiques spécialisées.
2. L'investigation psychodynamique brève en quatre entretiens (IPB)10 est issue d'une réflexion sur les psychothérapies brèves et sur les critères dynamiques d'indication aux psychothérapies psychanalytiques ; elle a pour objectif de travailler sur les problèmes relationnels à l'origine de la consultation et le développement de l'alliance thérapeutique.
3. L'investigation effectuée à la demande d'un médecin traitant (consilium) ou dans le cadre d'une évaluation spécialisée (expertises, évaluation psychiatrique avant gastroplastie par exemple) peut prendre pratiquement la forme d'une IP ou d'une IPB ; elle reste conditionnée par la demande initiale du médecin.
Les fréquences relatives, la durée d'investigation, les catégories diagnostiques et l'évolution associées aux trois formes d'investigation sont indiquées dans le tableau 1.
Quels sont les effets de la réorganisation du DUPA sur la pratique de la consultation psychiatrique ? Curieusement, la distinction formelle entre investigation et traitement avec le changement de thérapeute éventuel que cela sous-tend, induit plus de réticence chez les professionnels que chez les patients. La pratique du CCPP suscite un intérêt clinique et intellectuel chez les thérapeutes qui s'y forment, mais les confronte à la frustration de laisser à d'autres le traitement à plus long terme des patients. Nous constatons que du côté des patients ceux-ci expriment plus souvent le soulagement de ne pas devoir s'engager d'emblée dans un traitement de durée indéfinie et de bénéficier d'un bilan formel au terme de quelques entretiens. A la suite de ce bilan, un petit tiers des patients sont adressés aux unités spécialisées du DUPA. Le degré de satisfaction exprimé par les sections spécialisées quant à la qualité et à la pertinence des transmissions est certainement corrélé au travail de sélection rendu possible par cette forme d'organisation des soins.
Une grande proportion des patients qui bénéficient de l'activité du CCPP sans être transmis à une unité spécialisée sont ceux envoyés pour un consilium. Ce dernier débouche la plupart du temps sur un avis, moins de 15% des patients se voyant proposer un traitement dans le Département. Il s'agit d'un travail difficile si l'on souhaite transmettre des informations et des propositions utiles à nos collègues, plutôt que des commentaires sur les raisons à l'origine des difficultés rencontrées par le médecin de premier recours. Nous encourageons nos collègues à demander un avis au début d'une prise en charge psychiatrique de manière à anticiper sur les problèmes éventuels plutôt qu'au moment où le problème se pose. Un large débat à ce sujet serait intéressant.
Finalement, le fait que plus du tiers des patients ne nécessitent pas de traitement au terme du travail d'investigation pourrait être vu comme une confirmation des hypothèses émises quant à la nécessité d'aborder les problèmes relationnels liés à la consultation. Les diagnostics recensés vont d'ailleurs dans ce sens : en tenant compte des codes Z et des troubles de l'adaptation, 23% des patients présentent au premier plan une problématique relationnelle clairement identifiée (tableau 1). Le travail d'investigation permet dans ces cas de recadrer la crise relationnelle et un suivi à plus long terme n'est pas nécessaire. Mais ce n'est probablement pas la seule explication à cette évolution à court terme qui mériterait d'être mieux étudiée.
Le taux de rupture, au cours de l'investigation, peut être considéré comme bas (tableau 1) si l'on se réfère aux données de la littérature.11 Le nombre étonnamment faible d'interruptions de traitement lors de la transmission (inférieur à 5%) renforce le constat que le changement de thérapeute n'est pas un phénomène important en soi.
Deux réserves doivent être formulées. Premièrement, par rapport aux patients qui terminent au terme de l'investigation, nous ne disposons pas de données relatives aux consultations itératives des patients investigués auprès d'autres professionnels. Deuxièmement, en ce qui concerne les transmissions aux sections spécialisées, certaines filières de soins sont insuffisamment développées à ce jour : c'est le cas pour les troubles somatoformes et les troubles du comportement alimentaire.
Que peut-on dire des deux formes d'investigation proposée au CCPP, soit l'investigation psychiatrique semi-structurée et l'IPB ? Quelques différences prévisibles se révèlent : l'IPB se déroule sur plus d'entretiens et se conclut plus fréquemment par une proposition de psychothérapie. Il s'agit de caractéristiques en lien direct avec les objectifs explicites de cette méthode. Le fait qu'elle compte moins de ruptures reflète probablement que les patients ainsi investigués sont une cohorte particulière. Mais ce constat n'est pas synonyme de critique dans la mesure où nous devrions précisément pouvoir adapter la forme de l'investigation aux ressources du patient. L'activité de consilium compte le moins de ruptures, les enjeux relationnels étant limités par le contexte de l'intervention.
Le nombre de patients qui en restent là au terme de l'investigation est le même pour les deux types d'investigation. Ce résultat met en évidence qu'il s'agit des deux pôles de l'activité de consultation psychiatrique, bien plus que de deux entités distinctes. L'un reflète la dimension psychopathologique avec son diagnostic symptomatologique, l'autre les aspects relationnels, dont la résolution de problèmes et la construction de l'alliance thérapeutique sont parties prenantes. Leur délimitation formelle correspond d'abord à des exigences de formation, le clinicien expérimenté pouvant progressivement les intégrer, doser la part de l'un et de l'autre, en fonction de chaque patient. La mise en place d'un cadre à l'investigation est cependant indispensable pour que le clinicien puisse prendre conscience du type de relation que le patient cherche à aménager avec lui, et par là prendre en compte les facteurs dynamiques relatifs à la consultation.
L'investigation psychiatrique est le dispositif de choix face aux symptômes qui mettent en danger la vie du patient ou celle d'autrui : les décompensations psychotiques et maniaques, certains tableaux dépressifs avec inhibition majeure, les troubles organiques, les dépendances non contrôlées. Il nous laisse moins de liberté pour aborder les problèmes relationnels que présente chaque patient, mais permet de poser plus facilement un diagnostic et de mettre rapidement en place des mesures thérapeutiques.
Pour les sujets qui présentent une plainte qu'il est possible de contextualiser et de mettre en rapport avec une thématique conflictuelle relationnelle, par exemple sentimentale ou professionnelle, l'IPB semble plus adéquate. Elle oblige cependant à évaluer les justes motifs de surseoir à un traitement symptomatique, ainsi qu'à réserver un cinquième entretien semi-structuré visant à préciser le diagnostic DSM-IV ou CIM-10. Ces données confirment que l'IPB peut être considérée comme un modèle psychanalytique de consultation thérapeutique de l'adulte.12
On peut s'étonner que cette dimension de la consultation générale, qui était présente dans les conceptions antérieures,13 tende à se perdre dans le champ de la psychiatrie contemporaine. On trouve certes une abondante littérature à propos de consultations spécialisées, où les dimensions biologique, psychologique et sociale sont prises en compte, mais elle ne traite que de troubles ou de maladies isolés et spécifiques (par exemple le sida14 ou l'infarctus du myocarde15). C'est en fait dans le champ psychologique et social que l'on trouve de nos jours des travaux en rapport avec une théorie générale de la consultation. Marziali,16 par exemple, rappelle trois objectifs du premier entretien : 1) établir une alliance de travail ; 2) collecter les informations nécessaires pour comprendre le problème du client et pour faire les recommandations de traitement appropriées et 3) faire des interventions qui agissent favorablement sur cette première rencontre et qui montrent au client la manière dont se déroule le traitement. On peut s'étonner que ces deux traditions, psychiatrique et psychologique, se soient séparées, alors même que les enjeux de la consultation thérapeutique ont un impact sur le travail du médecin.
D'autres formes d'investigation prenant en compte les aspects dynamiques du processus devraient pouvoir être développées ou repérées et réincorporées à la pratique médicale. Certaines existent déjà, par exemple dans le domaine de la dépendance à l'alcool, sous forme d'entretiens motivationnels brefs.17 Les courants systémique et cognitif ont aussi développé des pratiques comparables. Reste à les faire connaître, à étudier les caractéristiques comparatives de chacun des modèles et à développer leur intégration dans la formation du psychiatre psychothérapeute.